Comment devient-on québécois, malgré son accent ou sa couleur de peau ? Faut-il avoir lu Anne Hébert ? Fêter Noël ? Connaître les paroles de L’Amérique pleure ? Être un partisan du Canadien ? Des immigrants et des enfants d’immigrés se racontent.

Son nom, c’est Ndejuru

Émilie Ndejuru, 43 ans, est née à Sainte-Anne-de-la-Pérade de parents rwandais. C’est une immigrée de la deuxième génération.

Se définit-elle comme québécoise ?

Peu importe comment je me définis parce que, finalement, c’est les autres qui nous définissent. Et les autres me définissent comme une immigrante. Les gens ne savent pas que je suis née ici. Mon nom, c’est Ndejuru.

Émilie Ndejuru, 43 ans

Émilie a passé les cinq premières années de sa vie à Sainte-Anne-de-la-Pérade. Puis, de l’âge de 7 ans à 15 ans, elle a vécu avec sa famille au Niger et au Burkina Faso, où son père avait accepté des contrats de coopération internationale.

« Ensuite, c’est comme si j’ai réimmigré au Québec, explique-t-elle. Je suis allée finir mon secondaire à l’école Saint-Luc. J’avais un accent, un peu ouest-africain, et des expressions différentes. Je n’avais pas les mêmes références culturelles. Je détonnais vraiment ! Ça a été extrêmement difficile. »

Nouveau départ en 2004, seule cette fois. Elle a passé près de trois ans au Rwanda. « Je suis revenue en 2007, précise-t-elle. J’ai décidé de prendre racine parce que c’est ici que je me sens bien. C’est chez moi. C’est trop bizarre à dire, mais quand je suis à Montréal, je sais quoi faire. Je peux me débrouiller. Je sais comment naviguer. » Elle vient de faire paraître un recueil de poésie, intitulé Gatchacha, chez Hurlantes éditrices.

Une idée pour favoriser l’intégration

« Les gens apprennent beaucoup plus vite quand ils se sentent en confiance. Quand on rend une langue trop politique, les gens ont peur. Il faut que l’apprentissage du français soit le fun. »

La simplicité identitaire

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Akos Verboczy est arrivé au Québec enfant.

Auteur, Akos Verboczy, 48 ans, est un enfant de la loi 101. Son premier livre, Rhapsodie québécoise, paru en 2016, raconte comment il est devenu québécois. Et son premier roman, La maison de mon père, publié cette année, montre comment il est resté hongrois malgré tout.

Pour moi, ça n’a jamais été un conflit. Je ne le vois pas comme tel, c’est-à-dire que je suis un Québécois d’origine hongroise. Je suis un adepte de la simplicité identitaire.

Akos Verboczy, 48 ans

Akos avait 11 ans quand il est arrivé au Québec. « J’ai grandi dans un milieu immigrant, où il n’y avait pas beaucoup de Québécois d’origine, ou pas du tout, et où, de façon générale, la culture québécoise était plutôt regardée de haut, si ce n’est pas méprisée, raconte-t-il. Donc, ça m’a pris du temps pour découvrir et apprécier la culture d’ici. »

Le déclic s’est produit au cégep : « J’ai choisi le cégep en français, contre l’avis de ma mère et contre l’avis de plusieurs de mes camarades de classe, parce qu’à ce moment-là, je parlais un petit peu mieux en français qu’en anglais. Je trouvais que j’avais plus de chances de réussir mes études en français. Au cégep, j’ai découvert des cours de littérature, de sociologie, d’histoire. C’est là que j’ai rencontré beaucoup plus de Québécois d’origine. Je trouvais qu’ils étaient très fréquentables, finalement, et je m’en suis même fait des amis ! »

Une idée pour favoriser l’intégration

« Une liste de lecture d’œuvres québécoises devrait accompagner chaque élève durant toute sa scolarité primaire et secondaire, pour doter les Québécois d’un socle commun de culture littéraire. »

Français avant tout

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Auteur, Philippe Yong enseigne au collège Stanislas.

À Montréal depuis une dizaine d’années, Philippe Yong est né en France de parents coréens. Il est un « immigrant de la deuxième génération coréen, Français immigré au Québec » ! Avec la parution l’an dernier de son premier roman, Hors-sol, il est devenu un auteur québécois. Mais il se dit « français avant tout ».

