Vous avez peut-être vu la nouvelle passer : à Montréal, les petits bâtiments construits à partir d’octobre 2024 ne pourront plus être raccordés au réseau de gaz naturel.1

Fini, donc, les fournaises et les poêles au gaz dans plusieurs bâtiments neufs.

Ce que vous ignorez peut-être, c’est que derrière ce règlement se joue une importante bataille.

Une bataille entre ceux qui croient qu’il faut sortir au plus vite le gaz naturel du secteur du bâtiment et ceux qui estiment que le gaz demeure un outil intéressant, voire essentiel, pour chauffer nos maisons, commerces et industries.

Dans le premier camp, on retrouve la Ville de Montréal, des experts comme ceux de l’Institut de l’énergie Trottier et les groupes écologistes. L’autre côté compte les poids lourds que sont Hydro-Québec et Énergir.

Le règlement montréalais est le résultat d’un compromis entre ces deux visions qui s’affrontent.

Malheureusement, cette bataille se déroule largement entre experts et entre gens qui ont des intérêts dans la question.

C’est dommage. Ces enjeux sont complexes, mais le grand public a le droit de les comprendre.

C’est d’autant plus vrai qu’avec la crise du logement, le Québec cherche à relancer la construction résidentielle. L’alimentation en énergie des futurs bâtiments est donc particulièrement d’actualité.

Le débat touche aussi à des questions cruciales comme la décarbonation et l’utilisation de notre électricité.

Essayons d’y voir clair.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Pour Énergir, le gaz demeure un outil intéressant, voire essentiel, pour chauffer nos maisons, commerces et industries, même dans un contexte de décarbonation.

Au départ, les ambitions de la Ville de Montréal étaient beaucoup plus grandes que ce que contient le nouveau règlement.

En mars, une commission de la Ville suggérait d’interdire le gaz naturel dans tous les nouveaux bâtiments, peu importe leur taille.

Son raisonnement : quand on veut faire le ménage, la première chose à faire est d’arrêter de salir.

Les bâtiments génèrent 10 % des gaz à effet de serre du Québec, surtout à cause du chauffage aux combustibles fossiles. La commission voulait cesser d’empirer le problème en freinant l’ajout de nouvelles sources polluantes.

Cette vision s’est toutefois heurtée à celles d’Énergir et d’Hydro-Québec. Oubliez les chemises déchirées : tant la Ville qu’Énergir et Hydro-Québec m’assurent que les discussions ont été constructives. Il reste que le choc des idées est bien réel et loin d’être terminé.

La fameuse pointe hivernale

L’argument principal d’Énergir et d’Hydro-Québec se résume en deux mots : pointe hivernale. Lors des grands froids, la consommation d’électricité explose. Si tous ceux qui chauffent au gaz passent à l’électricité, ce sera encore pire. Tout le réseau électrique devrait être bonifié pour une centaine d’heures de froid par année.

Cet argument a amené la Ville de Montréal à limiter son règlement aux petites constructions (maximum de 600 mètres carrés et de trois étages).

Cela en réduit la portée, car ce sont principalement de gros bâtiments qu’on prévoit construire à Montréal. Énergir estime que le règlement touchera à peine une centaine de nouveaux bâtiments par année.

« Sur le cours de nos activités, ce n’est pas grand-chose », admet Catherine Houde, directrice exécutive aux affaires publiques, gouvernementales et aux communautés d’Énergir.

La Ville affirme quant à elle que le règlement empêchera l’émission de 400 tonnes de GES par année. C’est l’équivalent des émissions d’une centaine de Ford F-150 qui parcourraient 15 000 km par année. À l’échelle d’une métropole, c’est minuscule.

Les groupes écologistes jugent néanmoins que ce règlement envoie un signal fort qui pourra être imité par d’autres villes.

Pourquoi économiser l’électricité ?

La volonté d’Hydro-Québec d’économiser l’électricité pour préserver la pointe hivernale soulève une foule de questions.

On peut se demander pourquoi Hydro-Québec a assez d’électricité pour alimenter les usines de la nouvelle filière des batteries, mais pas assez pour chauffer les bâtiments de Montréal.

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Pour Hydro-Québec, il est plus facile de raccorder une nouvelle usine que de renforcer un réseau complexe comme celui de Montréal.

La société d’État réplique qu’il est plus facile de raccorder une nouvelle usine que de renforcer un réseau complexe comme celui de Montréal.

