La réforme Dubé repose sur une idée : le problème du système de santé du Québec, ce n’est pas d’être un mammouth. C’est que chaque patte du pachyderme bouge dans sa propre direction. Ou ne bouge pas du tout.

Autrement dit, le système n’est pas malade de sa bureaucratie, mais de ses chasses gardées. Syndicales. Médicales. Institutionnelles. Toutes ces rigidités organisationnelles, toutes ces crispations corporatistes font en sorte que le système n’est pas efficace. Qu’on n’a pas les soins à la hauteur de ce qu’on paie.

Le but de l’opération, si l’on peut utiliser ce terme, c’est de décloisonner. Et jusqu’ici, personne ne m’a convaincu que le projet était mal orienté. En fait, plus j’entends Christian Dubé, plus il me convainc.

Mais oui, comme vous, je ne peux me défaire d’un fond de cynisme devant ces grosses réformes qui paradent devant nous tous les 10 ans comme des chars allégoriques. On en a vu d’autres.

Ce n’est pas tous les jours non plus que six anciens premiers ministres prennent la plume ensemble. En fait, ça n’arrive jamais.

Ont-ils raison de vouloir préserver ce qu’ils appellent « l’âme » des hôpitaux de pointe du Québec ? Bien sûr que oui.

Ont-ils raison de croire que l’immense réforme de Christian Dubé menace jusqu’à l’existence de l’Institut de cardiologie, de Sainte-Justine, du CHUM, du CUSM… ?

Je n’en suis pas convaincu.

Il faudrait être complètement cinglé pour remettre en question des institutions aussi prestigieuses que l’Institut de cardiologie de Montréal. Et après les débats épiques et les milliards investis dans les grands hôpitaux universitaires, pense-t-on vraiment qu’un gouvernement du Québec voudra les mettre au niveau de financement de l’hôpital Jean-Talon ?

En gros, la démarche des ex-PM ne vise pas à s’opposer au « projet de loi 15 », comme on appelle cette réforme historique. Lucien Bouchard disait même mercredi chez Paul Arcand être d’accord avec le concept de « Santé Québec », qui deviendra l’employeur unique du domaine.

Mais il faudrait éviter le « mur à mur », et préserver des exceptions pour protéger ce qui fonctionne bien dans le système, disent les six. Chacune de ces institutions a son écosystème de recherche, d’enseignement, d’innovations et de soins de haut niveau. Les immerger dans la grande mer de Santé Québec tuera le modèle, nous dit-on.

Le ministre Christian Dubé a répondu calmement à ces craintes. Tout ce qui fait l’essence de ces institutions est nommément préservé dans la loi, y compris la philanthropie destinée spécifiquement à une unité d’un hôpital. Autrement dit, si monsieur X veut faire un don pour tel projet de recherche de tel chercheur dont il veut voir les résultats cliniques, comme ça arrive en ce moment, ce sera tout aussi possible. C’est ce qui est précieux dans ce modèle : l’intégration complète de la recherche et des soins. Les innovations sont rapidement testées, enseignées, diffusées.

Ce qui change, et qui dérange, c’est la disparition de l’entité juridique de chaque établissement. Et le pouvoir des conseils d’administration.

« À Québec, les conseils sont perçus comme une opposition officielle », me dit un médecin impliqué dans la recherche d’un de ces hauts lieux médicaux, mais qui, lui, n’est pas du tout alarmiste. « Aucun gouvernement ne voudra se priver de ces centres ni de la philanthropie qui y est associée. »

Comprenez que personne dans le milieu n’ose parler publiquement : c’est trop délicat politiquement. Les ex-PM parlent au nom des dirigeants de ces centres d’excellence, et des grands donateurs qui les aident à vivre. Ceux qui appuient la réforme sont tout aussi anonymes, de crainte de se faire ostraciser dans leur propre milieu. J’ai l’impression qu’il y a autant de politique en médecine qu’à l’Assemblée nationale.

Non pas que ces conseils d’administration soient peuplés de gens avides d’argent : ils sont bénévoles et comme me dit un membre : « À part le temps passé et le trouble que ça donne de convaincre les donateurs, ça ne donne rien personnellement. »

Il est vrai aussi que ces centres suscitent beaucoup de jalousie dans le ministère et dans un réseau à bout de ressources. Un peu comme si ces écrins étaient protégés politiquement, juridiquement et financièrement des tempêtes qui s’abattent partout ailleurs. Comme si chacun était un peu à l’abri d’une reddition de compte.

La réforme déplace le lieu de pouvoir. Ces institutions auront leur direction. Leurs spécialités pointues. Leur lien avec l’université et la philanthropie. Mais ne seront plus en dehors du système et seront un peu plus incitées à la collaboration – la pandémie a révélé beaucoup de ces résistances dans le système.

Les ex-PM craignent qu’à l’avenir, un gouvernement les dilue. Ce serait effectivement une grave erreur. Si ce devait être le cas, il y aurait lieu de monter au créneau. Mais ce n’est ni l’intention déclarée du gouvernement, ni ce qui est écrit dans ce projet de loi.