« Le livre est une forme d’enracinement parce qu’il est né de mon expérience d’immigrant, témoigne-t-il. J’avais le sentiment d’avoir une sorte de flottement d’identité très, très fort, qui est né du fait que je me sois installé ici. »

Le livre a été une espèce d’objet magique et m’a fait rencontrer une pléthore d’auteurs, participer à des colloques, aller à des causeries, traverser tout le Québec. Donc, c’est très étrange parce qu’écrire un roman dans une maison d’édition québécoise est en train de m’ancrer dans une identité vraiment québécoise.

Philippe Yong, 50 ans

Il ajoute, un brin déçu : « Je vis dans le Plateau, je travaille dans le milieu de l’enseignement. Mais j’ai quelquefois l’impression que le regard des Québécois s’arrête à mon origine ethnique. On me voit dans la rue, je suis asiatique. Je n’avais plus l’habitude qu’on réduise un peu mon identité à mon origine. Je l’ai redécouvert de façon relativement désagréable, disons-le, avec des petites manifestations de racisme ordinaire, ici. »

Une idée pour favoriser l’intégration

« Il faut rendre la francisation attractive, et laisser le temps aux gens de se franciser. Il ne faut pas que ce soit vécu comme un fardeau supplémentaire, à des horaires impossibles. »

Peine d’amour

PHOTO SIMON SÉGUIN-BERTRAND, LE DROIT

Mensah Hemedzo travaille en Ontario.

Mensah Hemedzo, 46 ans, était « amoureux fou du Québec » quand il a posé ses valises à Gatineau, en 2009, pour faire un baccalauréat en enseignement à l’Université du Québec en Outaouais, après des études en lettres au Togo et un doctorat en France.

« Je n’avais pas de problème à recommencer au Québec, assure-t-il. J’aime étudier. Le fait d’étudier à l’Université du Québec en Outaouais, pour moi, c’était une manière de m’intégrer au système. Donc, tisser des relations, un bon réseau, faire mes stages à Gatineau pour connaître le milieu. »

Je voulais vraiment rester ici, vivre ici, travailler ici. Mais le système d’éducation, à Gatineau, ne m’a pas accueilli. J’ai passé trois ans à chercher. Finalement, c’est en Ontario que j’ai trouvé un emploi.

Mensah Hemedzo, 46 ans

« Je me dis toujours québécois, malgré ma déception, même si je suis redevable aux Franco-Ontariens. Je le dis toujours, les Franco-Ontariens m’ont sauvé la vie parce qu’à un moment, j’avais des idées noires. Donc, le sentiment d’être québécois est là, mais je n’ai plus cette fierté que j’avais. Être québécois, pour moi, c’est un fait. Voilà. »

Une idée pour favoriser l’intégration

« Il faut donner la même chance à tout le monde sur le marché du travail. »

Être ni l’un ni l’autre

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Diana Chumbe et son conjoint, Leylo Herrera

Infirmière, Diana Chumbe, 29 ans, est née au Québec de parents d’origine péruvienne et a grandi avec sa mère, « nounou » dans une famille montréalaise très aisée.

« Ma mère est venue seule, avec un permis de travail, quand elle avait 24 ans, dit-elle. Aujourd’hui, elle a 70 ans. C’était la première à sortir du Pérou dans notre famille. Tous les sous qu’elle ramassait, elle les envoyait au Pérou pour donner à manger à ses frères et sœurs, et payer l’université à tous mes oncles et tantes. »

Se sent-elle québécoise, péruvienne ou les deux ?

Ma mère est totalement péruvienne. Mais moi, je ne suis ni l’un ni l’autre. Et c’est ça, la difficulté, parce que si je rentre au Pérou, je me sens bien, je me sens chez moi, mais je me sens québécoise. Je rentre ici, je me sens bien, je sais que je suis chez moi, mais je suis péruvienne.

Diana Chumbe, 29 ans

« On me fait parfois sentir étrangère », ajoute Diana, dont le conjoint, Leylo Herrera, est aussi un immigré de la deuxième génération. « Si on me demande ce que je fais dans la vie, par exemple, et que je réponds “infirmière”, on va dire : “Ah oui, les latines, c’est infirmière ou ménagère, c’est quelqu’un qui prend soin de quelqu’un d’autre. ” Parce que c’est ça, le stéréotype d’une femme latine. »

Une idée pour favoriser l’intégration

« Pour bien s’intégrer, je pense que c’est important de savoir d’où on vient. Nous, en tant qu’enfants d’immigrants, on est à la recherche de notre identité. »