Chaque vendredi, nous revenons sur la semaine médiatique d’une personnalité, d’une institution ou d’un dossier qui s’est retrouvé au cœur de l’actualité.

Un budget comme celui présenté cette semaine par le ministre des Finances, Eric Girard, ne se prépare pas en vase clos.

Il est précédé d’un processus de consultations prébudgétaires au cours duquel les différents acteurs de la société civile sont invités à soumettre leur position ou leurs demandes. Ils le font dans un mémoire et, s’ils y sont invités, dans le cadre de rencontres avec le ministre ou son équipe1.

À voir l’insatisfaction généralisée qui s’exprime depuis mardi, je me suis demandé si ce processus de consultation était une perte de temps ou un exercice utile. J’ai posé la question à des personnes qui y ont participé.

« C’est un mélange des deux », me répond franchement un ancien ministre des Finances qui préfère ne pas être nommé pour parler plus librement.

« Je dirais que c’est une figure imposée, poursuit-il. On ne peut pas l’éviter, mais il y a certains organismes, soyons honnêtes, on connaît déjà leur position. On sait ce qu’ils vont nous dire. »

Le ministre peut recevoir plusieurs centaines de mémoires. Son équipe lui prépare des résumés. Au total, il rencontrera peut-être une vingtaine d’organismes. Une équipe formée du personnel politique et de fonctionnaires se chargera des autres rencontres*.

C’est toujours bon qu’un ministre entende d’autres personnes que ses conseillers. Cela dit, pour être bien honnête, c’est très difficile d’avoir une influence. Le parti au pouvoir s’est déjà avancé sur ses grands engagements. Ensuite, il y a une série d’allers-retours entre le bureau du ministre des Finances et le bureau du premier ministre et, à la fin, c’est lui qui a le dernier mot.

Un ancien ministre des Finances ayant témoigné sous le couvert de l’anonymat

Il faut donc avoir des attentes raisonnables, si l’on en croit cet ancien élu. « J’ai déjà vu des gens semer des graines qui ont donné des résultats quelques années plus tard, dit-il, ce qui montre que ces rencontres servent à quelque chose. La réalité, c’est qu’il y a plusieurs chemins pour faire avancer ses idées. »

Parlons fiscalité

Luc Godbout est de ceux qui rencontrent le ministre des Finances régulièrement dans le cadre de ce processus prébudgétaire. Titulaire de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke, il a également l’habitude d’accueillir M. Girard au lancement annuel du bilan de la fiscalité préparé par son équipe, en janvier. « Le ministre en profite pour y annoncer les thèmes qui guideront ses consultations prébudgétaires », explique M. Godbout.

Cette année, l’équipe de la Chaire a présenté un mémoire dans lequel elle plaidait, entre autres, pour le resserrement des critères d’admissibilité au crédit d’impôt pour la production de titres multimédias, une mesure qu’on retrouve bel et bien dans le budget Girard. « C’était une proposition qu’on fait depuis plusieurs années, preuve que ce processus de consultation doit se concevoir sur le long terme », explique le professeur d’université qui encourage ses étudiants à s’intéresser à cet exercice qu’il juge utile, somme toute.

Un exercice qui en vaut la peine

Parmi les quelques centaines de mémoires qui ont été soumis cette année, on retrouve celui du Chantier de l’économie sociale, un réseau qui représente 220 000 travailleurs et travailleuses. Les représentants du Chantier ont rencontré une équipe du ministère des Finances pour la deuxième année d’affilée. Le jeu en valait-il la chandelle ? « Ça a été une expérience très positive, lance Jacob Homel, directeur des affaires publiques de l’organisme. Leurs questions étaient pertinentes et nous indiquaient que notre mémoire avait été lu. À partir des questions qu’ils nous ont posées, on peut tenter de déduire quels sont les sujets d’intérêt à leurs yeux. »

Le budget est une consultation parmi d’autres, mais il y a d’autres lieux et d’autres moments dans l’année pour continuer à faire avancer nos dossiers.

Jacob Homel, directeur des affaires publiques du Chantier de l’économie sociale

La préparation d’un mémoire est un exercice qui demande beaucoup de temps et d’énergie pour un organisme comme le sien, M. Homel ne s’en cache pas. « C’est du temps bien investi, assure-t-il. Nous menons notre propre consultation auprès de nos réseaux, ça nous permet de prendre acte des besoins du mouvement qui représente 11 200 entreprises d’économie sociale et de dégager des priorités. »

Un exercice démocratique

Le son de cloche est tout aussi positif du côté de Christian Yaccarini, président de la Société de développement Angus qui a, lui aussi, rencontré l’équipe du ministre des Finances cette année. « L’an dernier, nous avions déposé un mémoire, explique-t-il, et cette année, nous avons sollicité une rencontre. »

L’homme d’affaires dit avoir apprécié l’écoute et l’échange lors de cette rencontre qui a duré environ une heure. Son objectif ? Obtenir une subvention de 50 millions pour acquérir des terrains dans l’est de Montréal. Dans le contexte, le message de la part du Ministère était clair : ce ne sera pas possible cette année. « On nous l’a expliqué clairement, sans fermer la porte pour l’avenir, dit-il. On s’est quand même sentis accueillis chaleureusement et je comprends qu’il y ait un arbitrage à faire de leur part. Une somme de 50 millions a été accordée aux banques alimentaires et, dans le contexte, je comprends tout à fait. »

M. Yaccarini ressort du processus avec la conviction qu’il y a énormément de compétence au ministère des Finances. « Ça m’a rassuré comme contribuable », lance-t-il, ajoutant qu’il apprécie cet exercice démocratique.

Tous les représentants de la société civile sont représentés. Moi, ça m’impressionne. Je ne suis pas certain qu’il y ait un processus aussi ouvert dans tous les pays.

Christian Yaccarini, président de la Société de développement Angus

On ne crachera pas sur un processus démocratique, aussi modeste soit-il. À condition d’avoir des attentes modérées. Et de ne jamais oublier qu’un budget demeure avant tout un exercice politique.

1. Consultez les mémoires et la liste des organismes qui ont rencontré le ministre des Finances ou son équipe  Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue