Caroline Néron me rejoint en milieu d’après-midi au restaurant Les Enfants terribles de L’Île-des-Sœurs, tout près de chez elle. Quelques heures plus tôt, elle emballait des vibrateurs et d’autres accessoires dans des boîtes de carton, dans ses bureaux du nord de la ville, près de la rue Chabanel.

Oui, Caroline Néron fait un retour remarqué sur les écrans ces jours-ci, avec des rôles dans la série STAT et le film Testament de Denys Arcand, mais elle a encore les deux mains dans son entreprise de bijoux et de jouets sexuels.

Littéralement.

« Je m’occupe du shipping, me dit-elle sans broncher. C’est nouveau, mais ça me permet de contrôler mon inventaire, ça me permet de tout contrôler. »

C’est un changement majeur pour la comédienne et entrepreneure qui comptait 200 employés, 21 boutiques et des bureaux à Paris au sommet de sa gloire dans le monde des affaires, au milieu des années 2010. Elle a maintenant cinq employés au total, y compris elle-même et son associée de longue date, Julie St-Jacques.

« Je ne dis pas que je vais tout le temps m’occuper de l’expédition, mais j’apprends beaucoup à travers ça, souligne-t-elle. Je suis même de retour sur la route. Je visite tous mes clients en ce moment partout au Québec pour les stratégies 2024. Il y en a une soixantaine, des bijouteries, des boutiques cadeaux, des salons funéraires… »

Ce retour à la base, très concret, illustre bien la nouvelle vie de Caroline Néron, qui a vécu une faillite et un divorce hautement médiatisés en 2019. C’est de cette réinvention que j’avais envie de lui parler. Pour voir comment elle a réussi à rebâtir sa vie – et sa carrière – sur les ruines d’une série de revers retentissants.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Caroline Néron a réussi à se reconstruire, autant personnellement que professionnellement.

La femme de 50 ans s’est confiée pendant une heure et demie autour d’une tisane, puisqu’une opération récente aux cordes vocales lui interdit le café. La notion de contrôle, celui qu’on perd, celui qu’on cède, et celui qu’on regagne, a occupé une bonne partie de cet échange sans filtre.

Le contrôle, pour Caroline Néron, semblait absolu dans les années 1990 et 2000. Elle a enchaîné les rôles dans une dizaine de séries comme Diva et Tribu.com, dans des films, en plus d’enregistrer des albums et de lancer son entreprise de bijoux. Exténuée, écœurée par les trahisons et les « coups de poignard dans le dos » reçus sur les plateaux de tournage, elle a quitté le monde du divertissement en 2009.

Son succès, dans les affaires cette fois, a pris des proportions stratosphériques pendant la décennie suivante.

Son entreprise Néron inc. connaissait alors l’une des plus fortes croissances de tout le pays. Elle disait ouvertement viser un chiffre d’affaires de 1 milliard, rien de moins. Son mariage de sept ans avec Réal Bouclin, richissime propriétaire du groupe de résidences pour aînés Sélection, aujourd’hui en graves difficultés financières, a coïncidé avec cette période de faste absolu.

« La vérité, c’est que mes erreurs ont commencé quand je me suis mise à trop grandir et à engager plus de vice-présidents, parce que c’était une recommandation qu’on me faisait », affirme-t-elle.

Tu sais, il y a beaucoup de gens qui ne voulaient pas faire affaire avec moi, qui me disaient : “Il faudrait que tu aies quelqu’un, moi, j’aimerais mieux travailler avec un VP, un gars qui a des années d’expérience dans le retail. Pas une actrice.”

Caroline Néron

Avec le recul, Caroline Néron estime avoir pris beaucoup trop de distance par rapport aux activités quotidiennes de son entreprise, qui aurait enregistré un chiffre d’affaires annuel de 16 millions à son apogée. Elle a perdu le compte.

« Je n’avais pas besoin de tant d’employés, je n’avais pas besoin de cinq comptables pour une business à 16 millions, dit-elle. La plus grande leçon, pour moi, ç’a été de dire : réduis tes coûts fixes, contrôle ça. À mon ancien bureau-chef, j’avais autour de 50 employés, et j’en avais assurément 30 de trop. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Caroline Néron reste interloquée de l’abondante couverture médiatique dont elle a fait l’objet dans la foulée de sa faillite.

