Les députés et le personnel de l’Assemblée nationale ont enfin accès à une halte-garderie pour leurs enfants. Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que ce projet a pris plus de 20 ans à se concrétiser. Et sans les femmes parlementaires, il n’aurait sans doute jamais vu le jour. Heureusement, elles n’ont jamais lâché le morceau.

Le saviez-vous, un petit miracle s’est produit à Québec ! Depuis quelques semaines, il y a ENFIN une halte-garderie pour les enfants des élus et du personnel de l’Assemblée nationale. Il aura fallu attendre 61 ans après l’élection de la première femme au Parlement québécois, Marie-Claire Kirkland, pour y arriver.

Il s’agit pour l’instant d’un projet-pilote d’une durée d’un an, mais on voit mal comment ça pourrait NE PAS fonctionner. C’est un besoin tellement essentiel.

Ce qui est bien avec cette halte-garderie qui peut accueillir quatre poupons ainsi que des enfants de 10 ans et moins, c’est que son horaire se colle à celui des parlementaires. Ils siègent plus tard ? Elle est ouverte. C’est congé ? Elle est fermée. C’est la Maison de la famille Chutes-Chaudières qui gère et qui fournit les éducatrices qualifiées.

PHOTO FOURNIE PAR LE CONSEIL DES PETITS TRÉSORS

La halte-garderie peut accueillir quatre poupons ainsi que des enfants de 10 ans et moins.

On partait de loin

On se demande souvent ce que la présence des femmes en politique change et pourquoi la parité est importante. En voilà un exemple concret. Comme me l’a si bien dit Chantal Soucy, députée de Saint-Hyacinthe et vice-présidente de l’Assemblée nationale, quand la majorité des élus étaient des hommes de 60 ans, la garderie n’était pas une préoccupation.

Les femmes parlementaires à qui j’ai parlé pour cette chronique m’ont toutes souligné la même chose : avant 2020, il n’y avait même pas une table à langer ou une salle d’allaitement à l’Assemblée nationale.

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Nathalie Roy, présidente de l’Assemblée nationale

« Quand j’ai été élue en 2012, c’est une des premières choses que j’ai remarquées, me confie Nathalie Roy, aujourd’hui présidente de l’Assemblée nationale. Les enfants n’avaient pas de place dans la maison du peuple, je trouvais que c’était une aberration. » Depuis 2020, il y a une table à langer par étage.

Marwah Rizqy se rappelle sa première visite à l’Assemblée nationale avec bébé Gabriel : « J’ai dû faire plusieurs salles de bains avant d’en trouver une », me raconte la députée de Saint-Laurent.

Elle se considère comme chanceuse, son fils a une place en CPE. Mais comme ses deux parents sont des élus, le petit Gabriel sera tout de même client du Conseil des petits trésors (le très mignon nom de la halte-garderie) !

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Marwah Rizqy

« J’arrive à 7 h du matin et je termine autour de 18 h 30-19 h 30, ajoute Mme Rizqy. Je ne peux pas demander à une attachée politique de tenir mon enfant pendant que je siège à une commission même si, je dois le dire, des employés administratifs l’ont déjà gardé pendant une période de questions. La halte-garderie, c’est nécessaire ! »

On se souvient de la députée caquiste Valérie Schmaltz, qui avait traversé la salle pour aller prendre le petit Gabriel pendant une intervention de Marwah Rizqy. Cette scène très humaine est monnaie courante entre les femmes élues à Québec, insiste la députée libérale. « Les gens ne le voient pas, mais il existe une solidarité incroyable entre les femmes, peu importe le parti, c’est très touchant. »

Une vraie course à relais

La halte-garderie est le fruit d’un looooong travail dans les coulisses qui s’étend sur plus de 20 ans et qui, sans surprise, a surtout été porté par des femmes. « Différents scénarios ont été étudiés en 2000, mais il y avait trop de contraintes et des coûts importants, alors on a laissé tomber », m’explique Chantal Soucy.

Le dossier rebondit en 2017 quand l’ancien président de l’Assemblée nationale Jacques Chagnon et son bras droit, Michel Bonsaint, planifient l’agrandissement de l’Assemblée nationale. Les femmes reviennent à la charge : peut-on prévoir un espace pour une garderie ? Lise Lavallée, alors députée caquiste dans Repentigny, fait parvenir une lettre en ce sens. Puis Chantal Soucy a un échange avec Jacques Chagnon. « Je me souviens très bien de la conversation, raconte-t-elle. Je me suis fait répondre : ben voyons donc, une garderie à l’Assemblée nationale… »

Le bureau du président mène tout de même un sondage, mais il le fait durant l’été. Inutile de dire que le taux de réponse frôle le 0 %…

Le vent tourne aux élections d’octobre 2018 qui marquent l’arrivée de plusieurs jeunes à l’Assemblée nationale. « On était une douzaine d’élus de 35 ans et moins au Cercle des jeunes parlementaires, se rappelle l’ex-députée de Québec solidaire aujourd’hui dans la course pour devenir co-porte-parole du parti, Émilise Lessard-Therrien. La conciliation travail-famille revenait souvent dans nos discussions. On était plusieurs à habiter loin de Québec et on était donc loin de notre réseau. Moi, j’avais déjà un enfant et j’en voulais d’autres et je voulais les emmener avec moi. Une halte-garderie, c’était fondamental. »

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Inauguration officielle de la halte-garderie de l’Assemblée nationale du Québec. Sur la photo : Nathalie Roy, présidente de l’Assemblée nationale, Jennifer Maccarone, députée de Westmount–Saint-Louis, Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de Québec solidaire, Joël Arseneau, député des Îles-de-la-Madeleine, Suzanne Roy, ministre de la Famille, Ann-Philippe Cormier et son fils Clément, ainsi que les deux jeunes enfants Louis Maxime et Madeleine lors de la coupure du ruban.

Plusieurs élues m’ont confié qu’il y avait une vraie crainte que la population voie une garderie comme un privilège. Ce serait dommage. Si on veut des jeunes à l’Assemblée nationale, il faut leur faciliter la vie.

Finalement, après un deuxième sondage en 2019 et une modification de la loi pour permettre un service de garde dans une assemblée législative, le projet était lancé.

Un signe d’ouverture

Je suis réaliste. À elle seule, la halte-garderie ne suffira pas à convaincre quelqu’un de se lancer en politique, mais c’est un signe d’ouverture, une façon de dire aux femmes (et aux pères impliqués) : vous avez une place ici, on n’est plus dans les années 1950.

« Ça peut être un outil pour attirer les jeunes femmes », me confirme Nathalie Roy, qui a à cœur de valoriser la place des femmes en politique. La présidente de l’Assemblée nationale aimerait que d’autres mesures puissent être adoptées dans les prochaines années.

Chantal Soucy me rappelle qu’il fut un temps où les élus siégeaient jusqu’à minuit. « Notre leader Simon Jolin-Barrette, lui-même père de jeunes enfants, s’est entendu avec les autres partis pour adapter les horaires. » Sauf exception, les élus siègent le matin plutôt que tard le soir. Et l’Assemblée nationale suspend ses travaux deux semaines durant la relâche scolaire.

« C’est la théorie des petits pas, résume bien Marwah Rizqy. La possibilité du vote électronique depuis notre bureau facilite aussi les choses. Maintenant, il faudrait parler d’un vrai congé parental pour les élus si on veut attirer, et surtout garder, les jeunes qui ont la langue à terre à essayer de tout concilier. »

Entièrement d’accord avec elle !

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