On croyait les disciples de Ned Ludd morts et enterrés, mais voilà que certains s’en réclament pour dénoncer les risques posés à l’emploi et au travail par l’intelligence artificielle.

En Angleterre, au début du XIXe siècle, les luddites détruisirent les premières machines à tisser qui menaçaient leur production artisanale. Le gouvernement pendit quelques rebelles et au terme de la Révolution industrielle, on comptait quatre fois plus d’emplois dans le textile, mais au prix de conditions de travail misérables, qui ont perduré jusqu’à l’arrivée des syndicats.

L’historien des technologies David Nye observe que l’avènement des grandes inventions suscite des réactions qui vont de l’espoir utopique aux peurs dystopiques. Il en va de même pour l’intelligence artificielle (IA).

J’ai interrogé ChatGPT à propos de cinq rapports traitant de l’impact de l’IA sur le travail et l’emploi, produits par le FMI, l’OCDE, Microsoft, McKinsey et le Conseil de l’innovation du Québec, pour identifier les consensus émergents.

Je lui ai aussi demandé d’écrire cet article, mais j’ai mis sa copie correcte mais ennuyeuse au panier. Suis-je un luddite qui s’ignore ?

Selon le FMI, 60 % des emplois dans les économies avancées seront touchés par l’IA. Une moitié en profitera, l’autre en pâtira.

L’automatisation des procédés industriels a éliminé de nombreux emplois répétitifs de cols bleus. L’IA supprimera des postes routiniers de cols blancs, mais la lenteur de beaucoup d’entreprises à intégrer la technologie laisse entrevoir une attrition graduelle.

En revanche, les innovations à venir grâce à l’IA devraient créer plus d’emplois, si l’on se fie aux précédentes révolutions technologiques. De nouveaux métiers également, comme les ingénieurs de requêtes (prompt engineers), qui développent des méthodes plus efficaces d’interagir avec les grands modèles de langage comme ChatGPT.

Mais c’est peut-être sous l’angle des tâches que l’on peut mieux anticiper les transformations du travail. L’IA peut amplifier les compétences avec des outils d’aide à la décision qui accroissent la productivité et permettent d’accomplir des activités plus complexes, plus créatives et donc plus satisfaisantes.

Des recherches empiriques indiquent que ce sont les travailleurs moins qualifiés qui profiteront le plus de l’IA, même si les plus compétents en bénéficieront également. Dans les deux cas, cette bonification passe cependant par la formation et la requalification de la main-d’œuvre, un défi plus grand pour les travailleurs âgés.

Dans le contexte québécois de pénurie de main-d’œuvre, le besoin de nouvelles compétences ne peut être entièrement comblé par le recrutement, avertit Nathalie de Marcellis-Warin, professeure à Polytechnique Montréal et PDG de CIRANO. Les organisations devront aussi miser sur leurs ressources internes et les former.

La demande pour des compétences techniques spécifiques à l’IA augmentera, mais aussi pour des aptitudes humaines que l’IA ne peut pas facilement reproduire, comme la créativité, l’empathie et la résolution de problèmes complexes. D’ailleurs, la prise en compte de la dimension humaine est une condition sine qua non à l’intégration réussie des technologies dans les organisations.

Du côté obscur de l’IA, on met en garde contre un accroissement des inégalités, alors que le revenu des personnes qui maîtrisent la technologie est appelé à progresser plus rapidement que pour celles qui la subissent. La technologie favorisera également les actionnaires des entreprises qui l’utilisent à fond.

En théorie, les gains de productivité et la croissance plus rapide de l’économie qui découleront de l’IA pourront financer des politiques inclusives réduisant le fossé des inégalités, mais c’est là du ressort de l’intelligence politique.

À cet égard, le Conseil de l’innovation du Québec recommande au gouvernement de lancer rapidement une modernisation du droit du travail et des politiques sociales pour tenir compte de l’évolution rapide de l’IA.

Sans compter que cette technologie peut améliorer la productivité de l’État et ses services aux citoyens.

Il importe aussi de mettre à jour les normes juridiques et éthiques pour s’assurer que l’innovation ne se fasse pas au détriment du bien-être sociétal.

« Luddite ! » est une injure dans la bouche des techno-optimistes, mais les néo-luddites qui percent dans l’industrie culturelle américaine n’en rougissent pas. Ils ne s’opposent pas au progrès technologique mais, écrit le journaliste Brian Merchant dans le magazine The Atlantic, ils veulent « un siège à la table où se décidera comment les technologies seront utilisées pour faciliter des activités fondamentales dans l’expérience humaine, comme le travail ».

La transformation du travail par les technologies n’est pas un phénomène nouveau, mais l’IA pourrait l’accélérer de multiples manières encore incomprises.

La plate synthèse rédigée par ChatGPT à ma demande recelait tout de même cette perle que j’ai réservée pour la fin : « Le voyage de la résistance luddite à la transformation actuelle pilotée par l'IA souligne une vérité fondamentale : l'impact de la technologie tient autant au choix humain qu'à la capacité technologique. »

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