Aujourd’hui, notre chroniqueur rencontre le chef d’orchestre de l’OSM, Rafael Payare

Qu’est-ce qui a été aussi important que la musique dans la vie du chef d’orchestre Rafael Payare ?

L’éducation.

Le directeur musical de l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) ne serait pas devenu un grand chef d’orchestre sans le système d’éducation public du Venezuela, son pays natal. Il a découvert la musique sur le tard grâce à El Sistema, un programme d’orchestres dans des écoles secondaires publiques du Venezuela.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Le chef d’orchestre de l’OSM attablé avec notre chroniqueur au restaurant Leméac

« Sans El Sistema, la musique ne serait jamais devenue une passion dans ma vie », me dit un Rafael Payare détendu et sympa devant un café (et un bon repas) au resto Leméac à Montréal en ce midi de septembre, au lendemain du concert inaugural de la saison de l’OSM.

Notre maestro n’a pas le parcours typique d’un chef d’orchestre : il n’a jamais touché à un instrument de musique avant l’âge de 14 ans. Intrigué par son frère aîné qui joue de la musique, il s’inscrit à El Sistema, un programme unique en son genre. C’est gratuit. C’est ouvert à tous les ados (dans les écoles participantes). Il n’y a pas d’auditions. Tu veux faire partie de l’orchestre ? Tu en fais partie. Aussi simple que ça.

« Ils fournissaient gratuitement les instruments de musique, les professeurs, et on jouait en orchestre presque tout de suite après. Au début, le son était horrible ! Mais on faisait quelque chose de très important : on répétait chaque jour à l’école – il n’y avait pas de devoirs le soir –, parfois même le samedi. »

L’égalité des chances est une valeur forte d’El Sistema.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Le parcours de chef d’orchestre de Rafael Payare n’est pas banal, il n’a pas touché un instrument de musique avant ses 14 ans.

Peu importe notre niveau, nous avions les meilleurs enseignants. Je me rappelle la visite de chefs comme Claudio Abbado [qui a dirigé La Scala à Milan et l’Orchestre philharmonique de Berlin]. On faisait l’expérience de la musique de haut niveau. Ça finit par rentrer dans votre système.

Rafael Payare, directeur musical de l’Orchestre symphonique de Montréal

Directeur musical de l’OSM depuis l’automne 2022, Rafael Payare veut donner des concerts mémorables dans sa ville d’adoption. Mais il veut aussi en faire davantage pour l’enseignement de la musique à Montréal. En s’inspirant entre autres de ce qu’il a connu. « Un El Sistema à la Montréal », résume-t-il.

Depuis 2016, l’OSM offre, en partenariat avec l’Université de Montréal et le centre de services scolaire de la Pointe-de-l’Île, des cours de musique aux enfants de maternelle de l’école Saint-Rémi, à Montréal-Nord. Qu’est-ce que Rafael Payare et l’OSM nous préparent ? Le chef à l’enthousiasme contagieux et aux cheveux distinctifs a manifestement quelque chose derrière la tête.

« Je ne suis pas sûr si je peux en parler, on travaille sur le projet. Maestro [Kent] Nagano a fait ce projet extraordinaire à Montréal-Nord avec du piano, des percussions, des violons et une chorale. C’est une très belle fondation [pour d’autres projets], comme d’avoir un orchestre complet dans plus d’une école, comme El Sistema. »

Mon rêve, ce serait d’avoir différents orchestres, dans différentes parties de la ville, et de les réunir dans un grand orchestre pour enfants durant la Virée classique. C’est mon genre de rêves.

Rafael Payare

Pour Rafael Payare, la musique fait partie de l’éducation. Mais l’éducation est beaucoup plus que la musique. C’est la soif d’apprendre. Le travail. La discipline. L’humilité.

Même – surtout – pour un premier de classe comme lui, qui a terminé son secondaire à 15 ans entre autres parce qu’il a sauté une année au primaire. Il avait passé l’été à lire les livres de sa mère, prof au primaire.

Mes parents m’ont appris le travail, la discipline et l’humilité. Ma mère disait toujours : “Que tu trouves l’école difficile ou non, tu dois t’appliquer et être sérieux.” Bien faire son travail, peu importe les circonstances, c’est une leçon pour moi encore aujourd’hui.

Rafael Payare

À 15 ans, diplôme d’El Sistema en poche, il rejoint l’orchestre national des jeunes du pays, mais juge avoir trop de « temps libre ». Il étudie donc le génie chimique à l’université en même temps pendant deux ans. S’il n’avait pas choisi la musique, il serait sans doute devenu ingénieur chimique, dit-il. Ou peut-être architecte (il a fait une année universitaire en architecture quand il jouait au sein de l’Orchestre symphonique des jeunes Simón Bolívar, à Caracas).

Mais l’appel de la musique est trop fort. Et Rafael Payare peut compter sur les conseils de son mentor José Antonio Abreu, fondateur d’El Sistema, un autre premier de classe aux intérêts diversifiés (il était musicien et professeur d’économie à l’université). Rafael Payare se rappelle encore cette conversation durant laquelle son mentor lui suggère de s’orienter vers la direction d’orchestre. « J’étais dans son bureau pour parler de mon instrument [le cor], et il me parlait de direction d’orchestre. C’était un visionnaire, il voyait 15 ans en avance. »

José Antonio Abreu avait l’œil. Deux décennies plus tard, Rafael Payare est l’un des quelques diplômés d’El Sistema à faire sa marque comme chef d’orchestre à l’international.

Après avoir remporté un concours international pour jeunes chefs d’orchestre en 2012, Rafael Payare a enchaîné les nominations comme chef d’orchestre : en Irlande du Nord, à San Diego, puis à Montréal en septembre 2022.

Rafael Payare, sa femme Alisa Weilerstein, une violoncelliste de renommée internationale, et leurs deux filles de sept ans et d’un an et demi vivent à Montréal depuis l’été 2022. La famille a longtemps vécu à Berlin, puis à San Diego durant la pandémie.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Le Vénézuélien d’origine vit dans la Métropole depuis 2022.

J’adore Montréal, une ville fantastique qui me rappelle beaucoup Berlin. Vous pouvez entendre plusieurs langues dans la rue, et les gens sont très chaleureux.

Rafael Payare

Qu’est-ce qui l’a surpris de Montréal ? lui demande-t-on.

« À quel point les Montréalais se soucient de leur orchestre ! Ils le font plus qu’à Berlin. C’est seulement comparable à Vienne. »

Je cache mal mon étonnement devant ce compliment presque trop beau pour être vrai. Le chef de l’OSM voit bien que j’ai de la difficulté à croire que Montréal est davantage attaché à ses orchestres que Berlin, capitale mondiale de la musique classique.

« À Berlin, ils ont neuf grands orchestres et trois opéras », explique-t-il. Il n’y a donc pas autant d’attachement à chacun des orchestres.

À Montréal, il y a deux grands orchestres : l’OSM et l’Orchestre Métropolitain, dirigé par notre trésor national Yannick Nézet-Séguin, directeur musical du Met à New York et l’un des plus grands chefs du monde.

« La première fois que j’ai rencontré Yannick [l’hiver dernier lors du passage de l’OSM à Carnegie Hall à New York], j’avais l’impression qu’on se connaissait depuis longtemps. Il m’a souhaité la bienvenue à Montréal. On se texte parfois. Il n’y a aucune rivalité entre nous. Et puis, j’ai vécu à Berlin [avec tous ses orchestres]. C’est bien meilleur pour les gens d’avoir des options. C’est un peu comme la nourriture : il vaut mieux avoir plusieurs bons restaurants et différents types de cuisines. »

Le chef Rafael Payare veut que le plus de Montréalais possible puissent profiter de ses mets qui apaisent l’âme.

« Le monde traverse tant d’épreuves. Si nous pouvons aider les gens à rêver un peu pendant un concert, à vivre dans un monde différent pendant ce temps, leur donner un peu de tranquillité d’esprit… La musique a la capacité de changer les humeurs, de rendre les gens plus réceptifs. On le voit avec les bébés, qui n’ont pas de biais et qui ne savent pas comment le monde est. Vous mettez de la musique, et leur humeur change. »

Rafael Payare en sait quelque chose. Comme tous les parents de jeunes enfants, il a vécu – et vit encore à l’occasion – des crises à la maison. Chers parents montréalais, notre maestro a trouvé la solution : faites jouer le deuxième mouvement de la 29e, la 33e, la 34e ou la 41symphonie de Mozart. Ça fonctionne (presque) à tous les coups. « Dès qu’il y a une crise, j’appuie sur le bouton de mon téléphone pour faire jouer un extrait, et les cris se taisent », jure-t-il.

On pourrait donner le même conseil à plusieurs adultes dans une société où l’anxiété est en hausse et le niveau de tolérance en baisse. « Notre durée de concentration est de plus en plus courte. Ça m’inquiète un peu, mais c’est peut-être juste une phase. Je suis un optimiste, je crois en la société. »

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : J’adore le café. J’en prends trois ou quatre fois par jour. Un cappuccino, un cortado ou un espresso macchiato.

Le dernier livre que j’ai lu : J’ai relu Risibles amours, de l’écrivain Milan Kundera, après son décès [l’été dernier].

Une personne qui m’inspire : Le Dr José Antonio Abreu, fondateur d’El Sistema

Des qualités que j’aime chez les autres : L’honnêteté et la loyauté

Des personnes, mortes ou vivantes, que j’aimerais réunir autour d’une table : Mozart avait tellement de facilité à composer, ce serait divertissant de lui poser des questions. L’acteur Anthony Hopkins m’a toujours intrigué. Pour compléter notre table, il faut quelqu’un d’un peu plus sombre comme le compositeur Dmitri Chostakovitch. J’ai pensé à Gustav Mahler, mais il serait probablement trop névrosé, surtout avec Mozart devant lui.

Qui est Rafael Payare ?

Originaire du Venezuela, il est directeur musical de l’Orchestre symphonique de Montréal depuis 2022. Il est sous contrat avec l’OSM jusqu’en août 2027.

Âgé de 43 ans, il est aussi directeur musical de l’Orchestre symphonique de San Diego.

Il parle cinq langues (espagnol, anglais, allemand, italien, français).