L’émission Enquête de Radio-Canada mettait récemment en lumière le fait que si les organisations religieuses manquent de plus en plus de fidèles, elles ne manquent pas d’argent. À elles seules, les congrégations qui ont fait l’objet du reportage d’Enquête auraient pour près d’un milliard de dollars d’actifs⁠1.

Les généreuses exemptions fiscales dont jouissent les organisations religieuses sont une des sources de leur richesse. Luc Grenon, de l’Université de Sherbrooke, un des rares chercheurs à s’intéresser à la question, avait calculé en 2012 que, rien qu’au fédéral, c’est un milliard de dollars par année qui échappaient ainsi aux contribuables. Plus récemment, en 2019, Le Devoir rapportait que les exemptions de taxes foncières et scolaires privaient les municipalités de 162,2 millions par an et le gouvernement du Québec de 20,1 millions⁠2.

Enquête a également mis en lumière des zones grises qui coûtent très cher aux contribuables. Le Séminaire de Québec gère 201 clubs de chasse et pêche et loue des terres à des parcs d’éoliennes. Tous ces revenus sont libres d’impôts. Autre exemple, en provenance du Devoir cette fois, l’oratoire Saint-Joseph reçoit, chaque année, deux millions de visiteurs qui lui rapportent 18 millions de dollars de revenus. Le site est évalué à 63,5 millions de dollars. Il est, lui aussi, exempté de taxes foncières.

Un dernier cas. Dans une cause récente opposant la municipalité de Boisbriand à une école hassidique, les juges ont donné raison à la communauté religieuse et exempté son école de payer des taxes foncières, ce qui prive la municipalité de 382 000 $ par année⁠3. L’école en question n’enseigne rien d’autre que des préceptes religieux hassidiques et, pour ce faire, elle sépare garçons et filles.

Ces exemptions datent d’une époque où les congrégations religieuses offraient des services publics essentiels comme la santé et l’éducation. Aujourd’hui, l’État a pris la relève et les Églises sont assez peu présentes dans le domaine des services sociaux ou même dans celui de la charité, et ce, de leur propre aveu.

En effet, au Canada, pour obtenir le statut d’organisme de bienfaisance enregistré, celui qui leur permet d’offrir des reçus fiscaux, les organismes religieux n’ont qu’une seule obligation : « favoriser l’avancement de la religion ». En 2012, toujours selon Luc Grenon, une organisation religieuse de bienfaisance sur deux déclarait qu’elle n’allouait aucune ressource à autre chose qu’à la promotion de la religion. Pas un sou pour la bienfaisance, tout pour la religion. Tout.

Au final, selon Luc Grenon, à peine 15 % de tous les fonds recueillis par les organisations religieuses grâce à des dons de bienfaisance sont consacrés à autre chose que la pastorale. On peut donc estimer que le gouvernement fédéral se prive de 850 millions par année et que tous les contribuables, même les athées et les agnostiques, financent les organisations religieuses… et les valeurs qu’elles transmettent. C’est, à l’évidence, une contradiction flagrante des principes de laïcité auxquels tant le Canada que le Québec prétendent adhérer⁠4. Il est temps de lever le tabou qui entoure ces exemptions et de faire le ménage dans tout cela.

Comme Enquête l’a démontré, les communautés religieuses ne pèchent pas par excès de transparence, c’est le moins qu’on puisse dire. Les liens administratifs et financiers entre les communautés religieuses, les diocèses ou encore les paroisses sont loin d’être évidents. Alors que des communautés sont riches, des paroisses n’ont pas un sou. Il n’est pas facile de répondre à la simple question : qui est responsable de quoi ? Selon l’avocat Pierre Boivin, par diverses opérations administratives, certaines congrégations religieuses tenteraient même de mettre leurs biens à l’abri des réclamations de victimes d’abus.

Une large part de ce que possèdent aujourd’hui les Églises a été acquise grâce aux avantages fiscaux consentis par l’État et grâce aux dons et aux efforts des fidèles. Contrairement à ce qu’affirment les porte-parole des Églises, elles ne relèvent pas uniquement de la sphère privée, ce sont aussi des biens communs.

Si le gouvernement veut mettre fin aux exemptions, ce qu’il devrait faire, il doit agir avec prudence. Des paroisses laissent déjà des églises à l’abandon, affirmant que le patrimoine n’est pas leur affaire : il ne faudrait pas précipiter les fermetures et perdre encore de beaux temples. De plus, le gouvernement pourrait rendre possibles les utilisations mixtes (religieuses et laïques) des installations, ce qui faciliterait les projets de reconversion⁠5.

Finalement, il pourrait aussi déterminer que, pour quelques années, la totalité des sommes obtenues par l’abolition des exemptions sera réinvestie dans la sauvegarde du patrimoine religieux ou encore dans la reconversion des églises. Il ferait ainsi d’une pierre deux coups, il respecterait ses propres principes de laïcité, les religions se financeraient elles-mêmes, et il protégerait des bâtiments et des œuvres d’art qui sont au cœur de notre histoire et de nos paysages.

1. Lisez l’enquête de Radio-Canada 2. Lisez l’article du Devoir 3. Lisez notre article « Pas de taxes à payer pour les écoles de la communauté juive hassidique de Boisbriand » 4. Consultez le site du Rassemblement pour la laïcité 5. Lisez la lettre d’opinion « Les églises peuvent aussi se convertir » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue