Je me souviens qu’il y a un an à peine, nous étions nombreux à croire que la CAQ était installée aux commandes du Québec pour une ou deux décennies – ce qui, en politique, représente l’équivalent d’une éternité. Le parti venait de remporter une majorité historique, la popularité de François Legault atteignait des sommets, les oppositions étaient au plancher.

L’élection de la Coalition avenir Québec (CAQ) en 2018 avait mis fin à une alternance vieille de 50 ans entre les deux partis qui s’étaient disputé le pouvoir, le Parti québécois (PQ) et le Parti libéral du Québec (PLQ), le premier en défendant son projet de pays, le second en défendant le statu quo. Et depuis le dernier référendum, le PQ ne savait plus trop quoi faire de son option, qu’il balayait sous le tapis en promettant de former un bon gouvernement, tandis que le PLQ n’avait qu’à raviver la crainte d’un nouveau référendum pour remporter la victoire. Si bien que nous avions le choix entre une éventualité et une menace, entre le pays-à-faire dont le PQ ne parlait presque plus et le pays-à-ne-pas-faire dont le PLQ parlait chaque fois qu’il sentait le pouvoir lui échapper.

La CAQ a été élue sur la promesse d’incarner une troisième voie, un nationalisme fort au sein d’un Canada uni. Sauf que cette troisième voie s’est rapidement transformée en cul-de-sac. Sur la plupart des enjeux qui l’ont opposé à Ottawa depuis cinq ans, le gouvernement de la CAQ a compris que la bataille pour gagner de nouveaux pouvoirs serait ardue. Et c’est sans doute pour cela que la fierté s’est imposée dans le discours, une fierté compensatoire, investie dans l’ordre des symboles et des couleurs (le bleu), visant à pallier l’absence de gains réels.

Le nationalisme de la CAQ s’est traduit en matière linguistique par des politiques mesquines ou inutilement compliquées, dont l’effet sur la santé du français au Québec, et à Montréal en particulier, risque d’être marginal.

Plutôt que de créer un système de quotas d’admission dans les cégeps anglophones, de décréter des hausses de droits de scolarité pour les étudiants canadiens (pour ensuite revoir ses plans) et d’exiger des anglophones qu’ils jurent d’être des anglophones pour être servis dans leur langue, il aurait été plus cohérent et efficace d’étendre l’application de la 101 à l’ensemble des cégeps, en continuant de miser activement sur la francisation.

La faiblesse actuelle de la CAQ est un produit de sa force passée : elle concerne la personnalité du chef. Contrairement au PQ et à Québec solidaire (QS), le parti n’est pas né d’un mouvement citoyen, issu de la base. Il a été fondé en 2011 par deux hommes d’affaires, François Legault et Charles Sirois, un peu comme on lance une start-up, et le militantisme a fini par se greffer, de gré ou de force, à une structure centrée sur un pouvoir personnel.

Sur le site d’Élections Québec, le parti est toujours identifié en tant que « Coalition avenir Québec – L’équipe François Legault⁠1 », à l’image d’un parti municipal. Cette manière personnelle de diriger s’est traduite par une présence constante du premier ministre sur les réseaux sociaux, où il parle de ses lectures et de ses politiques, de ses rencontres et de ses émotions. À cette présence s’est ajoutée la création d’une balado, où M. Legault discute de tout et de rien avec des personnalités connues.

L’homme a un côté sympathique, c’est l’évidence, mais le défaut de cette approche est qu’elle maintient le reste de l’équipe de la CAQ dans l’ombre, qu’elle donne l’impression que le militantisme au sein de ce parti est accessoire.

Que M. Legault choisisse de prendre sur lui-même les défaites (celle dans Jean-Talon : « Ce n’est pas toi, Marie-Anik [Shoiry, sa candidate], qui a perdu, c’est la CAQ et moi ») et le mécontentement populaire (à propos des récents sondages : « Les Québécois sont fâchés contre moi ») a quelque chose d’honorable. Mais à la longue, on finit par se demander : le « moi » de François Legault se confond-il avec la CAQ et son gouvernement ? La CAQ dispose-t-elle d’une vraie base militante, d’un « fond » intellectuel capable de formuler des politiques et de rappeler à l’ordre ses dirigeants ? Suit-elle un programme, ou bien est-elle tributaire des seules humeurs de son chef ? Y a-t-il des lieux et des mécanismes – au sein du parti, du caucus des députés, du Conseil des ministres – qui permettent d’exprimer la dissension et la critique ?

On s’est longtemps moqué du PQ et de ses fameuses « chicanes ». Et le récent congrès de QS a donné lieu à des débats musclés, sur des questions sujettes à controverse, qui ont pu nourrir la même impression de « chicane ». Sauf que ces tensions sont aussi le signe de partis politiques bien en vie, qui ne sont pas de simples créatures entre les mains d’un patron et de ses conseillers. Ces partis ont les moyens de survivre à un départ ou à une défaite, parce qu’ils portent des idées, nourrissent un projet qui est plus grand qu’eux, savent où ils veulent aller.

L’avantage de la CAQ est qu’elle a encore des années devant elle et qu’elle conserve l’initiative. Mais les erreurs de la dernière année (hausse spectaculaire du salaire des députés, double volte-face sur le troisième lien, financement des Kings de Los Angeles), auxquelles il faut ajouter l’une des plus longues grèves de l’histoire récente du Québec (y a-t-il quelqu’un parmi nos dirigeants qui sent l’urgence de ramener les jeunes sur les bancs d’école ?) et la multiplication des enquêtes et soupçons d’ordre éthique (Fitzgibbon, Duranceau, Le Bouyonnec) donnent à ce gouvernement, déjà, des airs de fin de régime.

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