La transition énergétique au Québec s’inscrit de plus en plus dans une approche deux poids deux mesures par un traitement préférentiel accordé aux industries, tant pour l’électricité, comme on l’a vu récemment, que pour le gaz naturel. En effet, on vient d’annoncer que tous les nouveaux consommateurs de gaz naturel auront l’obligation d’acheter du gaz naturel renouvelable (GNR), avec ou sans biénergie, à l’exception des nouveaux clients industriels.

Cette approche injuste ne peut mener qu’à la discorde entre les différents acteurs qui doivent plutôt faire front commun pour réussir la transition.

Pourquoi en sommes-nous rendus là et comment peut-on rectifier le tir ?

Une question de coûts

Un règlement québécois oblige les distributeurs (Énergir et Gazifère) à hausser la quantité de gaz naturel de sources renouvelable (GSR) dans leur réseau de 2 % en 2023 à 10 % en 2030. Or, le gaz fossile se vend actuellement à moins de 7 $ le gigajoule (GJ), contre environ 20 $/GJ pour le GNR et entre 40 et 80 $/GJ pour le e-gaz (estimation d’Énergir). Plus la part du GSR augmentera, plus les coûts moyens du gaz augmenteront. La question est donc de savoir qui paiera pour ceux-ci.

En effet, on estime que 15 $/GJ est une valeur concurrentielle avec l’électricité. Lorsque le coût dépasse ce seuil, certains clients peuvent basculer vers l’électrification.

Différents mécanismes se déploient afin d’améliorer la compétitivité du GSR, dont la tarification carbone, la vente d’« unité de conformité » sous le règlement fédéral sur les combustibles propres, l’achat volontaire par la clientèle. Une autre approche peut faire porter les coûts additionnels sur l’ensemble des consommateurs de gaz naturel afin de réduire la hausse.

Exclusion des nouveaux clients industriels

Au Québec, l’industrie compte pour plus de 60 % de la consommation du gaz naturel. Selon Énergir, il n’est « pas réaliste » d’imposer une obligation d’achat de GSR aux nouveaux clients industriels en raison de la « compétitivité mondiale ». Le résultat est que de nouveaux projets industriels, comme celui de l’usine de batteries de Ford à Bécancour, s’approvisionneront au gaz naturel fossile. Or, ce traitement préférentiel accordé aux clients industriels est-il justifié lorsqu’ils reçoivent d’importants soutiens gouvernementaux (par exemple, avantages fiscaux, bloc d’énergie, subventions, prêts) au moment de s’implanter au Québec ?

La pointe électrique comme bouc émissaire

Selon Énergir, Hydro-Québec et le gouvernement, la raison principale d’imposer le GSR aux nouveaux clients résidentiels, commerciaux et institutionnels est que le chauffage constitue le plus gros bloc d’appel de puissance des clients d’Hydro-Québec. L’enjeu de la gestion de la pointe est bien réel, mais prétendre que le recours au GSR dans les nouveaux bâtiments est la seule option, sous prétexte que les municipalités n’ont pas « l’expertise pour déterminer l’impact de leur décision sur la sécurité énergétique », fait preuve de mauvaise foi.

Pour être cohérent, le gouvernement devrait déposer un projet de règlement, neutre sur le plan technologique, qui fixe un cadre d’objectifs de performance pour réduire l’impact sur la pointe dans le secteur des bâtiments. Cette approche, courante dans le secteur industriel, offre une plus grande flexibilité aux acteurs pour développer leurs projets selon les paramètres convenus.

Partage des coûts

Il est irréaliste de penser qu’on peut faire la transition sans que cela ne coûte rien à personne. Or, imposer le GSR – et son coût plus élevé – aux nouveaux clients résidentiels, commerciaux et institutionnels, alors que l’industrie consomme la majorité du gaz, revient à les prendre en otage pour compenser une partie des pertes de revenus associées à l’obligation du distributeur d’atteindre la cible de 10 % de GSR.

L’enjeu du coût n’est pas différent de celui qu’était le prix de l’électricité éolienne par rapport à l’hydroélectricité. L’éolien n’aurait pas réussi à s’implanter si son coût n’avait pas été partagé par tous les clients d’Hydro-Québec. Aujourd’hui, le GSR représente environ 2 % du réseau d’Énergir, mais socialiser les coûts, avec une offre plus importante de programmes d’efficacité énergétique, d’accompagnement industriel et d’options pour la gestion de la pointe, permettrait à l’ensemble des clients de pallier les coûts par l’amélioration de leur consommation tout en soutenant à long terme une utilisation optimale de l’énergie.

L’absence d’une planification intégrée des ressources énergétiques, compatible avec la carboneutralité d’ici 2050, fait davantage porter le fardeau de la transition énergétique sur les épaules du « public ». Pour atteindre nos cibles, un tel outil décisionnel doit être mis en place pour déterminer les meilleurs scénarios de rentabilité et d’efficacité pour gérer la pointe en bâtiment et améliorer la productivité énergétique des industries qui seront les principaux consommateurs de GSR dans les années à venir.