Rude semaine pour les bouleaux, le jugement, et pour Guillaume Lemay-Thivierge.

Après avoir commis dans une vidéo un jeu de mots douteux à connotation raciste impliquant un feuillu et le « mot qui commence par N », GLT a connu à nouveau les affres de l’annulation publique. Il a perdu l’important contrat d’animation de l’émission de variétés Chanteurs masqués à TVA.

À ce point-ci de ma chronique, je dois préciser que je suis productrice de La grande messe, une émission d’entrevues intimistes qui prend l’antenne pour une deuxième saison à Télé-Québec. Christian Bégin avait, pour cette série, rencontré à l’automne GLT pour une longue entrevue étalée sur deux jours, dans la quiétude de l’abbaye Notre-Dame de Nazareth à Rougemont. D’un commun accord, le diffuseur et moi avons décidé de reporter la diffusion de l’épisode à une date ultérieure. Nous avons conclu qu’il y avait en ce moment trop de bruit et de tumulte autour de l’affaire, et qu’un peu de silence ne nuirait à personne. Nous avons choisi de baisser le son. J’arrive moi aussi volontairement quelques jours plus tard, avec un pas de recul.

Car GLT a été presque annulé. Parlons donc d’annulation.

Qu’est-ce que ça signifie, être annulé ?

C’est quand un groupe ou une société décide de bannir quelqu’un qui a commis un acte jugé répréhensible selon les critères moraux mouvants de l’époque (que l’acte soit porté devant la justice ou pas). C’est un jugement péremptoire et unilatéral, qui s’applique même à des personnes mortes (ex. : Claude Jutra). Que les faits reprochés soient avérés ou pas, qu’ils soient indiscutablement intolérables (du racisme) ou moins (exhibition dans un parc), l’annulation a pour effet de rayer de la carte un individu.

Qui cancelle ? Par qui l’annulation est-elle portée ?

Par des groupes de pression, des membres d’une communauté offensée, des individus lésés. Puis, par les réseaux sociaux qui s’emballent, les commanditaires des évènements touchés qui auront, ultimement, le droit de vie ou de mort publique.

Pourquoi annule-t-on ?

Parce qu’à juste titre, la société ne supporte plus certains gestes, certaines paroles, plusieurs abus, d’exécrables injustices. Le racisme, mais aussi les abus sexuels dénoncés par le mouvement #metoo.

Qu’y a-t-il dans l’annulation ?

La succession de gestes qui mène à l’annulation est un processus qui crée stupeur, sidération, colère, qui engendre des martyrs et des héros, et même des personnes qui en tirent du capital personnel.

Il y a un vif désir de se faire entendre, de porter des causes nobles et puissantes, de rompre avec l’ignominie de certaines situations historiques. Il y a aussi dans l’annulation un air du temps exacerbé, des coins tournés ronds. Il y a, de la part d’institutions, d’acteurs culturels, politiques, universitaires, la crainte viscérale d’être du mauvais côté de l’histoire, et la protection d’intérêts corporatistes ou individuels.

Il y a des victimes collatérales. Des familles blessées, humiliées. Une société qui heureusement change et ne tolère plus certaines inégalités et injustices. Il y a des paroles confisquées, des nuances sacrifiées, des curés idéologiques qui s’empressent de policer des sentiers fréquentables, des citoyens qui se taisent, car l’air du temps est trop tranchant. Il y a la crainte de gaffer, la peur de parler. De la défiance qui ne fait pas avancer la discussion, une prudence apeurée qui n’est pas de la compassion ni de l’empathie, mais du repli, n’en déplaise aux crinqués qui s’indignent sur les réseaux sociaux.

Dans 10, 20 ans, on considérera cette époque et on la jugera. Période qui nous aura fait nous éveiller à des injustices, à des abus de pouvoir. Mais aussi période faste en jugements expéditifs, où bien des cas sont mis dans le même sac. Période arbitraire, où le tribunal populaire s’érige en maître, où la réaction est instantanée, où il n’y a pas de règles.

Notre sensibilité collective nous fait avancer. Cet éveil ne reculera pas, et c’est tant mieux. Mais il y a certaines façons de faire qui blessent. Elles empêchent la réflexion qui a besoin de temps, de subtilité, loin des lumières crues de l’accusation brutale et intempestive.

La vindicte populaire ne peut pas devenir un mode d’emploi, ni l’annulation une habitude.

Revenons à Guillaume Lemay-Thivierge.

Il a eu des paroles étonnantes, pour la troisième fois, après celles sur la vaccination, puis sa sortie désordonnée au Gala des Gémeaux. Cette fois, c’étaient des mots impardonnables sur le terrain miné du racisme. Visiblement, il n’apprend pas de ses errements. Et surtout, personne ne semble être là pour le protéger de lui-même. Comme si le petit Matou du film avait grandi trop vite, sans structure. Comme si cet admirateur de sensations fortes souhaitait n’en faire qu’à sa tête. Dans toute cette affaire, c’est surtout d’aide et de silence qu’il aurait besoin, il me semble.

Je ne l’excuse pas, mais je me demande : l’annulation de GLT de la vie publique québécoise le rendra-t-il moins controversé ? L’impact de ses écarts de conduite sera moindre, bien sûr, mais un changement de mentalité durable et consenti sur le plan de la réflexion et du dialogue est préférable à l’exclusion de certains, et l’assignation au silence d’autres…

J’espère que quelqu’un est là pour GLT, en ce moment.

Note aux lecteurs : Dans la version précédente de ce texte, nous avons erronément rapporté que Guillaume Lemay-Thivierge avait fait une sortie désordonnée au Gala de l'ADISQ. En réalité, il s’agissait du Gala des Gémeaux.

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