Je n’en doute pas une seconde. Je suis aussi conscient que c’est beaucoup plus facile à écrire qu’à faire, mais je pense néanmoins que le rôle d’Hydro-Québec devrait être de fournir un réseau qui répond aux besoins des Québécois et qui est en mesure de soutenir la décarbonation de la province.

Vous commencez à comprendre où je loge dans cette bataille du gaz.

Énergir et Hydro-Québec plaident aussi que la puissance électrique économisée en conservant le gaz dans les bâtiments peut être déployée vers d’autres usages qui généreraient des gains environnementaux plus importants.

L’argument est intéressant… mais a besoin d’être démontré.

S’il y avait plusieurs mesures de réduction de gaz à effet de serre qui fonctionnaient au Québec et qui manquaient d’électricité, je comprendrais. Mais aucun secteur ne génère aujourd’hui de réductions (que ce soit l’industrie, les transports ou l’agriculture).

Ce n’est pas le manque d’électricité, par exemple, qui freine actuellement l’électrification des transports, mais le fait qu’on peine à s’approvisionner en véhicules électriques.

Au contraire, sortir graduellement le gaz des bâtiments permettrait de générer des réductions de gaz à effet de serre concrètes et sonnantes. L’affaire est techniquement faisable. Il me semble qu’on ne peut se permettre d’ignorer ces gains.

Vous direz qu’il ne s’agit que de l’avis d’un chroniqueur et vous aurez parfaitement raison. En fait, la bataille du gaz a besoin d’un véritable arbitre. Une société d’État qui dirait où diriger nos ressources afin d’en maximiser les gains environnementaux, économiques et sociaux.

Une telle société d’État a déjà existé. Elle s’appelait Transition Énergétique Québec. La Coalition avenir Québec l’a abolie. La bataille du gaz illustre les conséquences de ce vide.

1. Lisez l’article de Jean-Thomas Léveillé

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Le gaz naturel renouvelable provient de sources comme la biométhanisation des restes de table de nos bacs bruns. Comme il s’agit de pollution qu’on épargne, ses émissions sont considérées comme faibles.

Quand le gaz devient… renouvelable

Le règlement de Montréal n’oublie pas complètement les grands bâtiments. Ceux-ci pourront continuer d’être raccordés au réseau de gaz naturel, mais ce dernier devra être de source « renouvelable ».

Énergir a aussi proposé d’utiliser uniquement du gaz renouvelable dans tous les nouveaux bâtiments du Québec – une mesure en attente d’une approbation de la Régie de l’énergie.

Qu’est-ce que ça veut dire ?

Le gaz naturel renouvelable provient de sources comme la biométhanisation des restes de table de nos bacs bruns. Comme il s’agit de pollution qu’on épargne, ses émissions sont considérées comme faibles.

Ce gaz renouvelable est envoyé dans le réseau d’Énergir et mélangé au gaz d’origine fossile. Pour l’instant, il compte pour 2 % du gaz distribué au Québec. Cela suscite beaucoup d’incompréhension. Si un nouveau bâtiment brûle 98 % de gaz d’origine fossile, ne pollue-t-il pas quand même ?

En fait, pas vraiment. Chaque fois qu’un nouveau bâtiment se raccorde au réseau, Énergir ouvre le robinet du gaz renouvelable pour verser l’équivalent de la consommation de ce bâtiment dans son réseau. Si la comptabilité est bien faite, le gain environnemental est réel.

Or, le gaz renouvelable est rare et cher : Énergir prévoit que sa proportion montera à seulement 10 % en 2030.

La semaine dernière, lors du dévoilement de son plan d’action, Hydro-Québec a suggéré d’alimenter la centrale thermique existante de Bécancour au gaz naturel renouvelable pour répondre aux pointes hivernales.

Normand Mousseau, directeur de l’Institut de l’énergie Trottier, plaide qu’on devrait plutôt réserver cette ressource rare pour les usages industriels impossibles à électrifier comme certaines étapes de la production de l’acier. Et ne pas la gaspiller pour chauffer des bâtiments qu’on sait chauffer à l’électricité.

L’État de New York a justement adopté une loi qui empêchera l’usage du gaz naturel dans pratiquement tous les bâtiments, même les plus grands. J’y vois la preuve que l’électrification est possible. Et que le règlement montréalais est une première étape sur laquelle on doit construire.

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