Un matin de février, je me lève tôt, fébrile et heureuse. Je me prépare pour un dîner prévu depuis longtemps. Un dîner qui me confronte à ce que je veux, où je suis rendue, où je veux aller. Je n’ai plus le temps pour les mauvaises décisions. On vieillit tous et toutes, c’est au moins la justice en ce bas monde, mais que veut-on accomplir avant de lever les voiles ? Ce sont les pensées qui m’habitent en ce début de journée ensoleillée.

Eh bien, j’en ai eu pour mon argent en ce jour de dîner tant attendu ! En matinée, j’observe en moi un symptôme indolore, mais inquiétant. Mon esprit s’emballe : qu’est-ce que j’ai ? Quel est cet intrus qui s’impose sans crier gare et qui m’oblige à chambouler complètement mes activités ?

Je dois me résigner. La fin de semaine approche, toutes les cliniques seront fermées et je me dirai : pourquoi tu n’as pas consulté ? Je dois abdiquer devant l’évidence. J’annule mon dîner et je me mets à la recherche d’une consultation médicale. Après plusieurs appels, j’obtiens un rendez-vous, un peu loin de chez moi, mais au moins j’en aurai le cœur net. Le médecin est disponible, sympathique et à moitié rassurant, me suggérant de voir rapidement un spécialiste.

Sur le chemin du retour, je décide néanmoins d’aller à l’urgence. Eh oui, à l’urgence ! Le médecin l’a écrit : suivi rapide. C’est quoi, la définition de « rapide », quand vous êtes pas mal dans le flou ?

J’arrive en milieu d’après-midi à ladite urgence et là, le ballet médical, ou l’attente médicale, devrais-je dire, commence. J’en sortirai 12 heures plus tard, plutôt rassurée. L’attente est longue, mais le service est professionnel et cordial. Je passe de l’habillement que j’avais prévu pour mon dîner à celui, moins glamour, d’une jaquette d’hôpital avec mon manteau par-dessus. Changement de look, et dose d’humilité nécessaire face aux surprises que la vie peut nous apporter.

En toute fin de soirée, entre dans le cubicule où j’attends pour la consultation une jeune médecin dynamique. Elle me dit spontanément : « Mon Dieu, vous avez l’air jeune ! » Gentil compliment d’autant apprécié qu’à ce moment, la coquetterie est pas mal le dernier de mes soucis. Car mon corps me rappelle qu’il ne rajeunit pas ! Elle me prescrit d’autres examens. Nous terminerons cette consultation assez tard dans la nuit, seules toutes les deux dans un bureau un peu glauque, à une heure où les défenses nous lâchent et qu’un monde plus silencieux prend le dessus. Bizarre à dire, mais je ressens une certaine paix dans cette pièce sombre et silencieuse. Une sorte de calme face à la prise en charge et au professionnalisme des interventions.

Aux urgences, comme on le voit dans STAT, les cas peuvent être très graves, entre la vie et la mort. Moi, j’ai vécu la petite urgence ordinaire, celle qui remplit les salles d’attente de nos hôpitaux, avec les visages de toutes sortes de misère humaine. En sortant à 2 h du matin, j’ai traversé cette salle encore bondée. Les gens tentent de trouver le sommeil sur leur chaise droite, en attendant leur tour. Chaque personne a son histoire, son angoisse, sa douleur, ses appréhensions, son âge et son statut médical. Personne n’a choisi d’être là. On est là parce qu’on sait que la médecine peut nous aider, nous soulager, et même, espérons-le, nous guérir. Chacun, assis sur sa chaise, partage malgré lui, avec les autres, dans le noir de la nuit, la solidarité de la maladie, de la vulnérabilité.

La salle d’attente que j’ai occupée pendant plusieurs heures est un microcosme de notre société, celle dont on doit s’occuper avec humanité, ouverture et compassion pour conserver la dignité que l’on souhaite pour tous.

Tous les professionnels, les bénévoles très nombreux, les gardes de sécurité, les préposées, les agents administratifs, tous jouent un rôle central dans l’équilibre, souvent fragilisé, de cet univers hospitalier. Toute cette chorégraphie médicale est essentielle. Les défis de soins et d’attente sont énormes et nous sommes condamnés à les relever.

Je me suis couchée en me disant que la vie pouvait passer du dîner attendu et espéré, en bonne compagnie, à un parcours qui change subitement. Cela me rappelle que, toujours, absolument toujours, la vie aura ses hauts et ses bas, ses moments insouciants et chaleureux et d’autres plus angoissants. Nous sommes égaux devant la finitude de l’existence. Le chemin à parcourir est inégal, injuste et tellement dur pour certains, contrairement à d’autres trajets plus privilégiés. La salle d’attente incarnait autant l’espoir que l’inquiétude de notre vulnérabilité.

Le lendemain matin, j’ai reçu une vidéo de la première descente en skis de mon petit-fils de 28 mois ! L’émotion de voir éclore la vie pleine de confiance et d’espoir adoucit les résidus moins glorieux d’un autre genre de journée de la mamie, affairée à tout mettre en place pour profiter le plus longtemps possible du privilège qu’est celui de regarder un bébé grandir et mordre dans la vie, entouré d’amour.

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