Les gens de Montréal vont se bidonner sur celle-là. Imaginez-vous donc que j’ai récemment eu de la misère à me faire comprendre en français dans un commerce de Québec. Dans Québec la blanche, Québec la capitale de la francophonie des Amériques.

Je vous imagine lire ceci dans la métropole, et vous dire : « Bien bon pour lui, le plouc régional, il va enfin finir par comprendre notre quotidien linguistique dans une vraie ville ! » Fair enough, comme on dirait chez vous.

Je suis un grand-père qui tente d’être parfois utile dans ma nouvelle vie, il n’est pas trop tôt. Je suis ainsi devenu un humble contributeur quand un de mes enfants doit construire un horaire, comme dans une semaine de relâche, après un appel à tous pour s’occuper des moussaillons et se sortir du pétrin professionnellement.

Chaque jour consacré à la cause, j’en sors épuisé, vidé. En me rappelant qu’il y a un temps pour tout dans la vie, dont celui d’être parent. C’est brillant et exigeant, ces petites bêtes-là ! Entre autres, c’est très jeune, 8 ans, et ça connaît tout de Taylor Swift.

Aussi, je tente de me tenir à jour sur les pérégrinations de l’idole et de son colosse de chum, ailier rapproché des Chiefs de Kansas City au sale caractère, que je connais plus par ailleurs, parce qu’assez maniaque de football, le pépé.

D’ailleurs l’enfant était ravie que Taylor gagne le Super Bowl, a-t-elle exulté.

Toujours est-il qu’il y a quelques jours, répondant au désir de la petite princesse, je me suis retrouvé dans son resto de malbouffe préféré. Exception, quand même, parfois cachée aux parents. Nos premiers secrets, elle et moi.

Elle demande que l’on commande nos gueuletons sur une station électronique à cet effet, cela lui semble tout à fait naturel, et veut même procéder elle-même.

Fossé générationnel, ici…

Comme chaque fois, je suis incapable de me rendre au bout de l’exercice, c’est-à-dire compléter la maudite commande, je me rebelle et me rends au comptoir où on daigne encore nous répondre.

La princesse pourrait me surnommer grand-papa charbon !

Et voilà qu’une jeune dame très correcte me répond, mais je ne parviens pas à lui expliquer que je souhaite avoir des croquettes de poulet additionnelles, puisque l’enfant désespère quand je pige dans les siennes.

Comme nous ne nous comprenons pas et qu’elle me sent grognard, elle fait venir un compatriote qui semble avoir une certaine autorité dans la place. Nous tentons de régler le cas, mais ce n’est pas possible. J’entends derrière, dans les cuisines, que quelques-uns y discutent en anglais et dans une autre langue que je ne distingue pas.

Je savais qu’en utilisant l’anglais, nous pouvions régler l’affaire, mais comme j’étais dans une journée de rébellion, je m’y suis refusé, et j’ai même démontré un peu d’impatience. Finalement, le patron québécois d’origine est venu finaliser la transaction et j’ai eu ma portion de croquettes additionnelles.

Mais même en si agréable compagnie que cette brillante fillette, j’ai filé cheap pendant et après la bouffe.

J’ai pensé que ces deux immigrants, qui se cassaient le cul à faire leur travail, au salaire minimum, je présume, ne méritaient absolument pas mon impatience de roi fortuné des croquettes au poulet. Je me suis senti injuste.

Probablement venus ici en passant par une agence payée au gros prix par le proprio, ces quelques nouveaux arrivants avaient eu le courage de tout laisser et de tenter de trouver au bout du monde une vie plus décente que la leur, où il n’y avait probablement aucune perspective. En aurais-je eu le courage, moi ? Triste et remarquable en même temps.

On m’a dit qu’ils travaillaient fort pour apprendre le français, et je le crois. Incontournable dans une ville comme Québec, mais cela prendra quand même du temps.

Et ça, c’est s’ils restent au Québec à endurer des bougonneux comme moi dans leur travail, ou qu’on leur explique nos débats politiques acrimonieux, et non invitants, au sujet de leur présence chez nous.

Mais sans eux, ce commerce ne fonctionnerait plus, ça me semble évident. Nous sommes tous témoins de fermetures pour manque de main-d’œuvre, encore plus dans la restauration.

Maintenant, avais-je le droit de vouloir être servi en français, à Québec ? La réponse est absolument OUI ! Bien que personne ne m’oblige à retourner à ce resto, à part la grande amie de Taylor Swift.

Devrais-je accepter ce genre de situations comme une fatalité ? Quand bien même je me péterais la tête après les murs, j’en revivrai d’autres.

Je suis d’une génération nostalgique, celle de notre affirmation nationale comme leitmotiv. Mais je vieillis, et ne sens pas les plus jeunes exactement dans ce moule-là. Même si je suis prétentieux comme le sont les baby-boomers qui pensent posséder encore et toujours la vérité, je nous sens parfois un peu radoteux.

Je me suis demandé dernièrement si mon attitude pouvait contribuer à retarder une nouvelle vision commune au Québec. Un projet de société avec lequel je ne serais pas complètement d’accord, différent de mes postulats peut-être encroûtés.

En même temps, je dois m’avouer que l’avenir ne m’appartient pas vraiment, qu’il appartient plus à beaucoup d’autres qu’à moi, à ceux qui me suivent.

Comment ne pas penser à la probabilité de devoir éventuellement faire certains pas, de côté, en avant, en arrière, je ne sais pas, devant certaines réalités sociologiques et démographiques ?

L’idée n’est pas de lâcher prise, mais est-ce qu’on procède encore, ma génération et moi, de la bonne manière ?

Entre nous

Juste pour rempiler, quelques jours après l’histoire des croquettes, les pizzas du Super Bowl nous ont été livrées par un gars qui ne baragouinait que quelques mots d’anglais, et rien en français. La seule hypothèse est que ce gars-là arrive au Québec, en mode survie, et que son existence ici-bas n’a sûrement rien de simple.

Je me suis demandé qui, autrement, dans mes semblables, les natifs, les serviraient, les croquettes, et les livreraient, les maudites pizzas.

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