Lors des grands froids de janvier, Hydro-Québec a dû importer de l’électricité à grands frais pour répondre aux deux grands pics de demande qui surviennent immanquablement quand le mercure chute.

Le premier survient de 6 h à 9 h, quand tout le monde prend sa douche et allume sa cafetière en même temps. Le deuxième a lieu de 16 h à 20 h, lorsque le Québec en entier cuisine, donne le bain aux enfants et démarre son lave-vaisselle.

C’est la fameuse pointe hivernale, qui cause des maux de tête à Hydro-Québec une centaine d’heures par année.

Tarik Belkedrouci, lui, a utilisé très peu d’électricité pendant ces périodes. D’abord parce qu’en tant qu’abonné au tarif Flex D d’Hydro-Québec, il fait tout pour économiser l’électricité pendant les pointes en retour de récompenses financières.

Mais aussi parce qu’une batterie installée dans son garage l’aidait alors à répondre à une partie des besoins de sa maison. Cette batterie se recharge pendant les périodes creuses, puis décharge son électricité quand tout le monde se l’arrache.

« Bien sûr que je trouve ça intéressant. Il faut trouver d’autres moyens de le faire, il faut qu’on se prépare à ce qui va arriver dans l’avenir », dit le sympathique résidant de Pierrefonds. Je ne saurais mieux dire.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Dans le garage de Tarik Belkedrouci, ce module qui ressemble à un petit frigo sur roulettes abrite trois batteries totalisant 10 kilowattheures.

M. Belkedrouci est l’un des 20 clients d’Hydro-Québec qui testent actuellement de telles batteries dans le cadre d’un projet pilote. Dans son garage, il nous montre ce qui ressemble à un petit frigo sur roulettes qui abrite trois batteries totalisant 10 kilowattheures. Sur le mur, trois boîtes électriques ont été installées.

« Le seul inconvénient, c’est qu’il a fallu enlever une tablette qui se trouvait ici, dit-il en pointant le mur. Ma femme n’était pas contente ! »

Autre avantage : en cas de panne, Tarik Belkedrouci n’est pas condamné à lire à la chandelle. Il a choisi de relier sa batterie aux circuits qui alimentent son frigo, son four à micro-ondes, son modem et son routeur, sa télé et les lumières du sous-sol. De quoi passer des moments beaucoup plus agréables quand le courant coupe.

En plus des 20 clients qui testent des batteries, 250 autres se sont vu offrir des accumulateurs de chaleur dans le cadre du même projet pilote.

Ces derniers appareils ressemblent à de grosses boîtes isolées remplies de briques qui peuvent accumuler de la chaleur, puis la diffuser à l’aide de ventilateurs.

« L’objectif est de voir, dans le contexte québécois, quels sont les avantages de ces technologies pour nos clients et pour le réseau », explique Patrick Martineau, chef, systèmes énergétiques de l’avenir, chez Hydro-Québec.

Si je vous parle du garage de Tarik Belkedrouci, c’est qu’il illustre l’une des nombreuses solutions qui peuvent être envisagées pour gérer la fameuse pointe hivernale.

Une solution autre que la réponse facile vers laquelle on se tourne trop souvent : le gaz naturel.

Le réflexe est en effet bien implanté. Il fait froid et on manque d’électricité ? Pas de problème ! Ouvrons les robinets du gaz. Le réseau d’Énergir est là, sous nos pieds. On serait fou de s’en passer !

C’est au nom de ce raisonnement que l’on continue d’installer des systèmes à la biénergie (gaz et électricité) dans de nouveaux bâtiments. C’est aussi pour protéger la fameuse pointe que le gouvernement du Québec vient d’interdire aux municipalités de bannir le gaz sur leur territoire⁠1.

Le hic est que même si l’adjectif « naturel » peut paraître bucolique, le gaz naturel émet du CO2 lorsqu’il est brûlé. Et lorsqu’il fuit sans être brûlé, ce qui est courant lors de son extraction et sa distribution, il a un potentiel de réchauffement 25 fois plus élevé que le CO2.

