On dispose enfin d’un plan pour une sortie de crise en Haïti ! Mais quelles sont ses chances de succès ? Et quel rôle le Canada devrait-il jouer ? Notre chroniqueur en a discuté avec l’ambassadeur du Canada à l’ONU, Bob Rae, qui promet que le pays « ne va pas lâcher » Haïti.

« Si je passe dans la rue et que je vois quelqu’un qui fait une crise cardiaque, est-ce que je vais passer et dire : tant pis, j’espère que quelqu’un viendra vous aider ? Non ! On va agir face à une situation d’urgence. »

Bob Rae, ambassadeur du Canada à l’ONU, utilise cette image pour bien faire comprendre qu’il est du devoir du Canada d’aider Haïti à sortir de la crise dans laquelle ce pays s’enlise.

Il prononce le mot « solidarité ».

Il emprunte ensuite une formule du secrétaire général de l’ONU, António Guterres. « Dans le monde où nous vivons aujourd’hui, la solidarité est une nécessité. »

Et d’ajouter, au sujet de la crise en cours en Haïti : « Du point de vue humanitaire, on n’a pas le choix. On a une obligation. »

J’ai joint Bob Rae à son bureau de New York. Je me disais que si quelqu’un peut nous aider à comprendre comment le Canada peut contribuer à résoudre le casse-tête haïtien, c’est bien lui.

Ce diplomate s’est fortement impliqué dans le dossier au cours des dernières années. Depuis qu’il a été nommé à l’ONU, en 2020, il s’est rendu à trois reprises en Haïti. La première fois, c’était peu de temps après l’assassinat du président Jovenel Moïse (en juillet 2021). Et la dernière fois, c’était en décembre 2022, en tant qu’envoyé spécial de Justin Trudeau – pour dresser un portrait de la situation.

Il était aussi en Jamaïque lundi dernier lors de la réunion d’urgence des membres de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), qui a – enfin ! – débouché sur une solution de compromis avec comme objectif une sortie de crise.

C’est à ce moment que le premier ministre Ariel Henry a fini par annoncer sa démission et qu’on a décidé de mettre en place un Conseil présidentiel de transition. Une fois formé, celui-ci devra entre autres nommer un nouveau premier ministre, un gouvernement « inclusif » ainsi qu’un conseil électoral provisoire.

Un développement positif, reconnaît Bob Rae, qui refuse de s’emballer. Il rappelle d’ailleurs que la démission d’Ariel Henry n’est pas encore effective. Elle est conditionnelle au succès des pourparlers en cours.

J’étais heureux [du dénouement en Jamaïque], mais, franchement je suis prudent. C’est toujours possible que ça ne marche pas, ça dépend complètement des décisions des gens.

Bob Rae, ambassadeur du Canada à l’ONU

Dans ce contexte, il cite le joueur de baseball Yogi Berra : « Ce n’est pas fini tant que ce n’est pas fini. »

Preuve que la prudence est de mise, l’ex-politicien me rappelle les circonstances de l’échec de l’accord de Charlottetown, au début des années 1990.

Bob Rae était alors premier ministre de l’Ontario. « Je m’étais dit : voilà, c’est fait ! La négociation est finie ! C’est maintenant le moment de la ratification. On a les votes… Et on a perdu. »

J’ajoute que même si on parvient à un accord sur le plan politique en Haïti, le problème sécuritaire va demeurer entier.

PHOTO CLARENS SIFFROY, AGENCE FRANCE-PRESSE

Manifestants à Port-au-Prince, mardi

Les gangs en Haïti contrôlent désormais la majeure partie de la capitale et semblent se comporter comme s’ils étaient rois et maîtres de l’endroit.

C’est très grave. Il est de plus en plus difficile de les contrôler [les gangs] et d’arrêter leur progrès. Ils deviennent de plus en plus agressifs face à toutes les situations. Chaque fois qu’il y a une décision, ils sont contre la décision.

Bob Rae, ambassadeur du Canada à l’ONU

Jeudi, on rapportait que le plus connu des chefs de gang, Jimmy Chérizier, a dit avoir « vu des pays de la CARICOM en train de décider pour le peuple haïtien ». Il a, du même coup, promis de « continuer la lutte pour la libération d’Haïti ».

« Franchement, pour moi, Barbecue [surnom de Chérizier], c’est un criminel. C’est mon opinion, il peut la rejeter, mais c’est ce que je vois. Il fait des kidnappings, les gens sont tués par ses membres, c’est quelqu’un qui profite du malheur et de la pauvreté. Il est dans le business de la terreur », dit Bob Rae.

C’est pourquoi le déploiement de policiers dans le cadre d’une mission internationale (dirigée par le Kenya) est nécessaire. Et cette initiative – conditionnelle à l’établissement d’un Conseil présidentiel de transition – est désormais soutenue par une « bonne majorité de la population » en Haïti, pense le diplomate.

En revanche, il n’est toujours pas question pour le Canada d’avoir une « grande présence » au sein de la mission. Ottawa participera essentiellement au financement de cette force et à la formation de ses membres en mettant en place un camp d’entraînement à Kingston, en Jamaïque.

Mais Bob Rae prend soin de me dire que le Canada veut contribuer, par-dessus tout, à la consolidation de la police nationale haïtienne.

Un choix qui illustre bien le double dilemme d’Ottawa : comment aider Haïti dans le respect de sa souveraineté et comment s’assurer que le soutien sera, cette fois, durable.

Jusqu’ici, lorsqu’il y a eu des interventions internationales en Haïti, on a créé des institutions parallèles à celles qui existent dans ce pays, rappelle Bob Rae.

Mais « si les institutions [du pays] ne sont pas vraiment renforcées, si on ne leur donne pas une chance de vraiment faire le travail, on ne va pas réussir », dit-il.

C’est pour ça que le Canada insiste pour fournir une « aide directe à la police nationale haïtienne ».

Quant aux institutions politiques du pays, la suite des choses dépend essentiellement des Haïtiens.

« Est-ce qu’elles sont capables de répondre à la situation à la hauteur du défi ? lance Bob Rae. Je crois que c’est le moment de le faire. Et peu importe ce qui se passe, le Canada sera là. On ne va pas lâcher. »

Qui est Bob Rae ?

  • Né en 1948 à Ottawa
  • Premier ministre (NPD) de l’Ontario de 1990 à 1995
  • Député libéral fédéral de 2008 à 2013
  • Chef intérimaire du Parti libéral du Canada de 2011 à 2013
  • Ambassadeur du Canada à l’ONU depuis août 2020
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