Des députés de la Coalition avenir Québec (CAQ) ont rivalisé de contorsion intellectuelle pour nous expliquer le sens des mots « discipline » et « distractions », leurs mots d’ordre en ce début d’année politique 2024. Ce nouveau slogan inclut évidemment la nécessité de serrer les rangs et de laver le linge sale en famille. Malheureusement, cette façon de construire une muraille opaque entre les élus et le peuple est la principale nourriture du cynisme envers les politiciens.

Aussi, même si le premier ministre parle de distractions, son problème doit à une série de déceptions. C’est de plus de cohérence et de transparence que la CAQ a véritablement besoin. En effet, depuis la fin de la pandémie, les décisions du chef sont plus difficiles à suivre. Si Claude Legault le caricature si bien dans le Bye bye, ce n’est pas parce qu’ils ont le même nom de famille. Je crois plutôt que c’est parce que François est parfois aussi bon en improvisation que Claude.

PHOTO CHRISTINNE MUSCHI, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre François Legault lors du caucus présessionnel de la CAQ à Sherbrooke, mercredi

Je n’ai pas besoin de revenir sur toutes les incohérences qui ont mené à la rupture du cordon ombilical de la confiance qui l’unissait fortement au vote francophone. Cependant, comme humble observateur de la politique, permettez-moi de lui prodiguer un conseil, bien plus ressenti que d’expert, sur le dossier miné qui peut politiquement faire encore plus mal à la CAQ.

Je pense que monsieur Legault devrait particulièrement surveiller le bourdonnement du duo Fitzgibbon-Sabia autour du monopole d’Hydro-Québec.

On a beau nous présenter encore cette part qu’on veut laisser au privé comme une petite soupape pour aider Hydro, la méfiance est de mise, car le Québec a déjà joué dans des films semblables.

Deux exemples. Lorsque le privé a commencé sa famélique incursion dans le système de santé, c’est le même discours qu’on nous tenait. On présentait cette petite brèche comme une soupape ou une contribution du privé pour aider à désengorger certains secteurs du système hospitalier. Aujourd’hui, est-ce qu’il y a quelqu’un qui pense encore que le privé en santé ne va pas rester, grossir, se diversifier et même rêver de livrer une compétition en règle au réseau public ?

Le même discours a également été utilisé pour nous rassurer sur le caractère bien marginal de la place des agences privées en santé. Que s’est-il passé depuis ? Elles sont désormais si puissantes et incontournables que les tasser occasionnerait de grosses turbulences.

Alors, même si on se surpasse en gymnastique intellectuelle pour nous expliquer que cela n’aura aucun effet sur son monopole, c’est ce qui risque ultimement de se passer à Hydro-Québec. Le temps finit toujours par révéler le diable, si bien caché soit-il dans les détails. L’énergie, c’est le lucratif nerf de la guerre en ces temps de décarbonation des économies. Or, penser qu’on peut donner un doigt à la grande entreprise privée sans qu’elle travaille à vous prendre le bras est une utopie.

Le néolibéralisme est une activité de prédation dont le désir de croître demeure la loi sacrée et fondamentale. Pourquoi de grandes entreprises travailleraient-elles dans l’ombre pour se faire ouvrir une brèche quand elles ne rêvent pas un jour d’encaisser plus que ces miettes qu’on nous dit vouloir leur réserver ? Si des industrielles commencent à posséder des parcs éoliens sur les terres publiques et à produire, transporter et vendre leur électricité à d’autres ou à Hydro-Québec, est-ce qu’on les empêchera plus tard de pratiquer le principe de la chaîne alimentaire qui est au centre de l’économie capitaliste ?

Dans cette doctrine, chacun mange le plus petit qui le précède et devient la nourriture du plus gros qui le suit. À la fin, il restera le ou les gros prédateurs.

Autrement dit, si une entreprise achète les autres petits producteurs privés d’électricité et devient plus imposante, que va-t-il arriver ? Que se passera-t-il lorsque cette entreprise aura la force de ses ambitions devant Hydro ?

Si hypothétique soit-elle, cette possibilité est un paramètre très important de l’équation et banaliser les craintes de la population en parlant de campagne de peur sur un sujet aussi sensible n’est pas un argument.

Comme le faisait remarquer récemment l’ex-politicien Thomas Mulcair, le gouvernement de Mike Harris a joué dans les mêmes stratégies communicationnelles pour entreprendre le démantèlement d’Hydro Ontario et précipiter la libéralisation du secteur énergétique de la province qui sera achevée par Kathleen Wynne. Pourtant, aujourd’hui, l’électricité coûte plus cher en Ontario qu’au Québec.

Chez nous, désireux d’exaucer la volonté du premier ministre de créer des emplois plus lucratifs et de réduire l’écart salarial avec l’Ontario devenu son obsession, on a fait des démarches pour ouvrir à des demandeurs d’électricité au rabais la possibilité de venir s’installer au Québec. Ce qui a généré une énorme surenchère de demandes de raccordement par des groupes industriels qui veulent profiter de cette manne énergétique.

Devant l’impossibilité de répondre à cette demande, au lieu de remettre en cause la campagne de séduction trop gourmande du ministre, on essaye de nous vendre les limites d’efficacité du monopole d’Hydro-Québec comme étant problématiques. Une façon indirecte de dire qu’on serait mieux servis par une certaine ouverture au libre marché. Trouvez la mystification.

Entendons-nous bien, je n’aime pas l’ultralibéralisme, mais je n’ai absolument rien contre la juste entreprise privée. Je suis moi-même un mini-entrepreneur. Tout ce que j’essaye de dire, c’est qu’on ne gagne rien à exposer Hydro à d’éventuels risques de prédation ou de balkanisation en se fiant uniquement à la parole politicienne.

De toute façon, François Legault et son gouvernement n’ont jamais demandé ou reçu le mandat d’ouvrir cette porte que la très grande majorité de la population voudrait garder fermée à double tour. Si le premier ministre décide de s’avancer dans cette direction, il affrontera un puissant vent de face pendant le reste de son mandat.

Cela dit, je suis de ceux qui pensent que la chute de la CAQ est réversible et François a le temps de retrouver sa place dans le cœur des Québécois. Pour cela, il lui suffit de se remémorer à chaque instant les raisons pour lesquelles la coalition qu’il dirige a été fondée. Un gros remaniement ministériel serait d’ailleurs bien plus pertinent comme marqueur de renouveau que tous ces mots qui ne sont que des mots.