Chaque vendredi, nous revenons sur la semaine médiatique d’une personnalité, d’une institution ou d’un dossier qui s’est retrouvé au cœur de l’actualité

Les évènements sur lesquels je reviens cette semaine ne se sont pas déroulés au Conseil des petits trésors, la halte-garderie de l’Assemblée nationale. Ils ont eu lieu dans les couloirs du parlement et sur les réseaux sociaux, deux endroits fréquentés par des adultes majeurs et vaccinés.

Rappel des faits : fin janvier, le député de Québec solidaire Vincent Marissal a déposé des demandes d’enquête auprès de la commissaire à l’éthique concernant des cocktails de financement à 100 $ organisés par la CAQ. Des députés caquistes y conviaient des élus municipaux à qui on promettait une brève rencontre avec un ministre. Réaction du premier ministre Legault : la CAQ a mis fin au financement populaire.

Puis dans une lettre ouverte publiée dans le Journal de Montréal, le député solidaire Vincent Marissal a raconté s’être fait traiter de « lanceur de bouette » par le premier ministre croisé dans un couloir.

Enfin la goutte qui a fait déborder le vase : le témoignage, en commission parlementaire, d’un couple de parents endeuillés qui a déboursé 200 $ pour participer à un cocktail de financement auquel participait la ministre des Transports, Geneviève Guilbault. Le couple voulait la sensibiliser aux dangers de l’alcool au volant.

Cette séquence d’évènements a fait passer la CAQ en « mode attaque ».

Le directeur des communications du premier ministre Legault, Manuel Dionne, a publié des messages sur X dans lesquels il s’attaquait à l’intégrité du député Marissal. De son côté, la ministre Guilbault a été filmée par une caméra de TVA en train d’accuser le député péquiste Pascal Bérubé d’avoir, lui aussi, tenu des cocktails de financement.

« Il y a des tensions au sein de différents partis, les sondages ne sont pas bons pour la CAQ ni pour le PLQ, le PQ monte, tout cela crée une pression qui influence les stratégies de communication », observe Marie-Ève Carignan, professeure de communication à l’Université de Sherbrooke.

« Ces enfantillages prennent une importance disproportionnée et dénotent un sentiment de panique », estime pour sa part Olivier Turbide, professeur au département de communication sociale et publique de l’UQAM.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Olivier Turbide, professeur au département de communication sociale et publique de l’UQAM

On s’attend à ce que le personnel politique puisse gérer ses émotions et garde la tête froide. Cela dit, ce n’est pas la première fois que l’entourage du premier ministre attaque des adversaires politiques ou des journalistes.

Olivier Turbide, professeur au département de communication sociale et publique de l’UQAM

La professeure Carignan s’étonne de la conduite de la CAQ. « On ne dirait pas que c’est le parti au pouvoir, souligne-t-elle. Ils devraient faire preuve de plus de hauteur et mettre de l’avant leurs projets. Or, on a plutôt l’impression qu’ils sont toujours en mode de gestion de crise. »

En mode excuses

Est-ce l’approche de la Saint-Valentin ou la crainte de poursuites judiciaires ? Toujours est-il que le ton a baissé d’un cran mardi dernier : Geneviève Guilbault et Manuel Dionne ont tous deux présenté leurs excuses qui furent acceptées par messieurs Marissal et Bérubé.

Des excuses qui n’ont dupé personne. On a bien vu qu’elles étaient prononcées du bout des lèvres et qu’elles n’étaient pas senties.

Mme Guilbault en a profité pour rappeler que « la commissaire à l’éthique enquête sur M. Bérubé en lien avec l’article 36 du Code portant sur l’utilisation des biens et services de l’État » tandis que Manuel Dionne a profité de ses excuses pour reprocher à l’opposition « des attaques injustifiées sur leur intégrité qui laissent des marques douloureuses ».

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Marie-Ève Carignan, professeure de communication de l’Université de Sherbrooke

« Le but n’était pas autant de présenter des excuses sincères, mais plutôt de mettre fin au débat et passer à autre chose », affirme la professeure Marie-Ève Carignan.

Le professeur Olivier Turbide, un spécialiste des excuses dans l’espace public, parle quant à lui d’une stratégie d’atténuation. « On s’excuse tout en défendant son intégrité, note-t-il. On inscrit son comportement dans des motifs nobles, ou encore, on s’excuse pour éteindre les feux. Dans le cas de Mme Guilbault, c’est encore plus flagrant. Elle utilise ses excuses pour en rajouter. »

En politique, rappelle le professeur Turbide, les vraies excuses sont dangereuses. « Le politicien doit reconnaître qu’il s’est trompé, ça le place en position de vulnérabilité, souligne-t-il. Si en plus c’est son adversaire qui exige des excuses, le politicien se retrouve en situation de soumission. Il est encore plus vulnérable. »

C’est pour cela, selon l’expert, qu’on s’excuse sans s’excuser.

Un jugement discutable

Il faut le dire, c’est un virage à 180 degrés pour la CAQ qui ne craignait pas de s’excuser et même de reculer sur certains dossiers durant son premier mandat.

La CAQ avait une image de politiciens pragmatiques, pas dogmatiques. Les gens y voyaient une intégrité, une transparence, un côté humain. C’est tout le contraire aujourd’hui. On se met à questionner leur qualité de jugement. Un gouvernement qui est pris de panique agit dans l’urgence.

Olivier Turbide, professeur au département de communication sociale et publique de l’UQAM

Cette séquence d’attaques et d’excuses plus ou moins sincères ne donne certainement pas envie de se lancer en politique, note pour sa part la professeure Carignan qui participe ces jours-ci à un projet de recherche sur les risques professionnels et personnels courus par les jeunes chercheurs qui se positionnent comme experts dans le débat public de plus en plus polarisé.

Chose certaine, ces insultes et ces pseudo-excuses n’ont rien fait pour augmenter la confiance de la population envers la classe politique. Au fond, c’est à l’ensemble des Québécois que tout ce beau monde devrait s’excuser.

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