« Oh, des regrets, des regrets, des regrets. Des regrets », chantait Alain Souchon avec un indicible sens de la répétition.

Des regrets, il y en a actuellement à l’Assemblée nationale concernant des motions qui ont été adoptées en tournant les coins ronds, sans que les élus aient le temps d’évaluer le contexte des libellés sur lesquels ils sont appelés à se prononcer à toute vitesse.

Il me semble que ça devrait inciter tout le monde à ralentir le rythme et à changer les règles implicites qui gouvernent ces exercices.

La semaine dernière, c’est la pitoyable motion visant à blâmer la Cour suprême pour avoir prétendument cherché à « invisibiliser les femmes » qui suscitait la controverse. Quiconque a pris connaissance de ce jugement avec un minimum de bonne foi voit pourtant que cette interprétation est absurde et fantaisiste.

Québec solidaire et le Parti libéral du Québec regrettent maintenant leur vote à ce sujet⁠1.

Cette semaine, la mort d’Yves Michaud a ramené au premier plan une autre motion qui entretient bien des remords depuis deux décennies : celle ayant blâmé ce militant et homme politique pour de prétendus propos antisémites.

Depuis, des dizaines de députés ont exprimé leurs regrets et ont tenté de faire réparer ce qu’ils considèrent comme une erreur.

Devant ces repentirs, j’ai voulu comprendre comment ces motions sont proposées et adoptées. Ce que j’ai appris n’a rien de rassurant.

Les règles de l’Assemblée nationale précisent que les motions doivent, « sauf exception », être inscrites au « feuilleton », l’équivalent de l’ordre du jour d’une séance parlementaire. L’objectif : donner aux députés « le temps nécessaire à la préparation de leurs interventions ».

Le hic, c’est que ce « sauf exception » a conduit à une multiplication de ce qu’on appelle à Québec des « motions sans préavis ».

J’ai échangé avec des membres de divers partis représentés à l’Assemblée nationale. On me dit qu’une règle non écrite veut que ces motions dont le libellé n’apparaît pas à l’ordre du jour soient transmises aux autres partis au moins deux heures à l’avance.

Le délai est vraiment très court… et n’est même pas toujours respecté.

Selon mes intervenants, la motion de la ministre caquiste Martine Biron dénonçant les propos de la Cour suprême sur les « personnes ayant un vagin » a été communiquée aux autres partis vers 8 h 20 le 14 mars. La séance à l’Assemblée nationale pendant laquelle la motion a été votée s’est ouverte à 9 h 40.

C’est extrêmement rapide pour se faire une tête sur un document juridique de 114 pages – d’autant plus que les partis politiques n’ont alors pas que ça à faire. Entre 8 h et 9 h 40, ce jour-là, des membres de chacun des partis de l’opposition ont tenu un point de presse. Les différents partis tiennent aussi leur caucus avant la séance. Sans compter que deux autres motions sans préavis ont été votées lors de la même séance et ont dû elles aussi être discutées.

« Est-ce que tout le monde avait bien pris connaissance de la décision de la Cour suprême, qui compte des pages et des pages ? Évidemment que non. Ça nous amène à prendre une décision seulement sur le texte de la motion, au premier niveau de lecture », me dit une employée politique qui a préféré ne pas être nommée.

« Oui, je l’ai regardé en diagonale, le jugement, c’est clair », a aussi admis en point de presse le député libéral André A. Morin, qui avait pourtant présenté conjointement la motion avec la ministre Biron. Cette dernière a de son côté affirmé l’avoir lu.

Des recherchistes peuvent évidemment être mis à contribution pour étudier les textes. Paul St-Pierre Plamondon affirme d’ailleurs avoir eu assez de temps pour se faire une tête sur la motion en question.

« J’ai fait sortir le jugement. Évidemment, on n’a pas le temps de lire chaque paragraphe, mais je suis quand même juriste. Pascal Paradis [député de Jean-Talon] a participé également. On l’a évalué, le jugement, et on avait un niveau de confort suffisant pour prendre position », a dit le chef du Parti québécois lors d’une mêlée de presse.

Il reste que ça va très, très vite – beaucoup trop, à mon avis. En 2000, la motion visant Yves Michaud avait été adoptée sans que ses propos aient été vérifiés ni que M. Michaud puisse s’expliquer⁠2.

Se faire traiter de raciste par l’Assemblée nationale n’est pourtant pas précisément une peccadille. Dénoncer les mots utilisés par le plus haut tribunal du pays ne l’est pas non plus – même si, dans ce cas, le principal dommage a été de couvrir les élus de ridicule et non d’écorcher une réputation.

Les membres des partis à qui j’ai parlé affirment que le manque de temps pour évaluer les motions incite les élus à minimiser les risques. Une motion qu’on n’a pas eu le temps de bien étudier « réitère l’importance de conserver le mot femme » ? Dans le doute, mieux vaut l’approuver plutôt qu’avoir l’air de l’élu qui s’inscrit en faux contre la défense des femmes.

Cet effet de meute basé sur l’ignorance ne sert pourtant personne. L’Assemblée nationale n’est pas une réunion impromptue d’un club de pétanque de village. Ses votes ont une portée symbolique et parfois même très concrète (Yves Michaud en avait long à dire à ce sujet).

« Je vais dormir là-dessus », dit-on souvent avant de prendre une décision. Et si l’Assemblée nationale se donnait elle aussi au moins 24 heures avant de se prononcer sur tout et sur rien ?

Lisez l’article du Devoir « QS et le PLQ s’amendent au sujet des “personnes ayant un vagin”, la CAQ et le PQ persistent » Lisez la chronique « La dernière chance d’Yves Michaud », d’Isabelle Hachey Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue