L’exercice est pratiquement impossible à faire et, pourtant, les photographes de La Presse s’y sont prêtés : parmi les (dizaines de) milliers d’images qu’ils ont prises depuis le début de leur carrière, quelles sont les 10 plus marquantes ? Un choix déchirant et très personnel. Voici la sélection d’Olivier Jean.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Mars 2015 — Hô Chi Minh-Ville
Dans le cadre d’un dossier sur l’adoption internationale, j’ai suivi le long parcours d’une mère qui souhaitait adopter un garçon à l’étranger. En l’accompagnant au Viêtnam où elle allait retrouver son nouveau fils, j’ai visité un orphelinat à Hô Chi Minh-Ville, la plus grande ville du pays. Des centaines d’enfants y attendaient de trouver une famille. Je suis tombé sur ce petit garçon, seul, qui était attaché à son lit et criait, sans que personne ne vienne l’aider.

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Septembre 2015 — Trois-Rivières
J’ai beaucoup d’intérêt pour les enjeux autochtones. C’est en travaillant pour une enquête sur la mort tragique et ignorée de dizaines d’enfants autochtones québécois que j’ai fait la rencontre de Délima Flamand, mère de Marie-Pier Moar. Sa fille s’est suicidée à 11 ans, après avoir été battue et violée, juste avant de commencer sa 6e année à l’école primaire de Manawan, une communauté atikamekw située au nord de Joliette. Son témoignage est, à ce jour, l’un des rares à hanter mon esprit.

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Août 2015 — Brossard
On me demande souvent quelle est ma photo préférée. En général, j’évite de répondre… ou alors, pour surprendre, je parle de celle-ci. Après 23 ans de métier, pendant lesquels j’ai photographié à peu près tout, des simples bouteilles de vin sur fond blanc aux drames humains et grands évènements sportifs, un peu partout dans le monde… l’image d’une girafe empaillée pour laquelle il faut percer le plafond parce qu’elle est trop grande me ravit. Les contradictions humaines m’étonneront toujours. J’adore tout de cette photo.

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Septembre 2015 — Inukjuak
Les pleurs et les cris d’une mère sont probablement les choses les plus difficiles à entendre. Cette journée-là, Caroline Qumak, mère de cinq enfants, a caché son visage dans ses mains et pleuré longuement presque en silence, assise par terre au centre de son salon en désordre, quand on lui a demandé de parler de ses enfants tués par une maladie pulmonaire qui n’est plus mortelle dans le reste du Québec.

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Janvier 2017 — Québec
Cet impact de balle est la première chose qui m’a frappé quand je suis entré au Centre culturel islamique de Québec, où un tireur avait ouvert le feu la veille, tuant 6 personnes et en blessant 19. Je garde un étrange souvenir de cette visite en cette froide soirée de janvier. Un homme m’avait invité à visiter le centre en me disant : « Viens, viens montrer ce qu’est la violence. » Je suis retourné sur place un an plus tard, je me suis rappelé exactement où se trouvait ce trou et, surtout, j’ai réentendu la voix de l’homme qui m’avait ouvert les portes de l’endroit.

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Août 2019 — Montréal
J’aime prendre des photos avec des vitesses d’exposition très lentes et ainsi capter le temps qui passe, ce qui est invisible à l’œil nu. Cette photo de Rafael Nadal qui sert sur le court central du parc Jarry n’est qu’un exemple des centaines d’images à longue exposition que j’ai prises au cours des 10 dernières années pour La Presse. Les résultats me font souvent penser à des peintures.

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Avril 2020 — Montréal
Au début de la pandémie, il était impossible de visiter les établissements de santé pour documenter les ravages de la COVID-19. La nuit, j’allais de CHSLD en CHSLD et d’hôpital en hôpital pour essayer de photographier ce qui se passait à l’intérieur à travers les fenêtres. Un soir, je suis tombé sur cette employée du CHSLD Yvon-Brunet qui avait l’air épuisée. J’ai trouvé frustrant de devoir raconter cette tragédie à travers un écran, comme si nous regardions la télévision. Heureusement, j’ai eu par la suite plusieurs occasions de documenter la crise de l’intérieur.

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Juin 2020 — Philadelphie
Aller aux États-Unis pour couvrir les manifestations qui ont suivi la mort de George Floyd aux mains de policiers avait son prix : 14 jours de quarantaine au retour. Lorsqu’on m’a proposé de partir là-bas, je n’ai pourtant pas hésité. J’ai senti qu’il était important de témoigner de ce soulèvement chez nos voisins du Sud en pleine pandémie mondiale. J’aime le regard de cette jeune femme prête à défier les mesures sanitaires du moment, le couvre-feu imposé par la police après les troubles dans le pays et les menaces d’arrestation pour faire entendre sa voix aux côtés de milliers d’autres.

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Mars 2022 — Puvirnituq
Jeune Inuit rencontré sur la glace de Puvirnituq pendant le Snow Fest, une manifestation culturelle et sportive qui rassemble normalement des Inuits venus de plusieurs villages du Nunavik. L’an dernier, la pandémie et une pénurie d’eau ont toutefois forcé les organisateurs à n’inviter que les résidants de Puvirnituq à la fête. Le sourire du garçon contrastait fortement avec la violence et la souffrance dont j’avais été témoin jusque-là dans ce village privé d’eau depuis des semaines.