Le 2 novembre dernier, à Montréal, une centaine de personnes se sont réunies pour rendre hommage à Brian Mulroney. Nous en avons tous été marqués.

L’évènement avait lieu dans le cadre de la campagne de financement de l’Université Laval pour la fondation du Carrefour international Brian-Mulroney, un lieu destiné à devenir « un pôle d’excellence francophone en enseignement et en recherche pluridisciplinaires sur les enjeux internationaux ».

La rumeur voulait que M. Mulroney fût trop malade pour se présenter. Tout de même, juste au cas, un fauteuil roulant l’attendait à l’entrée du Club Saint-James.

Tout à coup, le silence se fit. Et Brian Mulroney entra dans la salle, debout, droit comme un piquet, au bras de sa complice de toujours, Mila.

Ceux qui ne l’avaient pas vu depuis quelque temps furent frappés par sa maigreur, ses traits tirés. Nul doute qu’il lui fallait un effort surhumain pour traverser la salle en souriant et se rendre jusqu’au fauteuil qui lui était réservé.

La rectrice de l’Université Laval, Sophie D’Amours, mena l’entrevue avec l’ancien premier ministre. Il expliqua pourquoi il était si fier de voir son nom associé à ce grand projet, et combien il était important que les Québécois prennent toute leur place dans la diplomatie canadienne et internationale. Il fallait tendre l’oreille, sa belle voix grave était à peine audible. Mila lui souffla : « Parle plus fort… » « C’est ça ! s’emporta-t-il en blague. C’est comme à la Chambre des communes, les gens d’en face m’interrompaient sans arrêt ! » Il avait l’auditoire dans sa poche !

Plus il parlait, plus il racontait, plus la voix, le sourire, la forme revenaient. Alors que Mme D’Amours s’apprêtait à clore l’entretien, M. Mulroney commença à raconter une autre anecdote : « Nous étions au Château Frontenac… » Bon, se dirent certains, le vieux monsieur radote. Non. Brian Mulroney allait raconter comment, lors de la visite du président américain Ronald Reagan à Québec en mars 1985, s’étaient amorcées les négociations devant mener au traité de libre-échange avec les États-Unis : « Nous étions des petits Québécois, on ne connaissait rien, et voici qu’on discutait avec la plus grande puissance du monde ! »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Brian Mulroney en 2016

Et, après avoir relaté quelques réussites de son gouvernement, M. Mulroney conclut, sourire en coin : « Pas mal, pour un p’tit gars de Baie-Comeau ! »

L’entrevue terminée, quelques discours et un peu de musique plus tard (When Irish Eyes Are Smiling, la chanson préférée de l’invité d’honneur), la soirée était terminée. De nombreux participants se dirigèrent vers M. Mulroney pour lui serrer la main. Sous l’œil inquiet de ses proches, il se leva pour rencontrer les gens debout, les regarder dans les yeux, un par un. « Comment ça va, cher… » Il se rappelait le nom de chacun ou chacune, se souvenait d’un détail – enfants, maladie, anniversaire.

« Ah ! Monsieur le Sénateur ! » Je n’avais pas vu M. Mulroney depuis 10 ou 15 ans.

Debout à côté de l’ancien premier ministre, son grand ami Lucien Bouchard, l’air protecteur. Les deux hommes, qui ne se parlaient plus depuis l’échec du lac Meech, s’étaient réconciliés depuis peu, nous donnant à tous une grande leçon de vie et d’amitié.

Nous savions combien nous étions privilégiés de serrer la main de ce grand homme, d’un talent politique et d’une générosité humaine extrêmement rares. Mais il y avait de la tristesse dans l’air. Je me sentais comme lorsqu’on quitte un vieux parent à l’hôpital, sachant très bien que c’est la dernière fois qu’on se voit.

Une grande admiration

J’étais jeune reporter sur la colline Parlementaire à Ottawa lorsque Brian Mulroney est devenu chef du Parti progressiste-conservateur du Canada, il y a 40 ans. Au cours d’une entrevue dans sa superbe maison de Westmount, je lui avais demandé comment il comptait réconcilier le Québec et le Canada, à la suite du rapatriement de la Constitution, en 1982, sans l’accord de l’Assemblée nationale. Il avait sorti une petite feuille de papier de sa poche : un « plan en trois points ». Ça me semblait tellement superficiel ! À l’époque, je me suis trompé du tout au tout sur l’homme et sur le politicien.

Nos parcours se sont croisés à plusieurs reprises au fil des années.

Mon scepticisme du début s’est transformé en grande admiration alors que le premier ministre a fait preuve d’une vision et d’un courage remarquables dans ses réussites comme dans ses échecs.

Nous avons connu un conflit personnel, par ma faute, et il m’en a voulu pendant quelque temps. Mais l’incorrigible charmeur a vite refait surface.

Depuis sa mort jeudi, les hommages pleuvent, non seulement au Canada, mais aussi dans le monde. On fait le récit de ses réalisations – le libre-échange, la fin de l’apartheid, la TPS – et des drames qu’il a vécus, notamment en tentant désespérément de combler le fossé entre le Québec et le reste du pays. Un consensus se dégage : Brian Mulroney aura été l’un des plus grands premiers ministres de l’histoire du pays. Pas si mal pour un p’tit gars de Baie-Comeau !

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