Chaque vendredi, nous revenons sur la semaine médiatique d’une personnalité, d’une institution ou d’un dossier qui s’est retrouvé au cœur de l’actualité

Il faut que je vous parle de panencéphalite subaiguë sclérosante.

Certains froncent peut-être les sourcils en lisant ces mots. D’autres, probablement, haussent les épaules. Normal, j’ai eu la même réaction.

C’est le pédiatre Arnaud Gagneur qui m’a parlé de cette maladie – que je ne connaissais pas – quand je lui ai demandé ce qui se passerait si on cessait de vacciner nos enfants contre la rougeole.

Réponse courte ?

« On reviendrait à la situation antérieure, où la rougeole contaminait tous les enfants. »

Réponse longue ?

« On se dit : ça fait partie des maladies infantiles, alors ce n’est pas très grave. Sauf que ce qu’il faut savoir, c’est qu’un enfant sur dix faisait une pneumonie. Et que ce qui était gravissime, c’est qu’un enfant sur 1000 faisait ce qu’on appelle une panencéphalite subaiguë sclérosante. En gros, c’est une atteinte du cerveau irréversible. Ça détruit le cerveau. »

Rappelons aussi que les adultes, s’ils sont contaminés par la rougeole, font en général « des formes plus graves que les enfants ».

Le DGagneur ne cherche pas à faire paniquer qui que ce soit. Il répondait simplement à ma question. Il tentait aussi d’illustrer pourquoi les autorités de santé publique du Québec sont ces jours-ci sur un pied d’alerte quant au retour de la rougeole.

Elles ne font pas d’excès de zèle, selon lui.

C’est extrêmement dangereux de laisser les taux de couverture vaccinale diminuer.

Le DArnaud Gagneur, pédiatre

Comment expliquer ce qui se passe ?

Plusieurs facteurs sont en cause, selon Ève Dubé, professeure d’anthropologie de l’Université Laval, spécialiste de la prévention des maladies infectieuses.

« Il y a eu des ruptures de services pendant la pandémie », rappelle-t-elle. L’accès aux services de vaccination contre la rougeole n’a probablement pas été optimal. Certains parents ont pu manquer le rendez-vous pour faire vacciner leur enfant, par exemple. Des écoles ont peut-être manqué de ressources pour mettre de l’avant des stratégies de rattrapage, etc.

J’avais déjà interviewé à quelques reprises cette experte et je savais qu’elle était aussi spécialiste de l’hésitation vaccinale. Elle précise que ce phénomène est également à la source du retour en force de la rougeole au Québec.

On sait que ce vaccin suscite des craintes. Il y a eu différents mythes depuis la fin des années 1990, donc il y a certaines préoccupations qui existent chez les parents.

Ève Dubé, spécialiste de la prévention des maladies infectieuses

« Ça fait partie de l’équation qui explique les moindres taux de vaccination. Et c’est un enjeu pour lequel on doit faire un meilleur travail, pour trouver des façons de surmonter ces craintes-là. »

Sans compter, bien sûr, la « fatigue vaccinale » liée à la pandémie de COVID-19.

Le faible taux de couverture vaccinale contre la rougeole à Montréal est particulièrement frappant.

Le taux qui confère une immunité collective est de 95 %. Or, ma collègue Marie-Eve Morasse rapportait que le taux dans l’ensemble des écoles primaires de la métropole est de 78 % et, au secondaire, de 80,7 %⁠1.

Mais ce n’est qu’une moyenne. Dans certaines écoles de Montréal, il aurait chuté à 30 % !

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Dans certaines écoles de Montréal, le taux de couverture vaccinale contre la rougeole aurait chuté à 30 %.

Quand je mentionne ce taux, la voix d’Ève Dubé au bout du fil se charge d’émotion. « Si c’est ça, c’est vraiment dramatique », dit la professeure, qui n’exclut pas que ce résultat catastrophique soit aussi lié à « des problèmes pour colliger l’information ».

C’est ironique, mais la vaccination est aussi victime de son succès, ajoute Arnaud Gagneur. Après m’avoir parlé de panencéphalite subaiguë sclérosante, il a évoqué un autre exemple : les ravages faits par la diphtérie (une maladie contagieuse caractérisée par une infection respiratoire) dans les années 1990 après la dissolution de l’Union soviétique.

Le système de santé a été ébranlé, la couverture vaccinale a rapidement chuté et des « épidémies massives de diphtérie » se sont soldées par des dizaines de milliers de cas et des milliers de morts, raconte-t-il.

On ne pense peut-être plus assez souvent à ce genre de cauchemars évitables.

Les maladies ont disparu, ce qui fait que les parents n’y sont plus confrontés, que c’est vraiment des choses du passé, donc la motivation à se vacciner n’est pas là par rapport à la peur qu’on peut avoir des maladies.

Le DArnaud Gagneur, pédiatre

« Ce qu’on voit plus, c’est toute la désinformation, toutes les craintes sur les effets indésirables, qui sont plus prépondérantes que la peur de la maladie », ajoute-t-il.

Pour lutter contre les craintes à l’égard de la vaccination, Arnaud Gagneur a mis sur pied un service de soutien pour répondre aux préoccupations des parents « sur les vaccins de routine et de rattrapage » baptisé MIIKOVAC⁠2.

Tous les parents au pays peuvent obtenir un rendez-vous avec un conseiller en vaccination et lui poser leurs questions.

Ces conseillers sont des spécialistes de l’immunisation, mais ils ont aussi reçu une formation pour offrir des « entretiens motivationnels ».

C’est-à-dire que « le conseiller aura une attitude empathique, non jugeante, bienveillante envers les parents, pour vraiment les aider à cheminer dans leurs réflexions sur la vaccination ».

Ces dialogues sont inspirés de ceux qui sont préconisés dans le cadre du programme EMMIE, qui offre des entretiens similaires aux nouveaux parents à travers le Québec.

« Beaucoup de parents nous ont dit que c’est un service très utile. Qu’ils étaient beaucoup plus en sécurité et, surtout, qu’ils comprenaient pourquoi ils prenaient la décision de faire vacciner leur enfant, rapporte le médecin. On est souvent plus motivé de faire quelque chose qu’on comprend. »

1. Lisez l’article « Encore deux nouveaux cas de rougeole à Montréal » 2. Découvrez le programme MIIKOVAC Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue