(Québec ) Québec déposera un projet de règlement qui empêchera les villes de faire cavalier seul pour interdire les branchements au gaz naturel, car elles n’ont pas « l’expertise pour déterminer l’impact de leur décision sur la sécurité énergétique » du Québec. Un expert dénonce cette façon de faire qui va nuire selon lui à l’atteinte des cibles climatiques.

« On a besoin de planifier nos besoins énergétiques. Si chaque municipalité y va d’une initiative qui n’est pas prise en compte de façon globale, c’est là où ça peut poser un problème », a affirmé le ministre de l’Environnement Benoît Charette lors d’une mêlée de presse mercredi.

Le projet qu’il pense déposer prochainement, en collaboration avec la Fédération québécoise des municipalités, l’Union des municipalités du Québec, Hydro-Québec et les autres « distributeurs d’énergie » s’inscrit dans un contexte ou des villes veulent tourner le dos aux hydrocarbures. Il désire « baliser » cette approche, mais en pratique, son règlement aura préséance sur celui des villes et les empêchera d’aller plus vite que ce qu’il souhaite.

À Saint-Bruno, la ville souhaite faire pousser un écoquartier alimenté à 100 % en énergie renouvelable. « On parle d’un écoquartier, on ne peut pas le brancher avec du gaz fossile pour une centaine d’années. Ça n’a juste pas de bon sens », affirmait à Radio-Canada Vincent Fortier, conseiller à Saint-Bruno-de-Montarville. Mais Hydro-Québec critiquait cette initiative — la municipalité interdit les branchements au gaz dans les nouveaux bâtiments — en raison de ses faibles surplus énergétiques.

Et elle est loin d’être la seule. Montréal a adopté un règlement qui interdit les appareils de chauffage qui émettent des GES tels que ceux fonctionnant avec un combustible comme le mazout ou le gaz dans les nouvelles constructions des secteurs résidentiels, commerciaux et institutionnels. Il doit entrer en vigueur en octobre 2024.

Poursuite

La ville de Prévost dans les Laurentides s’était fait poursuivre par Énergir après avoir présenté un règlement qui interdit le nouveau branchement de certains appareils au gaz naturel. Énergir a retiré sa poursuite en décembre en affirmant que de récentes clarifications apportées au nouveau règlement de Prévost l’avaient convaincue de revoir sa position. Entre autres, le règlement permet dorénavant le remplacement d’un équipement existant fonctionnant en tout ou en partie au moyen d’un combustible fossile par un équipement fonctionnant à la biénergie ou au gaz naturel renouvelable.

M. Charette croit toutefois que ces initiatives doivent être encadrées. « On voit que les municipalités veulent aller plus loin, c’est qui est une bonne nouvelle en soi, mais en même temps elles n’ont pas forcément l’expertise pour déterminer l’impact de leur décision sur la sécurité énergétique », a-t-il affirmé.

Ce règlement sera déposé dans les « prochaines semaines ou prochains mois ». « C’est très bien accueilli dans le milieu municipal, et ça va éviter les poursuites comme ça s’est vécu sur le côté de Prévost », a-t-il affirmé.

Nivellement

Pour l’organisme environnemental Greenpeace, il s’agit toutefois d’une réglementation qui va « niveler vers le bas ». « Ça n’a ni queue ni tête. Le gouvernement choisit d’exporter de l’électricité en grande quantité. Il choisit d’octroyer de l’énergie à de nouvelles entreprises, mais il dit aux villes qu’elles ne peuvent pas interdire l’ajout de gaz dans le bâtiment sous prétexte qu’on manque d’électricité », a déploré son porte-parole, Patrick Bonin.

« Il a de l’électricité pour Northvolt, mais pas pour un écoquartier à Saint-Bruno ? La priorité du gouvernement devrait être la décarbonation du bâtiment », a-t-il ajouté.

La députée de Québec solidaire, Alejandra Zaga Mendez, estime de son côté qu’il s’agit d’un « recul » de la CAQ, puisqu’à l’automne, « l’Assemblée nationale avait salué de façon unanime les efforts des villes de Montréal, Prévost, Saint-Hilaire et Candiac d’interdire les nouveaux systèmes au gaz ». « Que vaut la parole de Benoît Charette en matière d’environnement ? », a-t-elle déploré. Elle croit que la Coalition avenir Québec veut freiner les efforts des municipalités pour « sauver les intérêts de l’entreprise Énergir ».

Renversé

« Le minimum qu’on doive faire est d’arrêter d’augmenter le rôle du gaz naturel pour plafonner les émissions. Ici, on empêche les villes de faire ça. Or, on pourrait plutôt imposer des solutions carboneutres (géothermie, biomasse) pour réduire l’impact sur la pointe de demande électrique », déplore de son côté Normand Mousseau, directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal.

« J’ai été renversé par votre article. Le ministre Charette a l’obligation légale de défendre l’objectif de réduction des émissions de GES de 37,5 % d’ici 2030. Cette réglementation va clairement à l’encontre de cet objectif, puisqu’il empêche les municipalités d’arrêter l’augmentation du rôle du gaz naturel dans le bâtiment », a-t-il ajouté.