Chaque vendredi, nous revenons sur la semaine médiatique d’une personnalité, d’une institution ou d’un dossier qui s’est retrouvé au cœur de l’actualité

Pelure de banane ou coup en bas de la ceinture ?

On n’a pas fini de mesurer l’impact de la sortie publique spectaculaire de six ex-premiers ministres du Québec qui critiquent des aspects de la réforme du système de santé pilotée par le ministre Christian Dubé.

Rappelons brièvement les faits : Daniel et Pierre Marc Johnson, Lucien Bouchard, Pauline Marois, Philippe Couillard et Jean Charest ont uni leurs voix pour s’adresser au ministre de la Santé. Le motif de cette intervention extraordinaire : défendre l’autonomie des hôpitaux, de leur conseil d’administration et de leur fondation, nous dit-on.

Cette sortie très médiatisée faisait suite à des rencontres privées, a-t-on appris par la suite. Des rencontres qui ont poussé M. Dubé à apporter des modifications à son projet de loi. Mais ces amendements n’ont pas satisfait le groupe d’ex-premiers ministres, qui a choisi de déplacer la discussion sur la place publique.

Le sens du punch

Que faut-il retenir de cette sortie pour le moins inhabituelle ?

D’abord, son côté exceptionnel, justement. « Ils ne font pas souvent de sorties publiques, ce qui rend l’évènement assez unique », souligne Carol-Ann Rouillard, professeure de communication stratégique à l’Université de Sherbrooke.

Le choix du messager y est aussi pour quelque chose, poursuit Mme Rouillard. « Lucien Bouchard fait autorité, souligne-t-elle. C’était la meilleure personne pour porter le message, car M. Couillard a un historique lourd et Mme Marois a déjà été ministre de la Santé. Quant à M. Charest, c’est un personnage qui est encore controversé. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Lucien Bouchard a expliqué et défendu l’intervention des anciens premiers ministres, cette semaine.

Pour le contenu du message, par contre, on s’entend que c’est moins réussi. « C’était plutôt technique, dit Carol-Ann Rouillard. On a tenté de simplifier le message en jouant sur des notions émotives comme la personnalité de chaque institution, son âme, mais le fait est que ça demeure flou pour la majorité des gens. »

En mode gestion de crise

Si l’intention était de déstabiliser le ministre, l’objectif est atteint. M. Bouchard a répété à tous les micros qu’il était d’accord avec la réforme et que le Québec était « chanceux » que Christian Dubé la pilote ; reste qu’en sortant sur la place publique, ce prestigieux « club des ex » a apporté de l’eau au moulin des partis de l’opposition tout en plaçant le gouvernement sur la défensive. À preuve, la riposte du premier ministre François Legault. Il a dénoncé la résistance aux changements des conseils d’administration qui défendaient leurs « petits pouvoirs ». Quant à M. Dubé, il s’est trouvé forcé de faire une tournée médiatique pour aller défendre la crédibilité de son travail.

Ils ont dû recentrer leur message. Mais à moyen terme, ce n’est pas nécessairement négatif. Le ministre Dubé a géré la crise, car c’en était une, en faisant preuve d’ouverture. Il était en mode écoute plutôt que de tenir la ligne dure même si, au final, on a senti qu’il n’avait pas répondu aux attentes des ex-premiers ministres.

Carol-Ann Rouillard, professeure de communication stratégique à l’Université de Sherbrooke

1-0 pour les ex

Qui a gagné cette joute médiatique qui s’est étendue sur un peu plus de 24 heures ? La professeure au département de communication de l’Université de Sherbrooke croit qu’en fin de compte, les nombreuses entrevues de Lucien Bouchard ont éclipsé les efforts de Christian Dubé pour recentrer le message. « Cette sortie laisse une empreinte, c’est certain. Non seulement elle alimente le cynisme de la population, mais on peut avoir une impression négative en apprenant qu’il y a des discussions qui se déroulent derrière des portes closes. »

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Les six anciens premiers ministres du Québec se sont portés à la défense de l’autonomie des instituts et centres hospitaliers universitaires du Québec, dont l’Institut de cardiologie de Montréal.

En effet, depuis mardi, on peut se demander où est l’intérêt des patients dans toute cette discussion autour des conseils d’administration et des fondations.

Pour ceux et celles qui ne comprenaient pas tous les tenants et aboutissants de la réforme Dubé, la semaine qui se termine n’aura rien fait pour les éclairer.

Carol-Ann Rouillard croit toutefois qu’il y a des leçons à tirer de cet épisode. « Il y a des efforts à faire de la part du gouvernement pour mieux expliquer et vulgariser la réforme », croit-elle.

Au fond, ce que le public souhaite savoir, c’est si l’accès aux soins, lui, sera facilité. Ce n’est pas le débat de cette semaine qui l’aura éclairé.

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