La semaine dernière1, je posais une question un peu vache pour la Nation : qu’est-ce qui marche, au Québec ? C’était une question rhétorique, la réponse est dans le simple fait de poser la question. Réponse, quant aux services de l’État : pas grand-chose.

Un lecteur m’a écrit pour me raconter une belle mise en abyme du Québec qui marche mal : en 2020 et en 2023, c’est lui qui avait de la difficulté à marcher. En 2020, sa hanche droite a lâché. Puis, en 2023, ce fut au tour de la gauche.

Dans un État qui marche minimalement, ce citoyen qui a payé des impôts toute sa vie aurait été opéré rapidement. Mais tant pour sa hanche gauche que pour sa hanche droite, le système public de la Nation n’a pas été au rendez-vous pour ce citoyen. Les deux fois, à cause des délais de chirurgie, il a dû avoir recours au privé.

Je le cite, à propos de sa décision de retourner encore une fois au privé cette année : « Voyant l’hiver qui approche et l’été que j’ai perdu, j’ai décidé d’avoir encore accès au privé à la suite des commentaires des deux orthopédistes qui m’ont dit qu’il y avait au moins de 6 à 12 mois d’attente pour ce type de chirurgie. Je n’avais pas l’intention de perdre l’hiver qui s’en vient à encore attendre le fameux coup de téléphone. »

Je parlais la semaine passée de ce pacte social québécois : le citoyen accepte de payer un fardeau fiscal plus lourd qu’ailleurs sur le continent en échange de services publics efficaces.

Mais quand le citoyen se fait dire à répétition « Allez au privé ! » pour des services étatiques comme la scolarisation de ses enfants (parce que l’école du quartier est pourrie), pour voir un médecin généraliste (parce que son médecin de famille est indisponible) ou pour un remplacement de la hanche (parce que la solution de rechange est de boiter pendant 6 à 12 mois, peut-être plus), ledit citoyen est en droit de se dire que l’État a renié le pacte social.

Bref, ce lecteur qui m’a écrit a beau payer plus de taxes et d’impôts que ses voisins nord-américains, il a quand même dû piger dans sa poche pour faire remplacer ses hanches en 2020 et en 2023…

Coût de sa hanche droite en 2020 : 22 000 $.

Coût de sa hanche gauche en 2023 : 24 750 $.

Je n’ai pas de problème à payer des taxes et des impôts pour créer une société plus égalitaire par la redistribution des richesses, comme des systèmes de garderies, de l’aide sociale ou des crédits d’impôt destinés aux familles. Je fais miens les mots d’un juge américain : « Les taxes et impôts sont le prix à payer pour la civilisation. »

Mais quand l’État ne tient pas sa partie du deal, je décroche. Quand l’État est incapable, par stupidité, de délivrer des permis de conduire pour cause de sorcellerie informatique, je décroche. Quand je paie des impôts qui ne m’achètent pas de la civilisation, mais des listes d’attente, je décroche.

Je regarde aller Christian Dubé, ministre de la Santé. Il n’a pas créé le système de santé, il en a hérité. Il fait présentement du rodéo sur un éléphant en psychose qui s’appelle le projet de loi 15, un projet de loi gigantesque qui ratisse aussi large que le buffet de ses détracteurs…

Je ne sais pas si c’est un bon projet de loi. Mais je vois les anciens premiers ministres qui dénoncent les aspects « gouvernance » du projet de loi 152 et deux réflexions me viennent à l’esprit…

Un, la gouvernance, encore ? On n’a pas suffisamment joué dans les structures et dans les institutions, depuis 20 ans ? Des agences régionales de la santé et des services sociaux aux CISSS et CIUSSS, qu’est-ce qui a changé ? Pas le temps d’attente aux urgences. Pas les listes d’attente. Pas les « Allez au privé ! »…

Deux, sans dire que ce que les six anciens premiers ministres dénoncent est farfelu, je note que chacun de ces anciens PM n’a pu stopper la lente glissade de notre système de santé vers les profondeurs des sables mouvants de l’inefficacité.

Je pense en particulier à Philippe Couillard, qui a réussi l’exploit d’être ministre de la Santé ET premier ministre sans jamais réussir à remettre ce système dans le sens du monde.

Il faut dire que M. Couillard a pu, lui, se mettre à l’abri du pacte social québécois pendant un temps en planquant du fric dans un paradis fiscal.

J’ai presque fini de chialer…

Dans un village du Saguenay se trouve une école primaire que je ne nommerai pas, juste parce que j’aime beaucoup les gens du Saguenay. Toujours est-il qu’on veut y réaménager la cour d’école. Solution ? Les écoliers doivent vendre des palettes de chocolat pour financer la cour d’école, 14 000 $ ont ainsi été amassés l’an dernier…

Je cite la lettre aux parents : « Nous suggérons que chaque enfant vende une boîte. Pour les familles de plus de 2 enfants qui fréquentent le Collège, nous suggérons de vendre au moins 2 boîtes par famille. Pendant la période des Fêtes, nous sommes convaincus qu’il sera possible pour vous de vendre les produits, que ce soit au travail, dans vos familles, parmi vos amis Facebook, etc. Nous offrons aussi la possibilité de ne pas vendre de chocolat et de remettre la somme de 50 $ à l’école… »

Je dis : quelle idée fantastique !

Le financement de services publics par la vente de tablettes de chocolat est une rallonge du modèle québécois qui fera peut-être un jour – qui sait – l’envie du monde entier.

T’as besoin d’une nouvelle hanche à 22 000 $ ?

Vends du chocolat aux amandes.

Ton fils (peut-être) TDAH a besoin d’une évaluation en neuropsy à 1500 $ pour avoir accès à des services d’orthopédagogie (pour lesquels tu devras vendre d’autres tablettes de chocolat) ?

Vends des Coffee Crisp.

T’as besoin d’un scan pour savoir si la masse dans ton dos est bénigne ou maligne ?

Vends du chocolat noir 75 % cacao du nord-ouest de la Colombie.

Et si tu meurs d’un cancer avant d’avoir vendu pour 1500 $ de chocolat afin d’obtenir ledit scan au privé, ben, tu pourras pas te plaindre anyway : tu seras mort.

1. Lisez « Qu’est-ce qui marche, au Québec ? » 2. Lisez « Six ex-premiers ministres critiquent la réforme Dubé »