La Dre Mylène Drouin, directrice régionale de santé publique de Montréal, a récemment reçu la distinction Rayonnement du Collège des médecins. Un honneur qui souligne comment elle a su « naviguer habilement dans les eaux difficiles de la pandémie », survenue il y a maintenant trois ans. Disons les choses franchement, cette femme qui semble avoir inventé le flegme a bravé un véritable ouragan.

Lors des très nombreux points de presse qu’elle a donnés pendant la pandémie de COVID-19, la Dre Mylène Drouin a conservé inlassablement l’attitude qui la caractérise le mieux et que plusieurs qualifient de « force tranquille ». Certains trouvaient son ton beige, recto tono et peu convaincant. D’autres, au contraire, appréciaient sa manière franche et pragmatique de dire les choses.

Il faut dire que son style tranchait avec celui du DHoracio Arruda qui, chaque après-midi à la télévision, faisait grand usage d’images et de formules colorées pour décrire cet « avion que l’on construisait en vol ». La Dre Mylène Drouin n’a rien à cirer des comparaisons avec son ancien patron. Ce qui comptait pour elle, c’était d’être « authentique » face aux Montréalais.

« Le DArruda est coloré, ça fait partie de lui. Il n’y a pas un style de communication qui est parfait, dit celle qui prépare ses rencontres de presse avec quelques notes et sans phrases punchées rédigées d’avance. Mon souci était de parler avec transparence et indépendance tout en redonnant du pouvoir à la population dans une situation de crise. On a vécu des incompréhensions. Mais je me suis dit que j’allais tenter de nommer ces incertitudes. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

La Dre Mylène Drouin

Il est vrai que le public a dû composer avec un lot de consignes qui semblaient parfois incohérentes. « En effet, c’était parfois difficile pour la population, reconnaît Mylène Drouin. Le virus se modifiait à chaque vague et nos outils de mesure changeaient. »

Comme la plupart de ses homologues partout dans le monde, la Dre Mylène Drouin a fait face à l’inconnu lorsque la pandémie a pris de l’ampleur. Arrivée en poste en mai 2018, elle avait géré la crise de la canicule durant l’été qui a suivi. Mais cela n’avait rien à voir avec ce qu’elle a vécu au début de l’année 2020.

Un véritable tsunami

Pour les Québécois, tout démarre le 13 mars 2020. Mais pour les équipes de santé publique de Montréal, les premiers signes se font sentir plus tôt. « Quand tu es directrice de la santé publique d’une métropole, tu es sûr à 95 % que ça va entrer, dit-elle. La diversité et la densité de la population, la présence d’un aéroport international, tout cela nous dit que l’on doit être plus prêt que tout le monde. »

Et en effet, ça entre ! La Dre Drouin affronte un véritable « tsunami ». L’équipe de santé publique de Montréal, composée de 300 professionnels (ce nombre montera à 1500 au plus fort de la pandémie), doit faire face à des défis d’adaptation titanesques. « Au début, on recevait les cas de COVID dans des fax qui allaient rejoindre des piles où se trouvaient des cas de chlamydia ou de tuberculose. »

Le gouvernement Legault avait un regard d’ensemble sur la pandémie. Dans un souci « d’harmonie et de cohérence », Mylène Drouin devait lever la main pour faire comprendre aux leaders que la situation à Montréal, épicentre de la pandémie au Québec, avait des besoins spécifiques. « Quand tu perds le contrôle dans la métropole, tu ne peux pas remettre le couvercle sur la marmite facilement. Dans le Bas-Saint-Laurent, tu peux, mais pas à Montréal. »

La crise dans les CHSLD est venue compliquer les choses. La Dre Drouin prend alors une décision importante. « Le feu était pris partout. C’était une crise qui relevait davantage du réseau de la santé. Mais on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose. »

On a décidé d’aller dans tous les centres qui n’étaient pas encore touchés pour s’assurer que le virus n’entre pas.

La Dre Mylène Drouin

Évidemment, j’ai voulu savoir comment cette « force tranquille » a encaissé les attaques et les critiques des antivax. Ont-ils réussi à la faire sortir de ses gonds ? « Je ne vais pas sur les réseaux sociaux, m’a-t-elle répondu en souriant. Ça m’a protégée. Ces gens font beaucoup de bruit, mais ça demeure marginal. Quand on regarde le taux d’engagement de la population face aux mesures, c’est plus de 80 %. Parmi ceux qui hésitent, on peut entretenir un dialogue pour les diriger vers des sources crédibles d’information. Et puis, il y a ceux avec lesquels on ne peut rien faire. Il ne faut pas leur donner d’attention. »

Mylène Drouin a tiré plusieurs leçons de l’expérience de la COVID-19. Un rapport de 80 pages identifie une série de mesures à adopter pour l’avenir. « Cette pandémie m’a montré l’importance des impacts collatéraux. Quand un évènement dure un ou deux ans, il faut intégrer les objectifs d’inégalités sociales. Nos stratégies de mesures d’urgence n’ont pas beaucoup été réfléchies sous cet angle. »

La passion de la santé publique

La Dre Mylène Drouin peut parler pendant des heures de la façon de mener des plans d’urgence lors de crises sanitaires. Ses yeux brillent et sa voix s’anime. C’est clair que cette femme est faite pour ce rôle.

Après des études en médecine à l’Université de Sherbrooke, elle a fait sa spécialisation en santé publique à l’Université de Montréal. Deux hommes vont jouer un rôle important dans son parcours, le DRaynald Pineault et le DRichard Lessard, qu’elle n’hésite pas à qualifier de mentors. Elle rencontre le premier lors de sa maîtrise et le second à la Direction régionale de santé publique (l’ancien directeur l’a nommée chef médicale).

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La Dre Mylène Drouin

La Dre Drouin a choisi la santé publique quand elle a compris que rencontrer des patients les uns après les autres n’était pas pour elle. Et puis, ce domaine englobe des valeurs qui lui tiennent à cœur depuis l’adolescence : l’engagement communautaire et la lutte contre les inégalités sociales.

Originaire de Lévis, Mylène Drouin a grandi dans une famille d’entrepreneurs. « Ce côté que j’ai de vouloir développer des projets avec mes équipes vient sans doute de là. Mes parents sont aussi très engagés dans leur communauté. »

La famille comme baume

Pendant la pandémie, chacun a trouvé des moyens de conserver son équilibre. Pour certains ce fut la marche, pour d’autres la méditation ou un verre de vin blanc. Pour Mylène Drouin, ce furent les contacts réguliers avec sa famille. Celle qu’elle forme avec son conjoint et les quatre enfants de cette cellule reconstituée. Et celle qui est son port d’attache, composée de ses parents et de ses sœurs. « C’était mon phare pour me recentrer. Ça l’est encore. »

J’ai rencontré Mylène Drouin le 8 mars. L’occasion était belle de lui demander si elle revendique le titre de féministe. « Oh oui, m’a-t-elle dit sans hésiter une fraction de seconde. J’espère que tout le monde, femme ou homme, a un brin de féminisme en soi. Je suis avant tout quelqu’un qui travaille pour la justice, celle des femmes et des autochtones. Je m’intéresse aussi à la justice climatique. »

Quand le DArruda a quitté ses fonctions comme directeur national de la Santé publique, plusieurs ont cru que la Dre Drouin allait hériter de ce poste à Québec. Or, c’est le DLuc Boileau qui a reçu l’appel. La principale concernée a refusé de me dire si ce poste demeure un objectif de carrière. « Je ne suis pas du genre à avoir un plan défini. Ma carrière n’a jamais été une route tracée. Il y a de belles choses qui peuvent se présenter et qui ne font pas partie de la route. »

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : C’est au moins deux bons cafés le matin pour partir la journée. Il faut se préparer, avec les changements climatiques, à en avoir moins. Ça tombe bien, je veux réduire ma consommation.

Des personnes que j’aimerais réunir autour de ma table : C’est facile, ça serait Pauline Marois, Louise Arbour et Françoise David. Ce sont des femmes de justice qui ont fait beaucoup pour le droit des femmes, on n’a qu’à penser au réseau des CPE de Pauline Marois. Elles ont laissé leur marque.

Le dernier livre que j’ai lu : C’était pendant la semaine de relâche. La prière de l’épinette noire de Serge Bouchard. C’est à lire et à relire. Cet homme est capable de prendre de petites histoires et de nous faire voir de grandes choses.

L’évènement historique que j’aurais aimé vivre : J’aurais voulu être dans les coulisses de la lutte des suffragettes pour comprendre comment ce mouvement s’est créé et comment il a eu lieu. Ça me fascine !

Qui est la Dre Mylène Drouin ?

Mylène Drouin a terminé sa formation en médecine à l’Université de Sherbrooke en 1996. Elle effectue ensuite un séjour de quelques mois en Guinée-Bissau à titre d’agente de recherche pour un projet de vaccination infantile et de dépistage du VIH.

Elle entame sa spécialisation en santé publique à l’Université de Montréal en 1997, puis est nommée chef médicale à la Direction régionale de santé publique de Montréal en 2008.

En 2018, elle devient la première femme nommée à la Direction régionale de santé publique de Montréal.