Vous êtes une Québécoise dans la vingtaine et vous trouvez que les hommes de votre âge sont idéologiquement beaucoup plus conservateurs ?

Eh bien, non : vous n’avez pas la berlue.

L’écart idéologique entre les jeunes hommes et les jeunes femmes s’est accru de façon importante au Québec depuis 2015, selon les résultats de l’Étude électorale canadienne. Les jeunes femmes sont de plus en plus à gauche idéologiquement, alors que les hommes de 18-29 ans sont restés relativement au centre.

Ce n’est pas un phénomène propre au Québec ou au Canada. On constate la même tendance aux États-Unis, en Allemagne, au Royaume-Uni ou en Corée du Sud, a conclu le Financial Times dans un article publié à la fin de 2023 après avoir analysé les données de la firme Gallup. « Des dizaines de millions de personnes qui occupent les mêmes villes, les mêmes lieux de travail, les mêmes salles de classe et même les mêmes maisons ne voient plus les choses de la même façon », écrit le chroniqueur John Burn-Murdoch⁠1.

J’ai voulu vérifier si cette tendance était aussi vraie dans notre village d’Astérix, le Québec. À ma demande, l’équipe de la Chaire de recherche du Canada en démocratie électorale de l’Université de Montréal a analysé les données de l’Étude électorale canadienne, dans le cadre de laquelle les Canadiens et les Québécois déclarent où ils se situent sur l’axe gauche-droite sur le plan idéologique.

Les résultats sont clairs : l’écart idéologique entre les genres se creuse aussi parmi les Québécois dans la vingtaine.

En 2015, les jeunes femmes québécoises étaient un peu plus à gauche que les jeunes hommes, mais à peine. Sur une échelle de 0 à 10 (0 étant le plus à gauche possible, 5 le centre, et 10 le plus à droite possible), les Québécoises dans la vingtaine s’autodéclaraient en moyenne à 4,61 (un peu à gauche) et les hommes du même âge en moyenne à 4,98 (au centre), soit un écart relativement minime de 0,37.

En 2019, cet écart a augmenté de façon importante à 1,10. En 2021, l’écart était de 0,83. Les jeunes femmes étaient à plus à gauche, à 4,02, les jeunes hommes relativement au centre, à 4,86.

Dans la population générale québécoise (tous âges confondus), l’écart idéologique entre les genres est passé de 0,09 en 2015 à 0,49 en 2021.

En 2021, l’écart idéologique entre les genres est presque deux plus élevé chez les 18-29 ans (0,83) que dans la population générale (0,49).

Pourquoi cet écart ?

Est-ce l’élection de Donald Trump ? Le recul du droit à l’avortement aux États-Unis ? Le mouvement #moiaussi ? Les inégalités salariales ?

Il n’y a pas un seul, mais plusieurs facteurs qui expliquent ces différences idéologiques entre les genres chez les jeunes, croit Ruth Dassonneville, professeure en sciences politiques à l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en démocratie électorale.

« Les femmes sont plus nombreuses à aller à l’université, et il y a une corrélation entre le niveau d’éducation et les attitudes progressistes, dit-elle. La signification gauche-droite a aussi changé. Ce n’est plus seulement une question économique, la gauche symbolise aujourd’hui plusieurs enjeux importants pour les femmes comme l’environnement, l’avortement et les enjeux LGBTQ2+. »

Les jeunes Québécoises n’ont pas toujours été plus à gauche que les jeunes Québécois. En 2004 et en 2008, elles étaient idéologiquement plus à droite que les jeunes hommes. En 2008, elles avaient ainsi une cote idéologique de 4,48 (sur 10), comparativement à 4,00 pour les hommes dans la vingtaine. Pourtant, dans la population générale (tous âges confondus) cette année-là, les hommes étaient légèrement plus au centre (4,76) que les femmes (4,66).

Qu’est-ce que ça change ?

Qu’est-ce que ça change que les jeunes femmes penchent plus à gauche ?

