Comme pour montrer toute l’incongruité de l’affaire, ce n’est pas le département de la Justice qui a annoncé la mise en accusation de l’ex-président Donald Trump. C’est Donald Trump lui-même qui s’en est chargé.

Nous sommes donc devant la situation remarquablement tordue d’avoir le ministère de la Justice de l’administration Biden qui accuse celui qu’il a battu lors de la dernière élection présidentielle – et qui est un candidat déclaré pour la prochaine – devant les tribunaux.

Il faut cependant noter que, dans le système américain, les accusations sont recommandées par un jury et que le ministère public procède ensuite avec une mise en accusation formelle.

Reste que nous avons donc un ex-président qui a fait l’objet de deux tentatives de destitution de la part du Congrès pendant son mandat. Et qui est déjà accusé d’avoir falsifié la comptabilité de son entreprise, la Trump Organization, afin de cacher un paiement de 130 000 $ à une vedette porno pour acheter son silence sur une relation qu’il nie avoir eu.

En plus, l’ancien président est l’objet de deux autres enquêtes pouvant déboucher sur des accusations criminelles.

M. Trump devrait donc être formellement accusé mardi à Miami, entre autres en vertu de la Loi sur l’espionnage, d’avoir illégalement gardé des centaines de documents classifiés comme secrets et d’avoir refusé de les rendre aux archives, comme le prévoit la loi.

Il est passible, théoriquement, de plusieurs années de prison, la cause ayant comme circonstance aggravante le fait qu’il a commis une entrave à la justice en faisant de fausses déclarations pour ne pas être obligé de rendre les documents.

Si les institutions de la république peuvent survivre à tout cela, c’est vraiment que ce pays « est fait fort », comme on dit.

Mais pourquoi Trump est-il le premier à annoncer sa mise en accusation, presque comme si c’était une grande réussite ? Parce que cela cadre à merveille avec la vaste théorie du complot qu’il véhicule depuis des années, soit qu’il est en guerre avec le « Deep State », l’État profond, dont il serait la victime innocente.

Mais on ne peut que constater combien M. Trump se retrouve aujourd’hui dans les mêmes mauvais draps que son adversaire malheureuse de 2016, Hillary Clinton. Il avait alors fait campagne en disant qu’elle ne devrait pas être élue puisqu’il y avait tellement d’enquêtes contre elle qu’elle risquait fort de se retrouver en prison. Il est ironique de constater, aujourd’hui, que les rôles sont inversés !

Mais M. Trump a quand même du temps devant lui. Les tribunaux fédéraux aux États-Unis sont notoirement lents et certains observateurs croient que le procès pourrait ne commencer que dans un an et demi ou deux ans, donc bien après l’élection présidentielle.

En plus, M. Trump est passé maître dans l’art de ralentir les procédures. Ce n’est pas un hasard si, le lendemain de sa mise en accusation, il a congédié ses avocats – ou demandé leur démission, c’est pareil. Cela va nécessairement signifier des délais supplémentaires.

Pendant ce temps, les républicains qui s’opposent à Trump sont en train de se demander quelle est la meilleure stratégie pour s’opposer au fait qu’il soit désigné de nouveau comme candidat républicain.

Deux camps s’affrontent. D’abord ceux qui disent qu’on ne doit pas ajouter de candidats aux primaires contre Trump, ne serait-ce que pour ne pas lui permettre de gagner avec une minorité des voix. C’est ce que dit le gouverneur du New Hampshire, Chris Sununu.

« L’enjeu est trop important pour qu’un groupe trop nombreux de candidats donne la nomination à quelqu’un qui n’aurait que le tiers des voix », a-t-il écrit au Washington Post.

Il sait de quoi il parle. Dans la toute première élection primaire de 2020, au New Hampshire, comme le veut la tradition. M. Trump a obtenu 35 % des voix, les cinq autres candidats se partageant les 65 % qui restent.

Mais les règles donnent un avantage considérable au gagnant. Ainsi, la moitié des délégués du New Hampshire est allée à Donald Trump, soit 11, les autres candidats se partageant les 11 autres.

Ce n’est toutefois pas l’avis de l’ancien gouverneur du New Jersey, Chris Christie, qui estime qu’il faut plus de candidats pour pouvoir exposer et expliquer tous les mensonges de Donald Trump.

L’ancien vice-président de Trump, Mike Pence, a officiellement rompu avec son ancien patron en annonçant sa candidature. « Quelqu’un qui s’est placé au-dessus de la Constitution ne mérite pas d’être président une nouvelle fois », a-t-il déclaré en annonçant sa propre candidature. Il faisait allusion à la tentative de Trump de changer les résultats du scrutin, le 6 janvier 2021.

M. Pence n’a pratiquement aucune chance de l’emporter. Mais il entend être le caillou dans le soulier de M. Trump pour lui rappeler constamment que c’est lui qui a essayé de voler l’élection et qu’il n’est aucunement la victime d’une fraude électorale à grande échelle.

Mais, pour Trump, ce type de caillou dans son soulier ne l’a jamais empêché de marcher !