Le constat est clair : un nombre croissant d’enfants peine à fonctionner en classe de façon optimale. Et ce n’est pas toujours plus facile à la maison, pour les parents. La science commence à comprendre les causes du phénomène. Une série de facteurs de risque liés à notre mode de vie moderne ont déjà été ciblés.

Le manque de sommeil

Pour fonctionner de façon optimale, le cerveau humain a besoin de repos. Or, le sommeil est pratiquement devenu « un comportement optionnel », lance en riant jaune la Dre Linda Pagani, professeure de psychoéducation et chercheuse au CHU Sainte-Justine spécialisée dans les facteurs qui influencent le développement du cerveau de l’enfant.

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La Dre Linda Pagani, professeure titulaire à l’École de psychoéducation et chercheuse au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine de l’Université de Montréal

Une étude effectuée en 2012 a démontré que depuis 100 ans, les humains ont réduit la durée de leurs nuits d’une minute par année. Autrement dit, les enfants d’aujourd’hui dorment une heure de moins qu’il y a 60 ans. C’est beaucoup.

« Le taux de diminution de sommeil est davantage rapporté chez les enfants au début du primaire et les adolescents, avec une plus forte baisse chez les garçons et les jours d’école », précise Evelyne Touchette, chercheuse en sommeil chez l’enfant et professeure au département de psychoéducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Cela peut expliquer bien des choses.

Car le cortex préfrontal est la partie du cerveau la plus affectée par le manque de sommeil. Et à quoi sert-il ? « Il nous aide à réguler nos émotions, à prendre les bonnes décisions, à nous organiser », répond l’experte. Les enfants de 6 ans qui ont un problème d’endormissement affichent d’ailleurs un « score d’agressivité plus élevé », notent les scientifiques.

Des ordonnances de sommeil pourraient-elles réduire les épisodes de lancement de chaise en classe ? La Santé publique devrait-elle mener des campagnes d’information sur le sommeil comme elle le fait avec la consommation d’alcool, par exemple ? Chose certaine, les professeurs et les TES utilisent souvent le mot « désorganisation » lorsqu’ils parlent des élèves, ce qui englobe l’irritabilité, l’hyperactivité, l’inattention, les troubles de conduite…

Tous les parents savent à quel point un enfant fatigué est surexcité, mais très peu connaissent les effets à long terme d’un déficit de sommeil chronique chez les bambins.

La recherche a démontré qu’une privation même transitoire de sommeil avant 3 ans entraîne des déficits dans les habiletés cognitives, soit la capacité à apprendre… vers l’âge de 5-6 ans. Un sommeil de mauvaise qualité entre 6 et 18 mois est par ailleurs associé à une déficience des habiletés langagières trois ou quatre ans plus tard. D’où l’importance de réfléchir aux siestes dans les CPE et les garderies afin de s’adapter aux réels besoins de chaque enfant.

« Les siestes, c’est LE gros sujet chez les scientifiques présentement. L’idéal, c’est la flexibilité », indique Evelyne Touchette.

C’est en dormant que le cerveau se construit une charpente solide pour l’avenir.

Les adolescents ne sont pas en reste. Les écrans repoussent leur heure d’endormissement, tandis que les cours commencent trop tôt pour leur horloge biologique. De la puberté à l’université, il est difficile de se concentrer avant 10 h.

« Il y a un lien entre le manque de sommeil, le plan comportemental, le plan cognitif et la santé mentale », rapporte la chercheuse Evelyne Touchette. Justement, on parle beaucoup d’anxiété chez les adolescents. Pourtant, le sommeil demeure associé à la paresse, voire un frein à la productivité.

Consultez un site consacré au sommeil des enfants Lisez un article sur les conséquences d’un mauvais sommeil chez les enfants

L'alimentation

« Chaque année, chaque personne ingère une cuillère à soupe sèche de pesticides, d’herbicides et d’insecticides. C’est beaucoup, ça ! Le lien entre les toxines et les troubles neurodéveloppementaux comme le TDAH, l’autisme et les troubles d’apprentissage a très bien été documenté⁠1, en 2014 », explique la Dre Pagani.

