Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à l’auteur et éditeur Stéphane Dompierre.

Douter de nos capacités. Croire que tous nos collègues sont meilleurs que nous. Même si on accomplit une foule de tâches, se dire qu’on n’en fait jamais assez. Avoir peur que quelqu’un nous démasque, nous montre du doigt et nous accuse d’incompétence. On dit que jusqu’à 75 % des femmes et 50 % des hommes souffriraient du syndrome de l’imposteur à un moment ou un autre de leur carrière. Si vous faites partie du groupe, j’espère que mon témoignage vous aidera à vous débarrasser de cette perception aussi inutile qu’envahissante. Il y a pire imposteur que vous : moi.

Il y a quelques années, une agence de pub pourtant sérieuse, avec le vent dans les voiles, a eu cette drôle d’idée de me contacter pour l’épauler dans un contrat. J’ai dit oui. (Quand t’es travailleur autonome, il faut savoir saisir les occasions, sinon tu ne travailles pas.) Il fallait créer l’image d’une entreprise. J’étais là pour aider à trouver son nom et à décliner son histoire. Qu’on allait devoir inventer, parce qu’elle n’avait rien d’intéressant, à la base : des monsieurs en cravate fusionnaient deux agences de courtiers en assurance pour n’en former qu’une. Pas de quoi en faire un film à suspense, disons.

Je me suis pointé à la rencontre avec les clients sans cravate ni veston, dans mes vêtements au rabais de chez Old Navy, autrefois noirs, maintenant gris foncé. Mais j’avais un beau stylo et un carnet Moleskine tout neuf.

Est-ce que je savais ce que je faisais ?

Pas du tout.

Est-ce que j’avais l’air de savoir quoi faire ?

Probablement pas.

Ma stratégie pour survivre était simple : me taire. Moins je parlais, moins on risquait de s’apercevoir que j’ignorais ce que je faisais là. Mon degré d’aisance : imaginez un golden retriever qui s’essaie à jouer aux échecs.

Le seul outil que je possédais était mon visage impassible, qui me donnait peut-être des airs de génie créatif mystérieux qui n’ouvrait la bouche qu’une fois son idée renversante arrivée à maturité.

Ce n’est pas moi qui ai trouvé le nom. Ça s’est passé pendant que je gribouillais des têtes de mort dans mon cahier Moleskine. Je m’y accrochais comme à une bouée dans un naufrage pendant une tempête.

J’étais aussi là pour raconter l’histoire de cette nouvelle société. J’avais compris, à force de regarder des exemples, qu’il y avait un truc infaillible pour mettre la clientèle en confiance et lui donner le goût de solliciter des services ou d’acheter un produit : faire croire que l’entreprise est née dans la tête d’un jeune couple sympathique avec un ou deux enfants qui vit sur une fermette avec trois poules et une biquette, et hop, le public est conquis.

À quelques variantes près, c’est ce que j’ai fait. Une belle petite histoire touchante dans mon beau petit cahier Moleskine. Ensuite, les pros de l’agence ont enrobé tout ça dans une identité visuelle à la fois moderne et humaine. Contrat terminé.

Est-ce que je savais ce que je faisais ?

Absolument pas.

Ai-je livré quelque chose de potable ?

Je crois que oui.

Ai-je empoché l’argent qu’on m’a offert pour mon « travail » ?

Sans sourciller.

Comment j’ai pu faire ça avec confiance et sans aucune remise en question ? C’est tout simple ; je suis un imposteur comme un autre. Si je refuse un travail pour lequel je n’ai pas encore les compétences, je me dis qu’un autre incompétent va le prendre à ma place. Alors quand l’assignation me tente, je l’accepte.

La clé pour se débarrasser du syndrome de l’imposteur, c’est de comprendre que la plupart des gens ne savent pas plus que nous ce qu’ils font. On apprend sur le tas. « C’est en forgeant qu’on devient forgeron », comme dit le proverbe.

Il suffit d’éviter les débordements ; imposteur, c’est normal. Fraudeur, c’est illégal. Je reste dans les choses qui me semblent dans mes capacités et, aussi, que j’ai le droit de faire. Vous ne me verrez pas à quatre pattes sous votre lavabo pour refaire la plomberie, ou scalpel à la main dans une salle d’opération, prêt à vous vasectomiser ou à vous débarrasser de vos cataractes. Le syndrome de l’imposteur, c’est sous-évaluer ou douter des compétences que l’on a, et non se mettre en position où l’on est assurément incompétent. Ce n’est qu’une impression désagréable, ce n’est pas censé mener en prison.

Le courtier n’a finalement jamais endossé sa nouvelle identité. Ce n’est que bien plus tard que j’ai découvert, au hasard des rangées de la pharmacie, que le nouveau nom proposé était, à une lettre près, le même qu’un onguent contre les feux sauvages. Je n’étais peut-être pas le seul imposteur à travailler sur ce dossier, finalement. Mais l’agence de pub a tout de même eu la lucidité de ne jamais me rappeler, et je n’ai pas insisté non plus. Après tout, mon incompétence avait encore beaucoup d’autres domaines à explorer.