La troisième voie incarnée par la CAQ est un « échec », ont soutenu la semaine dernière le Parti libéral et le Parti québécois. Au contraire, cette voie de passage entre le fédéralisme et le souverainisme est « plus forte que jamais », a déclaré François Legault. Si cette approche déchaîne aujourd’hui les passions, c’est que deux anciens conseillers politiques, Pascal Mailhot et Éric Montigny, viennent de publier un essai à ce sujet. Ils en ont discuté avec notre chroniqueur.

« Si vous voyez une tortue assise sur le dessus d’un poteau de clôture, elle n’est pas arrivée là par accident », disait jadis le président américain Bill Clinton.

C’est une figure de style qu’on peut utiliser pour décrire plusieurs situations en politique, et elle me semble tout particulièrement appropriée pour parler de la Coalition avenir Québec (CAQ).

Le parti de François Legault n’a pas pris le pouvoir par accident en 2018. Et ce n’est pas non plus par accident qu’il a battu ses rivaux de façon encore plus convaincante en 2022.

Une raison fondamentale de ces succès est que la « troisième voie » politique, incarnée par la CAQ, était en phase avec les aspirations des électeurs québécois.

« La troisième voie vient du constat d’une impasse constitutionnelle. D’un blocage à la suite de l’échec de l’accord du lac Meech [en 1990]. Ça part de là », m’explique Éric Montigny, qui enseigne les sciences politiques à l’Université Laval.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le politologue Éric Montigny, en 2018

C’est une position mitoyenne, entre le statu quo constitutionnel fédéral et l’indépendance. Et selon différents indicateurs, lorsqu’on offre ces trois choix-là aux Québécois, c’est cette position qui est généralement priorisée.

Éric Montigny, politologue

J’ai échangé avec Éric Montigny et Pascal Mailhot (aujourd’hui vice-président chez Tact) parce que ces deux anciens conseillers politiques viennent de publier un essai, intitulé À la conquête du pouvoir.

En lisant leur livre et en discutant avec eux pendant une bonne heure, j’ai eu l’impression d’être en compagnie de deux mécaniciens qui m’ont ouvert le capot du véhicule caquiste et m’ont décrit comment son moteur avait été conçu.

« Le moment charnière, le tournant pour nous dans l’histoire, c’est après la défaite dans la circonscription de Chauveau, quand la CAQ a touché le fond. Ça a forcé une remise en question profonde », m’a raconté Pascal Mailhot.

Ça s’est produit en juin 2015.

Dans leur livre, les deux auteurs révèlent que quelques semaines après la défaite, François Legault a regroupé ses lieutenants pour leur dire qu’il voulait « rassembler les nationalistes de tous les partis ». Il évoquera par la suite une « version nouvelle et moderne du nationalisme québécois à l’intérieur du Canada ».

La CAQ venait d’officialiser l’adoption de la troisième voie – qui avait auparavant été ouverte par l’Action démocratique du Québec de Mario Dumont.

« On le voit dans l’analyse du discours de la CAQ par la suite : il y a eu plus de cohésion dans le message et une position plus affirmée de fidélité première au Québec, mais aussi de revendication de nouveaux pouvoirs », a ajouté Éric Montigny lors de l’entrevue.

Ça, c’est pour la genèse de la CAQ.

Mais la troisième voie, qu’ossa donne ? comme dirait Yvon Deschamps.

Plusieurs ont profité de la sortie de l’essai pour critiquer l’approche de la CAQ.

Les chefs du Parti québécois et du Parti libéral, notamment. Ils ont parlé d’un « échec ».

Dans Le Devoir, Antoine Dionne Charest a soutenu que les problèmes actuels de la CAQ découlent de cette « politique ni souverainiste ni fédéraliste ». Et que celle-ci « freine le développement du Québec ».

Le chroniqueur Michel David a fait part de ses doutes après le refus de Justin Trudeau d’accorder au Québec les pleins pouvoirs en immigration.

Cela est de mauvais augure pour une voie qui semblait déjà bien étroite.

Extrait d’une chronique de Michel David parue dans Le Devoir

Pascal Mailhot et Éric Montigny, qui ont respectivement fait partie de la garde rapprochée de François Legault et de Mario Dumont, sont pour leur part convaincus que la troisième voie demeure la plus efficace.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE TACT

Pascal Mailhot, vice-président chez Tact

Le Parti libéral au pouvoir, c’est le Canada tel quel. Benoit Pelletier – qui est encore membre du Parti libéral – dit dans le livre que c’est l’abandon complet. Que c’est pire que tout.

