Peut-on espérer que le premier ministre François Legault soit le dernier à jouer dans le mauvais film intitulé Nous allons rapatrier les pleins pouvoirs en immigration ?

Tout simplement parce que ça n’arrivera pas et que le Québec a déjà beaucoup de pouvoirs en immigration.

On peut comprendre que M. Legault ait besoin d’arguments à saveur nationaliste alors que son parti perd des appuis aux mains du Parti québécois. Mais il n’y a pas vraiment d’intérêt pour lui à reprendre un slogan de ses adversaires péquistes quand il est certain de se faire dire non.

De toute façon, les péquistes veulent les pleins pouvoirs, pas seulement en immigration, mais dans tous les domaines. Ça s’appelle la souveraineté. Et si M. Legault y a longtemps cru, il a fini par y renoncer.

Du point de vue du gouvernement fédéral – quel que soit le parti au pouvoir –, il est impensable de céder à un gouvernement provincial toutes les responsabilités qui, de par leur nature, font partie de la souveraineté du Canada et de sa personnalité internationale.

Aucun État souverain ne va accepter de céder le contrôle de ses frontières, de sa citoyenneté ou d’un certain nombre de ses ententes internationales à l’une de ses provinces, fût-elle une « société distincte ».

Par ailleurs, sur le plan politique, le Québec n’a jamais réussi à convaincre Ottawa de lui céder des pouvoirs en faisant des demandes aussi floues que « les pleins pouvoirs ». Historiquement, quand le Québec a fait des gains en immigration, ce fut sur des questions précises et grâce à une conjoncture politique avantageuse pour le Québec.

La première, l’entente Lang-Cloutier (1971), a été suivie de l’entente Andras-Bienvenue (1975), puis de l’entente Cullen-Couture (1979), du nom des ministres fédéral et québécois de l’Immigration à l’époque. Politiquement, le gouvernement de Pierre Trudeau voulait alors montrer qu’il n’était pas inflexible en matière d’immigration, surtout après l’élection du Parti québécois en 1976.

Puis, pendant la période de ratification de l’accord du lac Meech, les deux gouvernements ont négocié, puis signé en 1991 l’entente McDougall–Gagnon-Tremblay qui garantissait, entre autres, au Québec un nombre d’immigrants proportionnel à sa part de la population canadienne, plus 5 %. C’était reprendre les termes mêmes de l’accord du lac Meech par une entente administrative plutôt qu’inscrite dans la Constitution.

On dit que cette entente est de nature quasi constitutionnelle, c’est-à-dire qu’elle ne peut être résiliée de façon unilatérale par l’une des deux parties. Il faudrait que les deux parties s’entendent pour la modifier.

Cela étant dit, la plupart des experts en immigration sont d’accord pour dire qu’il n’est pas du tout certain que le Québec sortirait gagnant d’une éventuelle renégociation.

Selon l’accord, Ottawa versera au Québec, pour l’exercice financier 2023-2024, un total de 775,1 millions de dollars. Depuis 2015, le Québec a ainsi reçu 5,2 milliards. Il s’agit d’un paiement qui ne peut pas diminuer, la méthode de calcul utilisant le montant de la dernière année comme plancher pour établir celui de l’année suivante.

Ce qui attire, bien sûr, les convoitises de plusieurs autres provinces qui voudraient bien avoir droit au même traitement. Ce qui rendrait une renégociation encore plus périlleuse pour le Québec

Mais, de toute façon, pourquoi renégocier – ou demander « les pleins pouvoirs » – quand le Québec n’utilise même pas tous les pouvoirs qui lui ont été accordés dans cet accord de 1991 ?

Selon plusieurs experts, dont André Burelle qui a négocié l’accord de 1991 pour le gouvernement fédéral, les accords conclus au cours des années avec Ottawa donnent déjà au Québec tous les outils nécessaires pour harmoniser l’exercice des pouvoirs du Québec et ceux du Canada en matière d’immigration, autant permanente que temporaire.

Il est vrai que le portrait de l’immigration a beaucoup changé depuis quelques années. Aujourd’hui, c’est l’immigration temporaire – surtout des travailleurs étrangers, des étudiants et des demandeurs du statut de réfugié – qui constitue le groupe dont le nombre augmente le plus rapidement. Il y en avait plus d’un demi-million à la fin de 2023.

Mais en vertu des ententes conclues avec Ottawa, le Québec a le pouvoir d’autoriser ou de refuser l’entrée de travailleurs étrangers temporaires ou d’étudiants en séjour temporaire. Il a aussi la possibilité d’en limiter le nombre en établissant un plafond annuel, pouvoir qu’il n’a jamais exercé.

Pas plus qu’il n’a saisi le comité mixte de hauts fonctionnaires des deux gouvernements, qui doit s’assurer du bon fonctionnement de ces accords et de rendre effectif le consentement du Québec à l’admission d’immigrants.

Cette semaine encore, le premier ministre Legault parlait d’un plan pour réduire l’immigration temporaire et de « rétablir un minimum de rapport de force avec Ottawa ». Mais son rapport de force, il existe déjà, il se trouve dans plusieurs accords signés avec Ottawa depuis des décennies.

Sauf qu’il semble que marquer des points politiques sur le dos d’Ottawa soit plus intéressant pour ce gouvernement que d’utiliser efficacement les pouvoirs qu’il possède déjà.

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