Ces derniers temps, aussi bien dans les discussions entre amis que sur la place publique, beaucoup de discussions enflammées sur les questions relatives à l’âge. Il y a eu cet article de La Presse1 sur l’âge ressenti. On y confirmait que passé 40 ans, on tend à se considérer comme 20 % plus jeune, et que les 80 ans s’en donnaient à peine 65 ! Plusieurs intervenants affirmaient qu’on « a l’âge que l’on ressent ».

On a aussi évoqué l’âge à cause de Joe Biden. Le président américain a été traité de pépère sénile de 81 ans. Le procureur Robert Hur, après avoir admis qu’il n’avait pas de motif pour l’accuser d’avoir conservé des documents secrets du temps où il était vice-président des États-Unis, évoque la mauvaise mémoire de Biden, ses réponses péniblement lentes. Il le traite de pépère sympathique, cristallisant dans l’opinion populaire l’impression que malgré les cinq ans seulement séparant les deux candidats à la présidence, l’un est trop vieux et l’autre, fringant, dans la force de l’âge.

À la radio, Pénélope McQuade a consacré récemment un segment de son émission au phénomène « nold », contraction de never old⁠2. Les « nold » sont les 45-65 ans qui se considèrent comme trop vieux pour être jeunes, mais trop jeunes pour être vieux. C’est la version marketing de la génération X, mais ça touche un point sensible. Nous sommes nombreux à nous sentir concernés, parqués dans ces limbes joyeux, et niant la réalité de l’âge qui va…

Les questions relatives à l’âge abondent, et ce n’est pas pour me déplaire. L’âge me préoccupe.

Personnellement, sur un ton léger : comment s’habille une femme à mon âge ? Nous avons d’ailleurs consacré un épisode de l’émission Tout le monde s’habille, à Télé-Québec, à la question de l’âge, et les réflexions sont passionnantes⁠3.

Professionnellement : en télé, on demande aux producteurs de concevoir des émissions pour les 25-45 ans. Ce groupe rend fous les télédiffuseurs. Il est loin d’être homogène, ne regarde plus la télé traditionnelle, et de moins en moins le contenu d’ici. Comment les intéresser ?

Socialement : je vis dans cette société où s’est déroulé, pendant la pandémie, un abandon mortel d’aînés en CHSLD. J’y repense souvent, car ça nous dit quelque chose de très violent sur notre attitude face aux vieux et au vieillissement.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Un employé de la morgue récupère la dépouille d’un résidant d’un CHSLD montréalais au printemps 2020. Cet « abandon mortel » des aînés dit quelque chose de très violent sur notre attitude face aux vieux et au vieillissement, écrit Marie-France Bazzo.

Il y a l’air du temps. Depuis 10 ans, il faut l’avouer, les questions concernant l’âge sont plus discutées. Janette Bertrand a osé nommer l’âgisme rampant dans notre belle société si bienveillante. Des comédiennes, des animatrices, des femmes en vue évoquent de plus en plus le fait qu’on les écarte de certains rôles ou postes à 50 ans.

Les baby-boomers qui vieillissent massivement ont commencé à remettre en question le statu quo et ne veulent pas vieillir invisibilisés. Oui, les exemples d’enjeux liés à l’âge et au vieillissement abondent, sur fond d’insatisfaction croissante.

En fait, la conversation sociale autour du vieillissement se situe au confluent de deux enjeux : être vieux et être de son temps.

Être vieux, on le sait, on l’a vu, est très relatif : le plus tard possible dans la tête des séniors, et déjà dans les yeux des plus jeunes. Être de son époque, c’est une autre affaire ! Il y a des vieux très pertinents, à l’acuité indiscutable à 85 ans. De même que Biden et Trump sont DE LEUR ÉPOQUE. Ils la FONT, la définissent, littéralement.

En même temps, nous assistons à une accélération du passage des générations. Les X ont à peine eu leur temps que les milléniaux débarquaient sur la scène publique. Mais ces Y sont déjà talonnés par des Z, alors que les Alpha grouillent derrière… À force d’instrumentaliser des générations de plus en plus courtes, on se condamne tous au siège éjectable prévisible. Et à la stricte glorification de la jeunesse… éternellement remplaçable.

Et que dire de la crainte qui hante tout le monde : celle d’être « passé date ». C’est la question que posait sur les réseaux sociaux un Denis Coderre avide de revenir en politique. Visiblement, la réponse l’a satisfait. Mais on peut être révolu à 60 ans comme à 47. Et tout à fait pertinent à 99 – je songe toujours au sociologue Guy Rocher. Être « passé date » n’est pas une question d’âge, mais d’adéquation, d’être capable de bien jauger les enjeux de son époque.

Nous vivons un formidable paradoxe.

Notre société glorifie la longévité des grands vieillards, fait l’apologie des diètes méditerranéenne, japonaise ou autres, qui vous feront franchir le cap des 100 ans. La médecine s’enorgueillit de pouvoir bientôt pousser la machine humaine jusqu’à 120 ans. Au même moment, on vous fait disparaître socialement dès la retraite, on invisibilise les femmes vieillissantes, et, OK boomer, on méprise collectivement les têtes blanches.

Sérieusement : qui veut vieillir dans une société qui, dans les faits, ostracise tout ce qui est mémoire et expérience ? L’hypocrisie sociale est totale.

Biden et Trump sont vieux !

60 est le nouveau 50, qui est le nouveau 35 !

L’âge, c’est dans la tête !

D’accord. Ou pas. Mais si ce n’est pas que dans la tête, c’est que c’est aussi partout dans la société. Et là, nous y pouvons tous quelque chose.

1. Lisez notre dossier « Quel âge vous donnez-vous ? » 2. Écoutez le segment sur les « nold » à Pénélope, sur OHdio 3. Visionnez un épisode de l’émission Tout le monde s’habille, de Télé-Québec Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue