C’est une question qu’il faut se poser avant de demander comment un immigrant devient un Québécois. Parce que la réponse n’est pas évidente. Est-ce une personne qui habite sur le territoire du Québec ? Quelqu’un dont la langue maternelle ou celle parlée le plus souvent à la maison est le français ? Ou un résident qui s’exprime en français dans l’espace public ?

La réponse varie selon les convictions, les opinions politiques et les sensibilités des uns et des autres.

Pour Gérard Bouchard, qui a coprésidé la célèbre commission Bouchard-Taylor, un Québécois, c’est d’abord et avant tout une personne qui réside au Québec. « Quelqu’un qui est établi ici à résidence, en principe de façon permanente, précise-t-il. Plus qu’un immigrant temporaire qui vient faucher les champs durant l’été et qui retourne chez lui. »

D’autres, comme le politicologue André Lamoureux, pensent que c’est une personne qui « partage l’identité québécoise ». « Cette identité est évidemment culturelle et elle fait référence à une histoire, à des traditions, des habitudes de vie, des valeurs qui se sont développées avec le temps, explique-t-il. L’identité, c’est aussi la langue française, qui est la langue commune de cette nation. Et ça, c’est vraiment un élément fondamental. »

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André Lamoureux, politicologue

Le constitutionnaliste et ancien ministre Benoît Pelletier hésite quant à lui à adopter une définition territoriale. « C’est quelqu’un qui aime le Québec et qui souhaite le mieux-être de cette société-là, de cette nation-là », affirme-t-il.

Pour l’écrivain Marco Micone, « un Québécois, c’est une abstraction ». « Il y a plusieurs Québécois, lance-t-il. Le Québécois d’Hochelaga-Maisonneuve, lui, n’a rien à foutre avec le Québécois qui vit à Westmount. »

Un immigrant qui ne parle pas français est-il un Québécois ?

« C’est sûr qu’un Québécois comme moi aime bien que les immigrants apprennent le français parce que notre culture est fragile », répond Gérard Bouchard, qui est historien et sociologue. « On a une bonne raison pour inciter les immigrants à apprendre le français, mais s’ils ne le font pas, ce sont des Québécois quand même. »

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Marco Micone, écrivain

On peut être québécois sans parler français. Autrement, qu’est-ce que je ferais de mes parents, moi ? Ma mère était une fière Québécoise.

Marco Micone, écrivain

« Oui, on peut être québécois même quand on ne parle pas le français, ajoute Benoît Pelletier. Je pense que la nation québécoise doit se définir de façon très inclusive, très généreuse, très large. »

Comment devient-on québécois ?

Peu importe la définition qu’on a, le processus qui permet à un immigrant de devenir québécois dépendra de deux choses. De la part du nouveau venu, un processus d’intégration et le développement d’un sentiment d’appartenance. De la part de la société d’accueil, une attitude d’acceptation et d’ouverture.

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Gérard Bouchard, historien et sociologue

Je pense qu’il y a un mot qui résume pas mal de choses. C’est le contact, que ce soit dans le milieu scolaire, le milieu des loisirs. Il faut que les gens se rencontrent, qu’ils s’apprivoisent, qu’ils échangent, qu’ils se connaissent mutuellement. Ça, ça ouvre le chemin à une véritable intégration, à quelque chose de plus substantiel.

Gérard Bouchard, historien et sociologue

Marco Micone rappelle que si l’immigrant veut s’intégrer dans sa société d’accueil, il a des besoins plus urgents lorsqu’il arrive : se loger, obtenir un emploi et trouver ses repères. « L’appartenance, pour l’immigrant, c’est une question qui viendra plus tard », souligne-t-il.

André Lamoureux distingue d’ailleurs quatre niveaux d’intégration. Le premier est économique : « La première condition, c’est de pouvoir vivre, donc de pouvoir subvenir à ses besoins. » Le deuxième, c’est l’intégration sociale : « Ne pas demeurer dans son ghetto, dans sa communauté. Au contraire, s’intégrer pleinement à la complexité de cette société d’accueil. » Le troisième, c’est la culture : « Il faut se marier à cette culture. » Et le dernier est symbolique : « C’est quand une personne développe un véritable sentiment d’appartenance à cette société d’accueil et s’identifie comme Québécois. »

Des débats politiques récents peuvent toutefois affecter ce processus d’accueil en nourrissant un sentiment de crainte à l’égard de l’immigration, notamment sur les menaces qu’elle ferait peser sur la place du français.

Combien de temps reste-t-on un immigrant ?

Selon la définition de Statistique Canada, une personne née à l’extérieur du Canada restera un immigrant toute sa vie, même si elle obtient la citoyenneté. Mais les enfants nés ici ne sont pas des immigrants.

Dans la vraie vie, toutefois, c’est bien plus compliqué. On parle couramment d’immigrants de deuxième et de troisième génération. Est-ce là une façon d’imposer une étiquette qui ne disparaît jamais ?

Ces vocables peuvent décrire le fait que les immigrants, même sur plusieurs générations, conservent des éléments de leur culture d’origine : langue, cuisine, religion, coutumes. Et que souvent, ils tiennent à souligner ces éléments distinctifs.

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Benoit Pelletier, constitutionnaliste et ex-ministre

On peut avoir des appartenances multiples. On peut être à la fois québécois et canadien, on peut être québécois et vietnamien. Je pense qu’on vit dans un monde qui favorise d’ailleurs les appartenances multiples.

Benoît Pelletier, constitutionnaliste et ancien ministre

Mais cela peut aussi rappeler que les enfants d’immigrants ne sont pas tout à fait perçus comme des Québécois. Et souvent, ce sera le cas pour ceux qui ne peuvent pas se fondre dans la société d’accueil, en raison de leur nom, de leur couleur ou de leur accent. Ceux qui se feront demander « Tu viens d’où ? ».

Est-il plus difficile de devenir québécois au Québec que canadien dans les autres provinces ?

Probablement, pas parce que les Québécois sont moins ouverts ou moins accueillants que les Canadiens, mais parce que le contexte est différent.

« Au Québec, on participe à une société qui est minoritaire dans l’ensemble canadien, indique Benoît Pelletier. Donc, ça rend plus difficile le sentiment d’appartenance. Pour le nouvel arrivant, s’adapter à une situation minoritaire, c’est complexe et ça demande un exercice de conviction personnelle qui est plus exigeant encore que celui, à mon avis, d’être canadien dans le reste du Canada. »

Ce caractère minoritaire fait en sorte que le cadre d’accueil des immigrants est plus contraignant au Québec qu’au Canada. D’abord, les lois linguistiques obligent les enfants d’immigrants à étudier en français. Mais surtout, le rejet au Québec du concept canadien de multiculturalisme, et une préférence pour une autre approche, celle de l’interculturalisme qui, tout en valorisant le pluralisme, mise sur l’intégration.

En savoir plus
  • 74,8 %
    C’est la proportion de la population québécoise dont la langue maternelle est le français.
    Source : Statistique Canada
    14,6 %
    C’est le pourcentage d’immigrants, donc de personnes qui ne sont pas nées au pays, au Québec.
    Source : Statistique Canada