L’alimentation s’est transformée au point d’affecter le microbiote intestinal, poursuit la scientifique.

Ce n’est pas banal : le microbiote (ce regroupement de milliards de micro-organismes) est surnommé le deuxième cerveau tant il produit une grande quantité de neurotransmetteurs essentiels à la santé mentale et à la gestion du stress, entre autres.

La nourriture préférée du microbiote ? Les fibres, peu présentes dans les aliments industriels.

Lisez l’article « Le microbiote, notre deuxième cerveau » publié par Mordu Consultez un dossier sur le microbiote intestinal de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (France) 1. Consultez une étude sur les effets neurocomportementaux de la toxicité pour le développement (en anglais)

Les fameux écrans

Le temps passé devant les écrans, même si on en parle depuis longtemps, n’est « toujours pas pris au sérieux », déplore la chercheuse Linda Pagani. On n’a qu’à regarder les enfants dans les restaurants qui ont besoin d’un téléphone pour patienter pour s’en convaincre. Tous ces moments de passivité réduisent le temps à bouger, mais aussi celui consacré aux interactions sociales, de sorte que les enfants « ne sont plus capables de gérer leurs émotions ».

Pour cette experte, il ne fait aucun doute que les repas en famille sans écrans sont essentiels, notamment pour la stimulation verbale et le développement d’une communication efficace avec les pairs. Ce n’est pas en regardant une vidéo sur YouTube, aussi éducative soit-elle, qu’on apprend à composer adéquatement avec la colère suscitée par les propos effrontés de sa grande sœur.

« Les parents ont une disponibilité physique, mais pas de disponibilité psychique. C’est terrible ce que les écrans ont fait aux petits enfants, déplore le DJean-François Chicoine. Et je suis quelqu’un qui aime les écrans ! »

Consultez une étude de l’INSPQ sur l’effet des écrans sur les 0-6 ans

La médecine moderne

On fait des miracles dans les hôpitaux pour accroître le taux de survie des enfants prématurés depuis les années 1990. Mais cette avancée des soins intensifs néonataux se fait souvent sentir dans les classes : près de 50 % des enfants extrêmement prématurés (26 semaines) ou ayant un extrême petit poids de naissance ont des troubles du développement.

« L’atteinte cognitive, l’inattention, l’hyperactivité, les troubles de comportement internalisés et les troubles de socialisation persistent bien après la période préscolaire et influent sur la réussite scolaire plus tard pendant l’enfance », précise la Société canadienne de pédiatrie.

Au Québec, 8 % des enfants ont un faible poids à la naissance, rapporte le DChicoine.

Consultez une étude sur les effets de la prématurité sur le TDAH et l’autisme

Les changements démographiques

Depuis 1980, l’âge moyen des femmes à la maternité est passé de 25,4 ans à 34,2 ans. « L’âge des parents est directement corrélé avec le nombre de problèmes qu’on a dans la population juvénile. Le génome [la matière génétique] est plus fragile chez les personnes plus âgées », explique la Dre Linda Pagani. Généralement, l’âge de la mère est proche de celui du père, de sorte que l’effet de l’âge avancé des parents est double sur le bagage génétique des enfants.

Qui dit parent plus vieux, dit parent qui a ingéré davantage de toxines au cours de sa vie, puisque « l’effet est cumulatif », ajoute la chercheuse.

Un autre changement démographique vient brouiller les cartes : la grosseur des familles. Dans les années 1960, les femmes avaient en moyenne 4 enfants. En 2020, le taux de fécondité des femmes est tombé à 1,4 enfant.

Enfants et professeurs arrivent en classe sans avoir l’habitude des gros groupes, de tous les stimuli et de la dynamique que cela suppose. Cela force les enfants à s’adapter. Et pour les professeurs, qui ne viennent plus de grosses familles, gérer une classe est moins évident qu’à une autre époque, soulève Linda Pagani. Cela peut jouer sur la tolérance, les attentes, le confort.