Caroline Néron a racheté son entreprise auprès d’un créancier en 2022 pour 400 000 $, me dit-elle. La version d’aujourd’hui est « extra-maigre » par rapport à la structure gonflée à l’hélium d’avant la faillite. Elle soutient avoir enregistré des profits l’an dernier, sans toutefois me faire part de son chiffre d’affaires. « Je vais rester en bas de 20 employés. »

L’entrepreneure dit maintenant connaître le fin détail de ses stocks. Elle vend surtout des bijoux, mais ses nouvelles gammes de maquillage et d’accessoires érotiques gagnent en popularité, avance-t-elle. Le ton de ses publicités lui permet de rejoindre des clientes plus mûres qui n’avaient jamais utilisé de tels jouets sexuels.

Ce n’est pas la Léa pis la Maëlle. Non, moi, c’est Yolande.

Caroline Néron

Caroline Néron reste interloquée par l’abondante couverture médiatique dont elle a fait l’objet dans la foulée de sa faillite. Mais si d’autres peuvent apprendre de son parcours, ce sera ça de pris. « Je n’ai pas de problème à m’expliquer, et j’ai aussi beaucoup de messages d’entrepreneurs qui écoutent ça, qui ont besoin d’entendre ces histoires-là. »

C’est dans sa période la plus sombre, en pleine dépression, tout juste après son divorce et sa faillite de 2019, qu’un appel a changé la donne pour Caroline Néron. Un ancien agent de distribution, qui l’avait repérée à l’époque lointaine de Diva, a réussi à la trouver en téléphonant au service à la clientèle de son entreprise en déroute.

Il voulait lui offrir d’auditionner pour le film La déesse des mouches à feu, d’Anaïs Barbeau-Lavalette, qui lui aura finalement valu le prix Iris de la meilleure interprétation féminine dans un rôle de soutien en 2021. Un « comeback » en bonne et due forme.

Cet appel, je m’en souviendrai toujours. J’étais en boule dans mon divan, dans le noir, tu sais, c’était sombre dans ma tête, sombre à tous les niveaux. Cet appel-là a été très révélateur, comme un signe de la vie qui m’a dit de faire le saut et de passer à autre chose, qui m’a renvoyée là où j’étais censée être.

Caroline Néron

Caroline Néron dit aujourd’hui aller « extrêmement bien ». Elle a repris goût à sa carrière d’actrice, et l’industrie le lui rend bien. Elle tiendra bientôt le rôle principal dans une série à grand déploiement ainsi que dans le film Anna Kiri Superstar, réalisé par Francis Bordeleau, aux côtés d’Anne-Marie Cadieux.

Son associée tient les rênes de la PME les semaines où elle a des tournages, une « entente » bien définie entre elles.

Sa vie personnelle est à l’avenant. Elle partage un condo de L’Île-des-Sœurs avec son conjoint des dernières années et sa fille de 14 ans, Emanuelle, qui fait ses débuts comme comédienne.

« Je fais un retour, mais un retour dans tout, dit-elle. C’est un peu ce qui arrive quand tu acceptes les épreuves. Moi, j’ai l’impression que tu as tellement de leçons de vie à travers ça que ça n’a pas le choix, à un moment donné, de revirer de bord. Tout ce qui monte redescend, mais peut aussi remonter. »

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : Un deuil ! Je ne bois plus de café depuis ma dernière intervention à une corde vocale… recommandation de mon orthophoniste. Mon café du matin me manque beaucoup, mais je suis en mesure aujourd’hui d’évaluer l’impact qu’il avait sur ma santé.

Les livres sur ma table de chevet : Mon prochain scénario

Des gens, vivants ou morts, que j’inviterais à ma table : Jennifer Lawrence et Jimmy Fallon

Un rêve que j’aimerais réaliser : Jouer dans un film avec ma fille Emanuelle

Mon film fétiche : Forrest Gump

Le plus beau compliment : Sur mon jeu d’actrice ou celui de ma fille

La pire insulte : Au moins tu auras essayé d’être en affaires !

Qui est Caroline Néron ?

  • Née en 1973 à Boucherville, sur la Rive-Sud, de parents courtiers immobiliers.
  • A commencé une carrière d’actrice dans les années 1990 dans des publicités et des séries comme Diva et Tribu.com.
  • Son entreprise de bijoux et d’accessoires a enregistré l’une des plus fortes croissances au Canada en 2013, avant de faire faillite en 2019.
  • Elle a relancé une version allégée de son entreprise et repris sa carrière artistique ces dernières années.