Pascal Mailhot, vice-président chez Tact

« Et le Parti québécois au pouvoir, avec un projet de souveraineté à l’état pur, c’est la dynamique de rupture. Je l’ai vécu quand j’étais au PQ, au sein du gouvernement de Bernard Landry. Et on l’a vu ensuite avec Pauline Marois : toute discussion, tout rapport avec le reste du Canada est empoisonné parce qu’on est dans une dynamique de rupture », ajoute-t-il.

Si Justin Trudeau a dit non au Québec sur l’immigration, le dossier n’est pas clos pour autant et ce refus ne devrait pas occulter les gains faits par la CAQ ces dernières années, ripostent les auteurs.

PHOTO CHRISTINNE MUSCHI, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Rencontre entre Justin Trudeau et François Legault sur l’immigration, le 15 mars. Si Ottawa a dit non au Québec sur l’immigration, le dossier n’est pas clos pour autant et ce refus ne devrait pas occulter les gains faits par la CAQ ces dernières années, estiment Éric Montigny et Pascal Mailhot.

En bon pédagogue, Éric Montigny m’explique que depuis que la CAQ est au pouvoir, trois « différents axes d’autonomie sont visés ». Il affirme qu’ils ont chacun permis d’engranger des victoires.

Premièrement : la protection des pouvoirs de l’Assemblée nationale. « On l’a vu avec l’entente asymétrique en santé », affirme le professeur, puisqu’Ottawa a procédé à une hausse des transferts fédéraux sans condition.

Deuxièmement : il y a une volonté « de revendiquer de nouveaux pouvoirs pour le Québec ». Par exemple, la CAQ a signé une entente avec Ottawa qui permet au Québec de participer au processus de nomination des trois juges de la Cour suprême du Canada issus de la province.

Enfin, « il y a une volonté d’utiliser au maximum les pouvoirs dont le Québec dispose », ajoute Éric Montigny. Des exemples ? La reconnaissance de la nation québécoise de façon unilatérale dans la Constitution canadienne. L’utilisation de la disposition de dérogation pour protéger la Loi sur la laïcité de l’État.

Pascal Mailhot le relance. « Tu en oublies une ! L’application de la loi 101 aux entreprises à charte fédérale. »

Ceux qui estiment que l’approche de la CAQ ne fonctionne pas, « c’est souvent les souverainistes, qui souhaitent qu’on retourne à l’approche du couteau sur la gorge, c’est-à-dire brandir la menace de la souveraineté », soutient-il.

« Mais on ne l’a pas, cette carte-là, constate celui qui a été conseiller péquiste avant de joindre la CAQ. Ce n’est pas crédible aujourd’hui avec la souveraineté à 36 % et qui n’est pas du tout une priorité. »

Si bien que cette menace, à ses yeux, prend aujourd’hui la forme d’un « petit couteau de plastique blanc ». Et qu’il juge que la troisième voie demeure « la seule applicable dans le contexte du Québec ».

Il reste qu’aujourd’hui, les choses vont très mal pour la CAQ. Selon un récent sondage, le gouvernement de François Legault obtient à peine 22 % d’appuis.

Il y a des « controverses qui marquent et qui apportent une usure prématurée. Il n’en faudrait pas trop des comme ça », dit Pascal Mailhot quand je lui parle des difficultés du parti.

Et « la CAQ impose peut-être une cadence de changement trop rapide ». D’ici la fin du mandat, « il y a peut-être lieu de moduler un peu cette cadence », suggère-t-il.

La multiplication des erreurs et des polémiques depuis l’an dernier… De grandes réformes qui n’ont pas encore donné les résultats promis… L’avenir de la troisième voie pourrait-il être compromis à court terme ?

Éric Montigny souligne que parmi les facteurs qui ont permis les succès de la CAQ – et de la troisième voie – au cours de la dernière décennie, il y a aussi le fait que la question nationale n’est plus le seul enjeu qui structure le vote au Québec.

De nouveaux enjeux préoccupent les électeurs et divisent la population.

« Il y a plus de clivages au Québec qu’il y en avait avant. Par exemple, l’électorat se compose sur l’axe gauche-droite, sur l’axe de l’environnement (croissance-décroissance), sur l’axe identitaire en lien avec les dossiers de l’immigration et du vivre-ensemble », fait remarquer le professeur.

« Est-ce que ces clivages-là sur les autres enjeux vont s’évanouir pour ramener la polarisation Oui-Non ? C’est ça, la grande question ! »

À la conquête du pouvoir

À la conquête du pouvoir

Boréal

304 pages

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