Consultez une étude sur les effets de la parentalité tardive sur le comportement (en anglais) Consultez une étude sur les liens entre la parentalité tardive et l’autisme (en anglais)

Des attentes élevées et uniformes

La société doit revoir ses attentes envers les enfants, qu’on pousse à atteindre de bons résultats et à être efficaces dans un monde où tout va vite, insistent les scientifiques. Cela accroît l’anxiété, notamment de performance. « Les enseignants ont oublié quelque chose de très important : tout le monde n’apprend pas à la même vitesse et il ne faut pas en faire une affaire personnelle », affirme la Dre Linda Pagani. Les attentes sont tellement uniformes que les plus jeunes dans les classes se retrouvent avec de faux diagnostics de TDAH parce que leur capacité d’attention et leur niveau de maturité sont moindres que ceux des plus vieux.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le Dr Gilles Julien, pédiatre social et président et fondateur de la Fondation Dr Julien

« Pas besoin d’être érudit à 3 ou 4 ans ! », lance le DGilles Julien. Les enfants doivent jouer pour jouer, pas pour apprendre les multiplications. Cessons de mettre de la pression sur les enfants, plaide aussi le DChicoine. « Tout le monde n’a pas la capacité ou la compétence pour l’université. »

Tirer sur la fleur n’est pas seulement inutile. Ce peut être dommageable.

Consultez notre reportage sur les bébés de classe faussement identifiés comme TDAH

Des faiblesses dans le cocon

Les pédiatres Gilles Julien et Jean-François Chicoine constatent que les enfants sont fragilisés parce que leur environnement n’est pas aussi sécurisant et stable qu’à une autre époque. Le réseau autour des parents n’assure plus autant son rôle de protecteur. Et les stress sont plus nombreux.

« L’attachement et l’identité sont les deux moteurs du développement optimal, explique le DJulien. Dans les garderies, les enfants s’attachent, mais les éducatrices changent à tout bout de champ, alors ils ne croient plus à l’attachement. L’identité, on la trouve dans la famille élargie et le voisinage. Si tu amputes ces deux moteurs, tu te retrouves avec une incapacité à te développer pleinement. »

Jean-François Chicoine ajoute que les enfants ont besoin d’« une base affective sécure », autant pour leur comportement que pour leurs apprentissages. Quand cela est déficient, la stabilité émotive est ébranlée.

Clairement, les enfants sont plus anxieux, tristes, colériques. Ça ne les met pas dans des dispositions pour se faire éduquer.

Jean-François Chicoine, pédiatre

Le pédiatre donne l’exemple du noyau familial qui se transforme désormais au gré des nouvelles unions des parents. « Les familles sont très compliquées. Pour un enfant sur cinq, la séparation parentale va avoir un impact énorme sur son développement. Plus un enfant est inquiet, moins il se concentre et moins il s’autorégule. »

La stabilité, c’est aussi un ensemble de règles et de limites claires. Car cela rassure l’enfant, comme une clôture sur le bord d’un ravin. « Il y a beaucoup de troubles de comportement, comme l’opposition. Mais si l’encadrement était plus serré, constant et cohérent, il n’y en aurait pas. Pour moi, ce n’est ni une maladie mentale ni un trouble neurodéveloppemental », affirme la pédopsychiatre Annie Loiseau.

Le neuropsychologue Benoît Hammarrenger abonde dans le même sens. La dynamique familiale est souvent à l’origine des difficultés de l’enfant, observe-t-il. « Les comportements difficiles, opposants, agressifs, impolis à l’école, ça commence souvent à la maison. Le respect de l’autorité, de la discipline, accepter de subir des frustrations et de recevoir des commentaires, ça commence dans l’interaction avec les parents. C’est là qu’on va réoutiller les parents pour régler ça. »

Lisez Éducation : Qu'estce-qui cloche avec nos enfants ? (1re partie de notre dossier) Lisez Éducation : Les parents ont changé (3e partie de notre dossier)