Premier constat évident : ça fait pencher la société davantage à gauche, et les décideurs politiques devront s’adapter à cette nouvelle réalité, estime la sociologue Diane Pacom, professeure émérite à l’Université d’Ottawa.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Les jeunes Québécoises n’ont pas toujours été plus à gauche que les jeunes Québécois. En 2004 et en 2008, elles étaient idéologiquement plus à droite que les jeunes hommes.

Mais au-delà de la politique, pourrait-il y avoir d’autres conséquences dans la vie en société ? Moins d’amitiés hommes-femmes ? Davantage de désaccords idéologiques dans les couples hétérosexuels ? Ultimement, moins de couples hétérosexuels ?

Dans un éditorial publié l’automne dernier, le Washington Post s’est avancé sur cette question très délicate.

Aux États-Unis, 41 % des jeunes femmes qui étudient à l’université accepteraient un rendez-vous galant avec un homme qui ne vote pas pour le même parti (démocrate ou républicain) qu’elles. Or, 67 % des étudiants, eux, accepteraient⁠2.

Qu’une jeune Américaine progressiste ne veuille rien savoir de fréquenter un trumpiste opposé au droit à l’avortement, ça se comprend parfaitement. Et vice-versa.

Mais si l’écart idéologique grandissant tracasse l’équipe éditoriale du Washington Post, c’est parce que les convictions politiques « deviennent plus centrales à l’identité d’une personne » dans une société de plus en plus clivée. En plus, les convictions politiques au début de la vie adulte ont une grande influence sur les convictions politiques tout au long de sa vie, selon une étude américaine⁠4.

Est-ce possible qu’il s’agisse seulement d’un phénomène passager ?

La professeure Ruth Dassonneville en doute. Même si, traditionnellement, l’écart idéologique entre les genres est moins grand pour les groupes plus âgés, « l’écart est beaucoup plus prononcé chez les jeunes femmes actuellement, dit-elle. On ne voyait pas de tels écarts chez les jeunes femmes des générations précédentes. »

« Ça suggère que quelque chose est en train de se passer dans la société », dit Ruth Dassonneville.

La gauche et la droite

À gauche, on constate :

  • des positions généralement plus progressistes ;
  • un appui à davantage d’interventions de l’État dans l’économie et davantage de réglementation ;
  • un appui à un fardeau fiscal plus élevé, davantage de redistribution de la richesse, un État de taille plus imposante ;
  • une importance accrue aux questions environnementales, des droits de la personne et du droit à l’avortement.

À droite, on constate :

  • des positions généralement plus conservatrices ;
  • un appui à moins d’interventions de l’État dans l’économie et moins de réglementation ;
  • un appui à un fardeau fiscal plus faible, moins de redistribution de la richesse, un État de taille plus petite ;
  • une importance moindre accordée aux questions environnementales et aux droits de la personne ;
  • un appui moindre à la protection généralement moins grande du droit à l’avortement.

Lors de l’Étude électorale canadienne, on ne donne pas de définition de la gauche et de la droite aux répondants, qui s’autoévaluent selon leur propre définition de la gauche et la droite.

Et ailleurs au pays ?

Dans le reste du Canada (ROC), l’écart idéologique entre les femmes et les hommes dans la vingtaine est actuellement plus élevé qu’au Québec. L’écart est en moyenne de 0,98 pour le ROC, contre 0,83 au Québec. Les jeunes Canadiennes sont plus progressistes que les jeunes Canadiens. Pourtant, dans le ROC en 1997, il n’y avait pas d’écart idéologique entre les deux genres chez les jeunes dans la vingtaine, qui se définissaient tous deux en moyenne au centre (moyenne de 5,0 sur 10). L’écart a augmenté de façon importante en 2015 et est resté élevé depuis.

1. Lisez l’article « A new global gender divide is emerging » du Financial Times (en anglais, abonnement requis) 2. Consultez le sondage (en anglais) 3. Lisez l’éditorial « If attitudes don’t shift, a political dating mismatch will threaten marriage » du Washington Post (en anglais, abonnement requis) 4. Consultez l’étude (en anglais) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue

Appel à tous

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