Quel est le point commun entre Jane Fonda, Lily Tomlin, Sally Field, Diane Keaton, Candice Bergen, Helen Mirren et Rita Moreno ? Elles ont toutes plus de 75 ans et tiennent les rôles principaux de superproductions hollywoodiennes telles que 80 for Brady, Shazam ! La rage des dieux et Book Club : The Next Chapter. Doit-on changer notre regard sur le vieillissement ?

Le film 80 for Brady, à l’affiche le 3 février, raconte les aventures de quatre femmes de 76 à 85 ans qui partent en road trip afin d’assister au Super Bowl et de voir leur idole, Tom Brady, en action. Le scénario est inspiré d’une histoire vraie. Dans Book Club : The Next Chapter, sur les écrans en mai, les quatre amies du premier film, sorti en 2018, vont en Italie pour un enterrement de vie de fille… et rien ne se déroulera comme prévu, bien évidemment ! Dans les deux films, on retrouve Jane Fonda, toujours en forme à 85 ans.

« C’est bien de voir que des femmes de 75-80 ans prennent de la place au cinéma. Le message de ces films est joyeux et rassurant sur le fait de vieillir. Il n’y a pas juste la misère et la souffrance, on s’amuse malgré notre âge, mais il faut aussi voir autre chose de plus réaliste », pense la sexologue et autrice de Vieillir avec panache, Jocelyne Robert. « Ce qui se perpétue tout de même, c’est l’idée de la jeunesse éternelle ! Pour être une vieille acceptable et intéressante, il faut flirter, être belle et lisse, impeccable, avec de beaux cheveux et des moyens, mais on est au cinéma hollywoodien, et il faut faire rêver ! »

Pour la sociologue Francine Descarries, nouvellement octogénaire, il est rassurant de voir que tout le monde ne vieillit pas de la même façon et que certaines s’en sortent très bien. Elle pense toutefois que ce phénomène n’est pas majoritaire. « On est encore dans une période où on se trouve chanceux d’être en forme à plus de 80 ans, dit-elle. Je me considère comme privilégiée de bien vieillir, je suis en bonne santé et j’enseigne encore à l’université. » Elle cite le général Charles de Gaulle : « La vieillesse est un naufrage. » « C’est contradictoire de vieillir, c’est à la fois se dire : je suis encore capable, mais pour combien de temps ? », lance-t-elle.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Francine Descarries, sociologue professeure à l’Université du Québec à Montréal

Le regard est plein d’admiration pour les quelques femmes âgées toujours actives qui sont des exceptions, mais on est d’une indifférence totale pour les autres qui n’ont plus la beauté, le pouvoir, la force physique ni la mobilité, c’est un regard très dur que nous avons sur les personnes âgées.

Francine Descarries, sociologue et professeure à l’UQAM

La sociologue rappelle que la présence de ces actrices au cinéma est le fruit du travail des femmes qui ont revendiqué d’être plus présentes sur les écrans. « Ça a commencé par les femmes de plus de 50 ans et ça se poursuit aujourd’hui. »

Est-ce une réaction à la pandémie ? « On a tellement traité les personnes âgées de vieux et de vieilles, on a dépeint un portrait tellement pessimiste, on a vu des images accablantes de toute cette solitude, que ça fait du bien de voir ces comédies américaines même si elles sont exagérées ! », estime Francine Descarries, professeure à l’UQAM. « Les baby-boomers approchent de cet âge et ont besoin d’être réconfortés ! »

Un avis que partage Jocelyne Robert. « La vieillesse a le vent en poupe ! Nous sommes de plus en plus nombreux et nous avons des revendications. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Jocelyne Robert, sexologue et autrice du livre Vieillir avec panache

La pandémie a été révélatrice d’un âgisme épouvantable. C’est le début d’une sorte de révolution, car nous ne sommes pas que des moitiés de personnes comme on l’a longtemps pensé ! Ce qui change, c’est que les baby-boomers arrivent à cet âge… ils n’ont jamais été silencieux. Ils vont vouloir changer les choses.

Jocelyne Robert, sexologue et autrice du livre Vieillir avec panache

Changer la perception

Quand on discute avec nos expertes, on se rend compte qu’il faut changer notre regard sur le vieillissement. La sociologue française Mélissa-Asli Petit, spécialiste des sujets sur le vieillissement, constate que très souvent, après 55 ans, le déclin peut être fatal et les femmes deviennent invisibles au cinéma. « On a besoin d’être représentées dans l’espace public, médiatique, cinématographique en montrant des profils de femmes différents, des femmes épanouies, modernes, qui ne se limitent pas aux rôles de grands-mères, explique la sociologue. Il faut avoir des modèles multiples et valoriser ces femmes dans leur accomplissement individuel. »

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Helen Mirren (76 ans) dans Shazam ! La rage des dieux

Elle estime que la construction de notre regard sur le vieillissement commence dès l’enfance.

PHOTO FOURNIE PAR MÉLISSA-ASLI PETIT

Mélissa-Asli Petit, sociologue qui se spécialise sur les questions du vieillissement

Il y a une forme d’éducation à faire. Ça débute avec la littérature jeunesse et les films pour enfants, mais aussi dans le développement des liens intergénérationnels.

Mélissa-Asli Petit, sociologue spécialiste des sujets sur le vieillissement

D’ailleurs, elle voit dans le film 80 for Brady, avec la vedette du football américain Tom Brady, un vrai divertissement familial, un film pour toutes les générations.

Mélissa-Asli Petit pense qu’on vit toujours dans une société âgiste avec des représentations sociales sur le vieillissement négatives, véhiculant trop de préjugés et de stéréotypes. « Le premier pas vers le changement est de faire attention à ce qu’on dit, et d’avoir un regard approprié sur son âge. Que j’aie 30, 40, 50 ou 60 ans, suis-je à l’aise avec mon âge ? Car la pression sociale est telle, sur notre rapport à l’âge et au corps, qu’on a besoin de décomplexer le sujet et de se dire que chaque âge apporte des avantages différents. »

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Tom Brady tient son rôle dans 80 for Brady, en plus d’être l’un des producteurs du film.

Au Québec, une personne sur cinq est âgée de 65 ans et plus (20,8 % selon l’Institut de la statistique du Québec), et cette proportion ne fait que croître. La sexologue Jocelyne Robert constate, avec ironie, qu’on ne peut faire autrement que de vieillir et que cette vieillesse doit être réinventée.

« Il faut être fier de qui nous sommes et avoir plus de considération pour les personnes âgées, particulièrement pour les femmes, car il est plus difficile de vieillir. On ne leur donne pas assez la parole, mais souvent, disons-le, elles se retirent d’elles-mêmes et s’isolent. Pourquoi ? Car elles ont le sentiment de ne pas correspondre à ce qu’on attend d’un être humain dans une société, c’est-à-dire d’être une personne utile et productive. Il faut vraiment changer les mentalités, et dans cet esprit, ces films hollywoodiens sont formidables. »

80 for Brady (80 pour Brady, en version française) sera en salle le 3 février, Shazam ! La rage des dieux, le 17 mars, et Book Club : The Next Chapter, le 12 mai.