François Legault est un fin renard. Il (lui ou ses conseillers) utilise les mots de manière ratoureuse. C’est dissicile. Ça va bien aller ! Je suis fâché ! Le PM adore aussi parler des mots des autres, ceux des auteurs qu’il recense le samedi sur X, admiratif mais pas trop. Avec lui, c’est le cœur qui parle. Et il parle simple, à défaut de parler vrai.

M. Legault exprime des sentiments bruts. Son discours n’a pas le panache de celui d’un chef d’État français, et est plus trivial que celui de beaucoup de premiers ministres québécois. C’est « papa Legault », cette figure familière née avec la pandémie, qui s’exprime sans filtre apparent, dans toutes sortes de circonstances. Ses mots sont d’apparence imprécise et maladroite.

Ce registre si particulier qui a fait sa force lors de son premier mandat est un élément qui contribue aujourd’hui à son déclin. Depuis deux ans, la cote de popularité de la Coalition avenir Québec (CAQ) chute. D’autant qu’on a vu apparaître un nouvel adversaire parlementaire, Paul St-Pierre Plamondon (surnommé PSPP), éloquent, précis, au style verbal élégant qui clashe avec celui de François Legault.

Le deuxième mandat est celui de l’épreuve de la vraie gouvernance. La CAQ a trouvé une marotte économique déguisée en projet de société, l’électrification de l’économie, grâce notamment à Northvolt et la fameuse filière des batteries.

À ce propos, la CAQ est intarissable et les superlatifs fusent. Le superministre Fitzgibbon (l’alter ego du PM en plus pressé et plus tranchant) a écrit un texte qui en dit long sur la position caquiste⁠1. « Certains militants et certains journalistes tout aussi militants sont beaucoup plus bruyants que la majorité silencieuse qui appuie ces projets. Ils entretiennent une méfiance malsaine. »

Mots révélateurs.

Lorsqu’il y a déficit de transparence, c’est en démocratie un droit fondamental que d’interroger les élus à propos de leurs actes. Les paroles de ceux qui contestent ce projet expéditif et opaque dérangent, et la CAQ les ostracise avec des mots dignes d’un régime bananier.

C’est d’ailleurs avec des fruits que M. Legault s’est présenté à la période des questions pour répondre aux critiques par rapport à Northvolt. Méprisant et infantile.

Pire – s’il est possible de hiérarchiser l’usage déficient des mots –, le gouvernement s’est enfoncé dans la crise des demandeurs d’asile qui l’oppose à Ottawa. On joue ici sur un terrain glissant où se mêlent politique et démagogie, préjugés et instrumentalisation, de tous côtés. Québec trouve qu’il accueille un pourcentage disproportionné de demandeurs d’asile, et ne pouvant y faire face, demande au Canada de faire sa part.

Le plus récent chapitre de cette saga est celui des CPE fermés aux enfants des demandeurs d’asile. Les places sont réservées en priorité aux petits Québécois dont les parents sont sur la liste d’attente depuis des années. M. Legault a évoqué une « crise humanitaire ».

Ce n’est pas beau. Ni pour les 37 000 familles en attente ni pour les demandeurs avec enfants qui voudraient travailler. Ni pour le climat social qui se gangrène à coups d’épisodes comme celui-là. Mais ce N’EST PAS une crise humanitaire.

Le filet social québécois, même tendu à l’extrême, prend en charge les nouveaux venus de mille et une façons. Ce n’est pas une crise humanitaire, mais une guerre des nerfs avec Ottawa. C’est une inquiétude légitime quant à la façon de gérer l’immigration non choisie.

Une crise humanitaire, c’est Gaza. C’est la société ukrainienne. C’est une destruction systématique et irréversible de la société. À l’échelle très locale, c’est l’accumulation des sans-abri dans nos villes, une situation qui menace la vie des plus vulnérables d’entre eux et qui hypothèque pour toujours les survivants.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

À l’échelle très locale, la crise des sans-abri dans nos villes se rapproche d’une crise humanitaire.

PSPP a parlé de « crise sociale », terme beaucoup plus juste. Il s’agit d’une crise qui génère son lot de tensions, de questionnements profonds, qui mécontente les uns comme les autres, qui cause une pression inquiétante sur les services, du logement à l’éducation en passant par les CPE. C’est dangereux pour la cohésion et l’acceptabilité sociale à terme, mais ce n’est PAS une crise humanitaire.

Pourquoi utiliser ces mots, alors ?

Pour dramatiser le problème, le rendre émotif ?

C’est brouillon, excédé et botcheux. À force de mal nommer les faits, de manquer de précision – à dessein ou pas –, François Legault perd prise sur le Québec réel. Il gaffe avec Ottawa, exacerbe la patience des citoyens, et réussit à bien faire paraître ses opposants politiques.

Gouverner, c’est aussi faire preuve de pédagogie, de concertation, d’humilité. Pas de sauter les étapes et de blâmer ceux qui font leur job. À force de mots inadéquats, on finit par se demander si c’est le reflet des idées de la CAQ… Un vide inquiétant maquillé avec des mots maladroits.

Le Québec est un peuple de peu de mots.

La pire chose à faire est de s’adresser à nous avec des mots qui nous font sentir épais. Tout le monde aspire à s’élever.

Entre les mots insignifiants et les exagérations stupéfiantes, arrive un moment où les mots des politiciens ne suffisent plus à masquer la faillite des idées. Visiblement, nous sommes arrivés à ce moment-là.

Dans une version précédente de cette chronique, les mots «petits Québécois» étaient placés entre guillemets, ce qui pouvait laisser entendre que ces mots ont été prononcés par le premier ministre François Legault. Or, il n'a jamais prononcé ces mots dans le dossier des places en CPE pour les demandeurs d'asile.

1. Lisez le texte de Pierre Fitzgibbon Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue