Cet été, nos journalistes passent chaque semaine un moment en terrasse avec des personnalités pour une discussion conviviale. Silvia Galipeau a rencontré Mindy Pollak, la première élue de la métropole issue de la communauté hassidique.

Elle est en politique depuis près de 10 ans. Élue à seulement 24 ans, Mindy Pollak a fait l’histoire moins pour son âge que pour son sexe et, surtout, sa religion. Première femme hassidique en politique à Montréal, au Canada, voire au monde (!), on en sait toujours bien peu sur cette femme singulière, son parcours, sa réalité et surtout sa communauté.

Première surprise : elle accepte avec « intérêt » notre demande d’entretien, quoiqu’après plusieurs tentatives infructueuses pour la joindre. C’est une femme occupée et ça paraît. Si elle ne nous accorde d’abord que 30 petites minutes, nous réussissons à lui soutirer près de deux heures de généreuse conversation, alors que nous sommes attablées à la terrasse du restaurant La Nottè, rue Monkland, rare adresse cachère avec terrasse extérieure à Montréal.

Si elle a fait quelques apparitions dans les médias lors de sa première élection en novembre 2013 (dont une mention notable dans le quotidien israélien Haaretz), Mindy Pollak est quasi invisible depuis. « Maintenant, je suis sous le radar ! Pourquoi ? Je ne sais pas ! On travaille ! », rit-elle en se commandant un café glacé, qu’elle sirote à la paille tout le long de l’entretien.

Coquette, légèrement maquillée, malgré ses bras couverts en cette journée caniculaire, on oublie rapidement qu’on a devant nous notre toute première femme hassidique en entrevue à vie. C’est qu’elle est étrangement accessible. « On se tutoie ? », propose-t-elle. On mesure notre chance : on ne saura pas tout, mais tout de même beaucoup.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Notre journaliste en compagnie de Mindy Pollak

Âgée de 34 ans, divorcée (« Mais oui ! Les gens sont toujours surpris quand je dis ça ! »), Mindy Pollak est née ici d’une mère londonienne et d’un père montréalais comme elle. Ses grands-parents paternels, rescapés de l’Holocauste, sont originaires de Roumanie. Elle a grandi rue Hutchison, dans une famille de cinq enfants, et vit toujours dans la même maison familiale, au troisième étage, au-dessus de ses parents. Non, elle n’a pas d’enfants « encore », mais la trentenaire célibataire n’a pas dit son dernier mot : « Un jour, peut-être ! »

Après des études secondaires dans une école de filles de la rue Ducharme (où elle a appris ce français qu’elle maîtrise si bien), elle suit une formation d’esthéticienne, métier qu’elle a « beaucoup aimé » jusqu’à ce qu’elle brise tout un plafond de verre, soyons francs, quoiqu’un peu malgré elle, et à son grand étonnement. « Oui, sourit-elle de plus belle, mais par accident ! Ce n’était pas mon intention du tout. […] Une chose est arrivée, et puis une autre, puis je me suis retrouvée en élection ! »

On se souvient qu’elle s’est d’abord impliquée dans Les amis de la rue Hutchison (à l’invitation d’une voisine d’origine palestinienne et depuis amie, Leila Marshi), groupe à ce jour toujours actif. Cette implication communautaire, à une époque où les tensions dans le quartier étaient à leur comble (pour une histoire d’agrandissement de synagogue, souvenez-vous), lui a permis de se faire remarquer, jusqu’à se faire recruter par un parti politique : Projet Montréal. « Mais je ne pensais jamais faire ça ! »

Et puis je me suis dit : j’ai l’occasion de faire une différence. Comment dire non ?

Mindy Pollak

Si vous voulez tout savoir, non, Mindy Pollak n’a pas eu besoin de l’approbation de son père pour se lancer. « Mais non, sourit-elle, ça ne marche pas comme ça. J’étais une adulte ! »

Dix ans plus tard, la voilà toujours bien en selle comme conseillère d’arrondissement du district Claude-Ryan, dans l’arrondissement d’Outremont. Une rare femme juive et hassidique à faire de la politique. Outre une juge à Brooklyn et une mairesse en Israël, sauf erreur, Mindy Pollak (avec son compte Instagram bien actif) demeure bien unique en son genre. « Tant mieux si je peux inspirer du monde, mais ce n’est pas ce que j’essaye de faire. J’essaye de donner une voix aux gens qui n’en ont pas », résume-t-elle. Et avec les années, elle a fait du chemin. En fait foi ce nouveau « lien de confiance » entre juifs hassidiques et élus, se félicite-t-elle, et surtout cette « sensibilité » grandissante face à une réalité (des festivités, horaires à respecter, etc.) toute particulière.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Mindy Pollak

Parlons-en justement. Pourquoi, malgré tout, cette impression de deux solitudes impénétrables ? ose-t-on. « On nous reproche d’être fermés, mais sinon, on risque de disparaître, répond habilement notre interlocutrice. Il y a des parallèles à faire avec la langue et la culture québécoises vraiment intéressants. […] On n’y pense pas, mais les uns et les autres, nous voulons protéger notre langue et notre culture ! », avance celle qui milite par ailleurs pour une reconnaissance de « ce qu’on a en commun plutôt que nos différences ».

Certes, mais pourquoi si peu d’échanges ? Tout simplement une question de choix, dit-elle. « C’est un mode de vie qu’on choisit, pourquoi on aurait moins de droits ? » Oui, les hommes portent des costumes « bizarres », paraphrase-t-elle, oui, les femmes s’habillent « modestement » et couvrent leurs cheveux, et alors ? « Ce sont des choix personnels, on est tous des individus, on a le droit de s’exprimer, de s’habiller et de pratiquer comme on veut. »

Mindy Pollak ne cache pas ici son exaspération devant le portrait stéréotypé des juifs hassidiques perpétué par la culture populaire. Qu’on pense à la série Unorthodox (2020) ou au film québécois Félix et Meira (2014) (qu’elle a vu) : « C’est toujours l’histoire de quelqu’un de mécontent qui quitte [la communauté], déplore-t-elle. On met toujours l’accent sur la pauvre femme qui ne connaît rien, puis qui s’ouvre au monde. Moi, j’en ai vu, des films, j’ai lu des livres, mais on ne montre jamais ça ! »

Tiens, Mindy Pollak se considère-t-elle comme féministe ? Énième surprise : « Je dirais que oui. Mais ça veut dire quelque chose de différent pour tout le monde… » Non, elle n’ira pas « brûler sa brassière », nuance-t-elle. Mais elle défend l’équité. « Et ici, au Québec, les femmes gagnent encore moins que les hommes. Ça reste à faire… »

Notre entretien tire à sa fin. On ne peut pas s’empêcher de se demander si son rôle public si inusité ne nuit pas un brin à sa vie privée et à ses rêves avoués de bébés. En un mot : est-ce plus dur pour une femme de tête, juive hassidique de surcroît, de trouver l’âme sœur ? « C’est une très bonne question, répond Mindy Pollak. Je suis une femme religieuse et pratiquante dans le monde municipal. C’est très public. Et très out of the box. Ça va me prendre quelqu’un d’out of the box aussi ! » Et est-ce que cela existe, chez les juifs hassidiques ? « Je dirais que oui, mais ils sont souvent déjà mariés ! », conclut-elle, d’une énième déclaration aussi parlante que déconcertante.

Questionnaire estival

À quoi ressemble votre été idéal : Ça se résume en quatre mots : relaxation, famille, plage, livre.

Le dernier livre que vous avez lu : Je n’ai pas beaucoup de temps, alors c’est Anne of Green Gables… en BD !

Les gens que vous aimeriez réunir à table, morts ou vivants : Je n’ai jamais connu mes grands-pères, morts avant ma naissance ou quand j’étais toute jeune. Mon grand-père paternel était notaire en Europe de l’Est. Il a été greffier dans son village. Ce serait intéressant de partager nos expériences dans le monde municipal ! Et puis il a eu une femme et des enfants, tués à Auschwitz, avant de se remarier. J’aimerais tellement lui parler de cette vie d’avant.

Une personne qui vous inspire : La reine Esther, une femme juive dans un monde non juif. Et ma mère.

Votre endroit préféré dans le monde : Londres, parce que ma mère vient de là, et Venise, où j’ai passé 48 heures et où j’aimerais retourner.

Qui est Mindy Pollak ?

  • Conseillère d’arrondissement du district Claude-Ryan, dans Outremont, sous la bannière de Projet Montréal.
  • Elle est membre de plusieurs commissions, notamment la Commission sur le développement social et la diversité montréalaise.
  • Élue pour la première fois en 2013 ; on dit qu’elle est la première femme juive hassidique en politique municipale à Montréal.
  • Elle a cofondé avec Leila Marshi Les amis de la rue Hutchison (2011), groupe citoyen visant à rétablir des ponts dans leur quartier.