Le candidat Donald Trump défie la logique et le bon sens, et il faut admettre à son sujet cette vérité désagréable : tout ce qui devrait normalement le faire tomber contribue à le renforcer.

Malgré les déclarations irresponsables et fracassantes, la fraude financière, les agressions sexuelles, les tentatives de manipulation du vote, les entraves à la justice et les mensonges répétés, non seulement l’engouement pour sa candidature ne s’effondre pas, mais il monte. Signe des temps, depuis quelques semaines, les preneurs aux livres de Las Vegas le donnent favori face à Joe Biden : si vous avez envie de miser quelques dollars, sachez que Trump a désormais 44 % de chances de l’emporter, contre 27 % pour Biden⁠1. Au point où il faut désormais envisager sérieusement la possibilité de son retour à la tête des États-Unis.

Comment expliquer le succès de Trump, autrement qu’en soulignant la faiblesse (bien réelle) de son adversaire et la folie (en partie réelle) de son électorat ?

Voici mon hypothèse : la candidature de Trump fait résonner un mythe profondément ancré dans l’imaginaire des États-Unis, un mythe que les Américains ont eux-mêmes inventé et qui continue d’agir dans leur vie culturelle et politique, celui du cowboy rebelle. Il n’y a en effet qu’un seul pays au monde où les hors-la-loi sont entrés dans la légende, où ils font l’objet d’un culte, où on continue de célébrer leurs aventures : les États-Unis.

Trump se comporte en politique comme s’il vivait au temps du Wild West, parmi les brutes et les truands, les Billy the Kid, Calamity Jane et Wyatt Earp. Et contre toute attente, ce comportement plaît à son électorat.

Quand, le 24 août dernier, Trump s’est rendu dans le comté de Fulton, en Géorgie, pour répondre aux 91 chefs d’accusation de fraude et de manipulation électorales déposés contre lui, il a été pris en photo par les services du shérif de l’endroit. Sa photo d’identité judiciaire (le mugshot) a fait le tour du monde : c’était la première fois de l’histoire des États-Unis qu’un ancien président faisait l’objet d’une telle procédure.

La mine sombre et renfrognée de Trump révèle un homme en colère, qui a décidé de jouer jusqu’au bout son rôle de hors-la-loi. Il suffit en effet d’ajouter au-dessus de son portrait le mot « Wanted » ainsi que la promesse d’une prime généreuse, et la chasse au renégat peut commencer, comme à l’époque de Jesse James. Sauf que dans cette histoire, c’est Trump qui touche la récompense : dans les cinq jours suivant la diffusion de cette photo, sa campagne amasse 7,1 millions de dollars en dons. Depuis lors, l’image fait aussi l’objet d’une mise en marché lucrative et savamment orchestrée (t-shirts, affiches, tasses à café, jetons non fongibles (NFT), etc.).

Pour bien des Américains, à tort ou à raison, Trump apparaît comme un individu fort et indépendant, qui ne s’embarrasse d’aucune des règles habituelles et affirme sans gêne sa singularité. Au sein de l’élite new-yorkaise où il a grandi, on s’est toujours moqué de lui, parce qu’il ne maîtrisait pas les codes, ne possédait pas la « bonne » éducation, et il s’est habitué à faire cavalier seul, à concevoir sa vie et sa carrière selon le principe du « moi contre tous ». Il se comporte en mésadapté, en misfit, dont les manières brutales forcent tout le monde à se plier à lui.

PHOTO TIMOTHY A. CLARY, AGENCE FRANCE-PRESSE

Donald Trump pendant un évènement de campagne au New Hampshire, plus tôt cette année

Même son teint exagérément bronzé rappelle le visage buriné par le soleil des lonesome cowboys (pensons à John Wayne, vedette de films westerns), comme s’il s’agissait de rappeler qu’il était toujours en cavale, sur le point de se battre en duel et de dégainer. Son comportement lors du débat avec Hillary Clinton sur Fox en 2016, odieux selon les critères normaux, s’éclaire si on suit cette logique : Trump agit comme un bandit sans honneur, comme une brute impossible à réfréner, prêt à toutes les bassesses pour l’emporter.

Un individualisme aussi asocial a le mérite de plaire aux plus riches, dont certains aiment penser, comme Elon Musk, que les règles normales ne s’appliquent pas à eux, que la quête du profit transcende les lois de l’État.

Mais l’individualisme de Trump plaît aussi aux plus défavorisés, écrasés par un système qui ne leur fait aucune place, qui croient reconnaître dans leur candidat une victime semblable à eux, en révolte contre l’establishment.

Par ses bravades et sa virilité ostentatoire, Trump joue aussi au justicier sans pitié, qui promet de nettoyer Washington et de mettre au pas ses institutions (« clean the swamp »). Dans ses rassemblements, Trump insiste beaucoup sur sa capacité à protéger les Américains, ce qui rappelle que le cowboy est (presque) toujours un homme blanc, prêt à combattre la menace « étrangère », d’où qu’elle vienne. La méfiance envers les immigrants et les membres des minorités alimente un racisme que Trump encourage lui-même dans ses discours. Et ce n’est pas un hasard s’il a été élu juste après Barack Obama, le premier président noir de l’histoire des États-Unis, alors que pour bien des Blancs, il fallait de toute urgence « reconquérir » la Maison-Blanche…

Les Américains ont toujours entretenu une forme de défiance envers l’État. En se moquant du processus électoral et de la justice, en enfreignant les lois les unes après les autres, Trump leur donne la possibilité d’exprimer cette défiance à un niveau jamais vu. La question est maintenant de savoir jusqu’où les Américains voudront le suivre dans cette dangereuse chevauchée.

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