L’ex-directrice du Devoir et chef d’orchestre du projet de la Grande Bibliothèque se raconte dans un livre d’entretiens qui donne les clés pour mieux comprendre son engagement et sa vision du Québec.

Je ne suis sans doute pas la seule pour qui le nom de Lise Bissonnette est synonyme de rigueur et d’engagement intellectuel de haut niveau. Son regard, sa pensée originale et sa façon d’aborder les questions politiques et sociales sans complaisance en font un des esprits les plus brillants du Québec.

Tout au long de sa vie, Lise Bissonnette a mis sa plume au service de l’information, de la réflexion et de la fiction. Son parcours, impressionnant, est indissociable de l’histoire intellectuelle et culturelle du Québec.

On associe naturellement son nom à celui du quotidien Le Devoir où elle a été chroniqueuse, correspondante parlementaire, rédactrice en chef et finalement, directrice. Elle fut la première femme à diriger ce journal fondé par le très conservateur Henri Bourassa, et la première femme au pays à diriger un journal national.

Elle a profondément marqué l’histoire de ce quotidien et celle du journalisme québécois. Ses textes étaient incisifs, percutants, influents.

Et comme éditorialiste, elle ne dédaignait pas un peu de théâtre à l’occasion. Comment oublier son NON retentissant à l’été 1992, lors des discussions entourant les accords de Charlottetown ? De mémoire, jamais un éditorial aussi court – trois lettres – n’a fait autant de bruit.

PHOTO PIERRE MCCANN, ARCHIVES LA PRESSE

Lise Bissonnette avec l’ex-ministre Louise Beaudoin en 1998

On salue l’initiative de Pascale Ryan d’avoir eu l’idée de ces entretiens qui ont forcé Lise Bissonnette à revisiter un parcours si riche. Mme Bissonnette n’est pas le genre de femme à livrer ses états d’âme sur la place publique, ou à s’épancher sur sa vie privée, mais elle laisse tout de même échapper quelques confidences dans ces échanges, dont la raison pour laquelle elle n’a pas publié un roman depuis 2001.

Le travail d’une vie

Lise Bissonnette est aussi une gestionnaire de haut niveau, une femme avec une vision. Après une riche carrière journalistique, elle est allée se frotter à la réalité en acceptant le défi, lancé par Lucien Bouchard, de créer la Grande Bibliothèque dont elle a supervisé la construction et l’ouverture. Toujours, cette volonté de démocratiser la culture et l’éducation. Aujourd’hui, l’ex-PDG fait un bilan sévère de la direction que prend cette institution, la première à voir le jour au Québec depuis la Révolution tranquille.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Lise Bissonnette, en 2004, peu de temps avant l’ouverture de la Grande Bibliothèque

Lise Bissonnette revient aussi sur ses mandats à la tête du conseil d’administration de l’UQAM ainsi qu’à la présidence d’un comité sur l’avenir du Parc olympique. Des mandats difficiles qu’elle qualifie d’échecs avec le recul.

Là aussi, son engagement était motivé par la volonté d’offrir aux Québécois des institutions qui participent à la démocratisation de l’éducation. C’est son cheval de bataille, le travail d’une vie.

Et on comprend mieux d’où vient cet engagement quand elle raconte son enfance en Abitibi. Les fondations de Lise Bissonnette sont faites de manques et de frustrations de ne pas avoir eu accès à une éducation de première qualité, plus exigeante et stimulante. Cette soif de savoir et de culture est demeurée intarissable tout au long de sa vie et l’a même motivée à terminer un doctorat en lettres françaises alors qu’elle était dans la soixantaine !

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Avec Me Jean-Claude Hébert, en 2017, lors de la Commission d’enquête sur la protection de la confidentialité des sources journalistiques

Sous forme de questions-réponses, ces « entretiens » forment un essai éclairant sur le Québec de l’après-Révolution tranquille. Dans le regard d’une femme aussi exigeante, envers les autres comme envers elle-même, les défis auxquels fait face la société québécoise ne sont que plus flagrants.

Qui est Pascale Ryan ?

Historienne, auteure de Pensons la nation : La ligue d’action nationale, 1917-1960, en 2006.

Extrait

« Les années que j’ai connues au Devoir ont toutes été difficiles, parfois épuisantes. Mais je ne sais de qui j’ai hérité d’une faculté à oublier les choses désagréables, je le souligne à nouveau. À moins qu’on me les rappelle, tout se passe comme si elles n’avaient pas existé. Le Devoir est toujours là, j’y suis pour quelque chose. Ce que nous avons vécu au cours des années 1990, ce fut une refondation, dont je suis contente. Je n’aime pas parler de fierté. C’était du devoir accompli, et par là un rare privilège, car l’accomplissement de nos volontés n’est pas toujours possible en société. Ce sont parmi les plus belles années de ma vie. »

Lise Bissonnette : entretiens

Lise Bissonnette : entretiens

Boréal

210 pages