Nous sommes à 30 ou 40 jours de l’adoption de tous les budgets municipaux du Québec. Chaque année, je le répète, chaque année, ils sont adoptés en novembre ou en décembre. Pourtant, le gouvernement n’a toujours pas informé les villes des sommes dont elles disposeront pour faire face à la crise des transports en commun. Ce n’est pas sérieux.

Le blocage s’explique notamment par le fait que la position du gouvernement est basée sur trois idées fausses :

  1. les sociétés de transport peuvent réduire leur déficit exceptionnel actuel sans réduire les services ;
  2. les transports en commun sont une dépense comme une autre ;
  3. Montréal est un problème.

Prenons-les une par une.

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Marie-Claude Léonard, directrice générale de la Société de transport de Montréal. À la STM, 85 % du budget est rattaché directement aux opérations. Faire des compressions importantes sans réduire les services est une vue de l’esprit, écrit Maxime Pedneaud-Jobin.

Réduire sans réduire ?

Dans une société de transports en commun, le gros de la dépense est constitué de la masse salariale des chauffeurs et des mécaniciens ainsi que du matériel roulant. À la Société de transport de Montréal (STM), 85 % du budget est rattaché directement aux opérations. Dans des sociétés de la taille de la Société de transport de l’Outaouais, si on retranchait tout le personnel qui n’est pas directement relié à l’offre de service, on ne couvrirait même pas le déficit relié à l’achalandage pour 2023. En transports en commun, faire des compressions importantes sans réduire les services est une vue de l’esprit.

Si le gouvernement refuse d’entendre les arguments des villes du Grand Montréal, il pourrait peut-être écouter ceux de la MRC de Brome-Missisquoi. Selon elle, les déficits s’expliquent par l’augmentation du coût du carburant, des véhicules, des intérêts sur les emprunts et de la main-d’œuvre ainsi que par l’absence d’indexation des subventions gouvernementales et par la baisse des revenus d’achalandage reliée à la pandémie. Conséquence, la MRC doit réduire l’offre de service, par exemple, en limitant les ententes avec les entreprises privées pour faciliter le transport des travailleurs.

Oui, il y a toujours moyen de mieux gérer, mais dénoncer la mauvaise gestion, c’est utiliser un arbre pour cacher la forêt : tout le contexte économique actuel est toxique pour les transports en commun.

Avant même la pandémie, l’accroissement considérable de l’offre de services, un accroissement souhaité ardemment par tous les ordres de gouvernement, mettait une pression sur les dépenses d’opération qui n’était plus soutenable, ni par les usagers ni par la taxe foncière (la part moyenne de contribution des municipalités du Québec est déjà la plus élevée au Canada)1. Le gouvernement du Québec lui-même reconnaît les failles du modèle de financement des réseaux de transport… il a d’ailleurs fait deux vastes consultations sur le sujet, sans, à ce jour, proposer de solution.

Pire encore, quand les municipalités ont voté pour élargir la contribution sur l’immatriculation à l’ensemble des municipalités du Grand Montréal – afin de développer l’offre de transports en commun –, le précédent ministre des Transports s’y est opposé ! On tourne en rond.

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Pour chaque dollar payé par un individu, la collectivité paie l’équivalent de 5,77 $ lors d’un déplacement réalisé en automobile et de 1,31 $ lors d’un déplacement réalisé en autobus.

Une dépense comme une autre ?

Non, les transports en commun ne sont pas une dépense comme une autre. Ce sont les usagers des transports en commun qui rendent service au gouvernement, pas l’inverse⁠2 !

Pour chaque dollar payé par un individu, la collectivité paie l’équivalent de 5,77 $ lors d’un déplacement réalisé en automobile et de 1,31 $ lors d’un déplacement réalisé en autobus⁠3.

De plus, faut-il le répéter, la lutte contre les GES passe nécessairement par les transports en commun.

Chaque choix individuel de passer de l’auto à l’autobus est un gain collectif considérable. Je risque une comparaison : qui dirait que l’éducation est déficitaire ?

Montréal est un problème ?

« Je ne crois pas que c’est au gouvernement et aux contribuables du Québec de payer pour 100 % d’un déficit de plus de 2 milliards dans le Grand Montréal », a dit la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, pour justifier ses hésitations.

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La mairesse de Montréal, Valérie Plante, et la ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault, dans des installations de la STM. Le Grand Montréal, c’est 82 municipalités, 48 % de la population du Québec et 55 % de son PIB.

La Société de transport de Montréal devrait être traitée différemment des autres sociétés de transport. Pourquoi ? Elles ont toutes un déficit. La crise est partout. Il faut vraiment que le gouvernement se débarrasse de son réflexe de taper sur Montréal, nous y perdons tous. Ai-je besoin de rappeler que le Grand Montréal, c’est 82 municipalités, 48 % de la population du Québec et 55 % de son PIB ?

À cet égard, le ministre des Finances, Eric Girard, a récemment cité une étude selon laquelle l’écart de PIB entre l’Ontario et le Québec est, en fait, un écart de PIB entre Montréal et Toronto⁠4. Le ministère des Finances devrait donc inciter celui des Transports à investir dans les transports en commun à Montréal, c’est un moyen éprouvé d’augmenter l’attractivité de la métropole et la productivité de la main-d’œuvre, donc d’augmenter le PIB.

Blâmer Montréal ou les sociétés de transport ne mène à rien. Sous-financer les transports en commun ne fait que nous rapprocher du précipice. Il faut faire mieux.

1. Lisez l’éditorial « Vous n’auriez pas un p’tit 2,5 milliards pour prendre le bus ? » de Stéphanie Grammond 2. Lisez l’éditorial « Tout à l’avantage du transport collectif » de Nathalie Collard

3. Chiffres tirés de l’« Évaluation comparative des coûts totaux des déplacements selon le mode de transport utilisé sur le territoire de la Communauté métropolitaine de Québec », par Voisin, Dubé et Coehlo, Université Laval, février 2021.

4. Consultez une présentation du ministère des Finances Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue