Sept ans après son dernier solo à l’Arsenal, Nicolas Baier revient en force à la galerie Blouin Division avec une exposition sur notre évolution depuis l’arrivée de la programmation informatique. L’artiste surdoué en photographie, sculpture et création numérique fouette notre esprit avec des œuvres délicates et pénétrantes. Un grand moment artistique à Griffintown.
Il est une des valeurs sûres de l’art actuel. La qualité et le contenu sont toujours au rendez-vous avec Nicolas Baier. Toronto, où il a créé ces dernières années d’immenses œuvres d’art public, se l’arrache. Pourtant, il est peu exposé chez nous. Bien que ce sociologue de l’art crée à un rythme effréné dans son atelier du Mile End. Et même si sa démarche génère bien des pistes de réflexion, mêlant la science à la philosophie.
L’exposition Vases communicants, de qualité muséale, comprend 36 œuvres, créées pratiquement toutes en 2022 et 2023 par Nicolas Baier et ses assistants. En continuité avec ses corpus précédents, elles évoquent notre évolution et nos expressions technologiques récentes. À moins que ce ne soit l’évolution de la technologie et de ses expressions humaines. L’expo interroge : qui a véritablement le contrôle ? Nous ? La machine ? La nature, qui englobe tout ?
Pour s’immerger dans la démarche de Baier, le mieux est de commencer par visionner sa vidéo de 42 minutes. Le film numérique, qui a nécessité un investissement de fou, a une esthétique de fou ! L’artiste nous embarque dans un monde à la fois familier et surréaliste. Avec des images de constructions architecturales, d’habiles jeux de réflexion et des atmosphères qui maintiennent en haleine. Une vidéo qui allie la transparence du verre et celle de l’eau, la brillance de l’aluminium et les tons verdoyants des forêts. La bande sonore charrie des bruits industriels et naturels. Cliquetis, grondements de tonnerre, bouillonnements, pépiements d’oiseaux. Une œuvre dont on souhaiterait qu’un musée l’acquière pour qu’elle soit partagée par le plus grand nombre.
Après le visionnement, il faut retourner à l’entrée. En examinant chaque création, l’une après l’autre, de près, on constate la faculté de Nicolas Baier d’engendrer du beau, du signifiant et de l’étrange. Réel ou irréel ? se demande-t-on devant les cadres. Chez Baier, réel et irréel sont inextricables, comme dans nos vies, désormais.
Une des œuvres les plus fascinantes est un iris intitulé Volcan. À la fois peinture et sculpture grand format, Volcan découle d’un dessin numérique en 3D suivi d’une découpe par commande numérique (CNC), de plusieurs couches de peinture puis de résine, du façonnage d’une forme convexe et d’un retour à la technique CNC. « Un travail à tâtons sur le regard, notre activité peut-être la plus noble, dit l’artiste. Le jour où je l’ai fini, Michael Snow est mort, lui qui avait fait des photographies de son iris et de celui de sa femme… »
Quelques réalisations évoquent l’expressionnisme. L’artiste a ainsi dessiné pendant des semaines sur son ordinateur pour produire Clair obscur. Un paysage délicat et une atmosphère faussement paisible. Comme l’artiste.
Dans la petite salle de la galerie, la série Réplication suggère qu’après l’Homo faber (« l’homme industrieux »), l’Homo informaticus n’a fait qu’appliquer ce que la nature réalise depuis l’origine de la vie. Les images d’un ordinateur passé aux rayons X – « contaminées » par la modélisation 3D d’un être unicellulaire de type blob – sont parlantes. La nature s’exprime malgré nous, malgré tout. Réplication nous recommande un peu d’humilité…
Dans la dernière salle, on reconnaît les conceptions qui ont mené à la vidéo. Elles révèlent, elles aussi, des éléments de l’atelier de l’artiste. Dans ces tableaux numériques, les mises en scène sont chaotiques. Le bureau professionnel est envahi par une nature intrusive. Mais Nicolas Baier a horreur de l’expression « la nature reprend ses droits ». « La nature ne les a jamais perdus, dit-il. Ce travail parle de cohabitation. »
Quand on prend conscience du travail que requiert cette production nourrissante et variée, mais aussi quand on se délecte des pensées qu’elle génère sur nos relations avec la technologie et la nature, on tombe des nues. À la fois architecte numérique, sculpteur, dessinateur, peintre et photographe, Nicolas Baier est un artiste complet qui mériterait une plus large visibilité, lui qui n’a pas eu de solo muséal au Québec depuis 13 ans. Négliger l’excellence c’est comme enfouir de l’or, non ? Souhaitons-lui des lendemains qui chantent.
Vases communicants, de Nicolas Baier, à la galerie Blouin Division, jusqu’au 11 mars
Consultez les détails de l’exposition sur le site web de la galerie Blouin Division