Le gaz naturel renouvelable provenant de sources organiques, dites-vous ? Il est rare, cher et devrait être réservé aux industries pour lesquelles l’électrification des procédés est impossible.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Pour gérer la pointe hivernale de demande en électricité, le réflexe — bien implanté au Québec — est de se tourner vers le gaz naturel.

On voit à quel point la dépendance au gaz est forte quand Hydro-Québec insiste pour qu’un futur « écoquartier » en planification à Saint-Bruno-de-Montarville soit connecté… au réseau d’Énergir⁠2.

Une aberration qu’on justifie, encore et toujours, par la crainte de la pointe.

Lorsqu’on construit du neuf, on a pourtant le luxe d’ériger des bâtiments passifs, qui consomment très peu d’énergie. On peut y déployer plus facilement la géothermie, les batteries ou les accumulateurs de chaleur.

Bref, on part d’une page blanche. Qu’on veuille y faire le même vieux dessin dénote un manque navrant d’imagination.

Je ne suis pas en train de dire que le gaz naturel n’a pas sa place dans la gestion de la pointe électrique au Québec, en tout cas à court terme. L’idée n’est pas d’être absolutiste et de dire qu’il faut sortir tout le gaz d’un coup, sans réfléchir.

Mais en voyant le projet pilote auquel participe Tarik Belkedrouci, de nombreux observateurs estiment qu’on devrait pousser ces initiatives beaucoup plus loin.

« Il faut une stratégie de déploiement visant à développer un marché, pour faciliter l’installation et diminuer les coûts », dit Normand Mousseau, directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier. L’expert se dit particulièrement intéressé par les accumulateurs thermiques, beaucoup moins coûteux que les batteries.

« Vu l’importance de la gestion de la pointe et de ses coûts dans notre contexte, je pense qu’il est important d’encourager le stockage et les accumulateurs et en profiter pour mener rapidement des études de suivi », dit aussi Jean-François Blain, analyste du secteur de l’énergie.

D’autres spécialistes m’ont parlé de « gestion de pointe géolocalisée ». L’idée : dans les secteurs où le réseau électrique est particulièrement fragile et résiste mal à la pointe sans l’aide du gaz naturel, on multiplie les mesures d’incitation financière auprès des citoyens pour qu’ils économisent l’énergie. Pensez à un programme comme Hilo qu’on pousse de façon ciblée auprès des citoyens du secteur. Ou même qu’on bonifie localement. Ça se fait à New York, notamment.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Pour le consultant en énergie Jacques Harvey, réduire la consommation d’électricité pendant la pointe hivernale ne suffit pas. Il faut plutôt réduire notre consommation de façon générale.

Jacques Harvey, consultant en énergie, juge quant à lui qu’on devrait réduire notre consommation d’électricité non seulement pendant la pointe, mais aussi de façon générale, point.

La façon la plus efficace de réduire à moyen et long terme la demande de puissance à la pointe, c’est par l’efficacité énergétique et surtout une meilleure isolation des bâtiments.

Jacques Harvey, consultant en énergie

Or, à ce chapitre, Hydro-Québec traîne la patte. Les mégawatts économisés n’ont représenté que 0,46 % de toute son électricité vendue en 2022, ce qui place la province sous la moyenne des provinces et États américains ⁠3,4. On peut se réjouir que le nouveau plan d’action d’Hydro-Québec, adopté sous Michael Sabia, fasse enfin la belle part à l’efficacité énergétique.

« On a un programme pour ça ! », répondent souvent nos décideurs quand on leur parle d’efficacité énergétique ou de gestion de la pointe.

Le projet pilote de batteries et d’accumulateurs thermiques s’ajoute en effet à une myriade de programmes comme LogisVert, Hilo, ÉcoPerformance ou Technoclimat.

Que tout cela existe est bien. Mais le moment est venu de mettre ces programmes à l’échelle et de gérer de véritables gains. En perdant le réflexe de se tourner systématiquement vers la solution facile, mais polluante, du gaz.

1. Lisez notre article « Les villes ne pourront plus interdire le gaz naturel sans l’accord de Québec » 2. Lisez un article de Radio-Canada 3. Consultez une étude de l’American Council for an Energy Efficient Economy (en anglais) 4. Consultez une étude de l’Université Carleton (en anglais) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue