Le traditionnel discours sur l’état de l’Union prononcé par le président des États-Unis aura lieu jeudi et, pour vous dire bien franchement, il y a longtemps que je n’avais pas attendu cet évènement avec une telle impatience.

Je ne vais pas prétendre que le sort du scrutin présidentiel de novembre – et donc celui de la planète au grand complet – est lié à ce discours.

Sauf que…

À moins de 250 jours du scrutin présidentiel aux États-Unis, alors que son leadership est contesté et que les questions sur son âge font la manchette, le discours que Joe Biden va prononcer s’annonce déterminant.

D’autant plus que Donald Trump, lui, a le vent dans les voiles. La Cour suprême des États-Unis vient de confirmer son éligibilité au scrutin présidentiel de novembre. Et le « super mardi » devrait lui permettre de cimenter son avance sur sa rivale républicaine Nikki Haley.

Lisez notre guide sur le « super mardi »

J’en ai discuté avec deux universitaires spécialisés en politique américaine.

Ils sont du même avis.

Pour Joe Biden, « ce discours est important sur le plan électoral, c’est sa grande particularité, pour faire face aux critiques sur son âge », souligne la politologue de l’Université de Sherbrooke Karine Prémont.

« Qu’elles soient justifiées ou pas, ces critiques prennent beaucoup de place dans les médias et auprès des militants », ajoute-t-elle.

Si bien que le discours sur l’état de l’Union ne sera pas évalué, cette fois, uniquement sur le fond.

Il le sera aussi sur la forme.

« Sur la capacité de Joe Biden à ne pas faire d’erreurs, à ne pas hésiter, à ne pas trébucher sur les mots, à avoir l’air vigoureux lorsqu’il sera à la tribune », indique Julien Tourreille, chercheur en résidence à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l’UQAM.

Joe Biden devra carrément chercher à faire oublier son âge aux Américains pendant ce discours. S’il y parvient, sa mission aura été en bonne partie accomplie.

Ce qui ne veut pas dire que la teneur de son message sera secondaire. « Parce que, évidemment, c’est l’occasion de poser les premiers jalons du discours de campagne », fait remarquer l’expert.

Et de quoi doit-il parler ?

Le meilleur résumé du défi qui doit être relevé par Joe Biden nous a été offert, à mon avis, par Peggy Noonan, ancienne rédactrice de discours de Ronald Reagan.

« Il n’y a que trois sujets : l’Amérique chez elle (immigration illégale), l’Amérique dans le monde (Ukraine, Israël) et l’économie », a-t-elle écrit dans le Wall Street Journal.

« Il va essayer de convaincre les Américains que son administration a vraiment beaucoup fait pour améliorer les conditions de vie », prédit Karine Prémont.

Ce ne sera pas si facile…

L’inflation est en baisse, l’économie américaine se porte mieux, mais l’humeur de nombreux électeurs demeure morose.

Selon la firme de sondage Gallup, seuls 20 % des Américains se disaient, en janvier dernier, satisfaits de « l’état de la nation ». On note cependant que depuis la fin de l’année dernière, le moral des consommateurs américains est en hausse, signalait récemment l’Université du Michigan.

L’immigration est aussi un enjeu incontournable. C’est d’ailleurs pour cette raison que Joe Biden s’est rendu à la frontière mexicaine jeudi dernier. Il a interpellé Donald Trump pour le convaincre d’autoriser les parlementaires républicains à Washington à adopter le projet de loi sur la question.

  • Joe Biden s’entretient avec des agents de la patrouille frontalière américaine à Brownsville, au Texas, le 29 février.

    PHOTO JIM WATSON, AGENCE FRANCE-PRESSE

    Joe Biden s’entretient avec des agents de la patrouille frontalière américaine à Brownsville, au Texas, le 29 février.

  • Le même jour, l’ancien président Donald Trump était à Eagle Pass, toujours au Texas, aux côtés du gouverneur républicain de l’État, Greg Abbott (en fauteuil roulant).

    PHOTO ERIC GAY, ASSOCIATED PRESS

    Le même jour, l’ancien président Donald Trump était à Eagle Pass, toujours au Texas, aux côtés du gouverneur républicain de l’État, Greg Abbott (en fauteuil roulant).

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Il va sûrement réitérer cet appel lors de son discours au Congrès américain.

« Biden doit absolument démontrer qu’il en fait plus, qu’il fait mieux et qu’il veut faire diminuer le flot d’immigrants », résume Karine Prémont.

Le président démocrate cherchera aussi à convaincre les républicains qui bloquent l’aide destinée à l’Ukraine de cesser de se braquer.

Dans ces deux dossiers, sa stratégie aura à mon avis deux volets. Il voudra premièrement mettre la pression sur les plus fidèles alliés de Donald Trump, qui empêchent ces deux initiatives d’avancer.

Parallèlement, il tentera de démontrer aux électeurs potentiels qu’il est de bonne foi, mais que ses rivaux ne le sont pas.

À ce sujet, Julien Tourreille pense que le président « pourrait faire allusion à Mitch McConnell », le chef des républicains au Sénat américain. Ce sénateur, qui vient d’annoncer qu’il quittera son poste, n’est pas toujours sur la même longueur d’onde que Donald Trump. Il est ainsi notoirement favorable à l’octroi de l’aide militaire à l’Ukraine.

En le citant en exemple, le président américain pourrait « dire qu’il y avait des gens dans le Parti républicain avec qui on pouvait travailler et que la démocratie américaine pouvait fonctionner », dit l’expert.

Mais c’est aujourd’hui de plus en plus difficile, en grande partie en raison de Donald Trump, pourra plaider Joe Biden.

Et il n’aura pas tort.

Or, le sort de la démocratie et celui du droit à l’avortement demeurent à mon sens les deux sujets les plus porteurs pour le président démocrate.

Ce sont ces enjeux qui ont permis à son parti de sauver les meubles – à la grande surprise de nombreux analystes – lors des élections de mi-mandat en 2022.

Deux enjeux qui pourraient contribuer à la réélection de Joe Biden en novembre.

Mais pour ça, il devra avant tout, dès jeudi, persuader une majorité d’Américains qu’il n’est pas trop vieux pour diriger le pays.

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