Du réchauffement climatique à l’inflation en passant par la crise du logement et même la menace nucléaire, les nuages gris s’accumulent à l’horizon. Au point où certains hésitent à mettre un enfant au monde, voire s’y refusent. Au Québec, la fécondité est repartie à la baisse. Dans un monde qui compte désormais 8 milliards d’humains, doit-on y voir un problème ou une solution ?

Une natalité en berne

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Depuis 50 ans, l’indice synthétique de fécondité (ISF), soit la mesure la plus couramment utilisée par les démographes pour évaluer la fécondité, varie entre 1,3 et 1,7 enfant par femme au Québec.

Dans les médias occidentaux ces dernières années, les jeunes ont été nombreux à exprimer leur intention de ne pas avoir d’enfants, submergés par une inquiétude liée à l’avenir, principalement climatique.

Un vaste sondage mené par des chercheurs britanniques auprès de 10 000 jeunes de 16 à 25 ans, provenant de 10 pays, a montré que 39 % étaient réticents à avoir des enfants. Ce chiffre rejoint celui d’un sondage réalisé par la firme Léger en mars 2019 dans lequel 37 % des 1519 Canadiens sondés étaient d’avis que faire moins d’enfants est une bonne solution pour améliorer le sort de la planète. Au Québec, c’est 28 % des personnes interrogées qui le pensaient.

Consultez l’étude britannique (en anglais)

Cette année-là, la militante pour le climat Emma Lim, alors étudiante à l’Université McGill, a lancé en ligne la campagne « Pas d’avenir, pas d’enfants » (#NoFutureNoChildren). En quelques semaines, plus de 5000 personnes s’étaient engagées à renoncer à avoir des enfants jusqu’à ce que des mesures radicales soient prises pour faire face à la crise climatique.

Comment ce discours dans l’air du temps laissera-t-il sa marque sur la fécondité québécoise ? Il est encore tôt pour en évaluer les répercussions. Depuis 50 ans, l’indice synthétique de fécondité (ISF), soit la mesure la plus couramment utilisée par les démographes pour évaluer la fécondité, varie entre 1,3 et 1,7 enfant par femme dans la province. L’ISF a atteint son plus bas niveau en 1987, à 1,36 enfant par femme. Depuis qu’il a atteint 1,7 enfant par femme en 2008, l’indice est en baisse.

Diverses raisons peuvent expliquer ce déclin. Il y a la pandémie, bien sûr. Selon l’Enquête sociale COVID-19 et bien-être réalisée par Statistique Canada au printemps 2021, le changement le plus fréquent observé par rapport aux intentions de fécondité a été le report du projet d’enfant (14 % des personnes en âge de procréer interrogées). De 2019 à 2020, l’ISF est passé de 1,57 à 1,52 au Québec pour ensuite remonter à 1,58 en 2021.

Même si les données annuelles complètes pour 2022 n’ont pas encore été publiées, rien n’indique que cette légère hausse s’est poursuivie. De janvier à octobre, on a observé une baisse du nombre de naissances au Québec par rapport à la moyenne des 10 dernières années. « Si la tendance se maintient, ça va être une année plutôt basse », confirme Frédéric Fleury-Payeur, démographe responsable des projections démographiques à l’Institut de la statistique du Québec (ISQ).

Le poids de l’incertitude

Si, pour le démographe Benoît Laplante, l’effet positif sur la fécondité de la mise en place, en 2006, du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) ne fait aucun doute, celui-ci n’est pas parvenu à freiner la baisse, aussi observée dans la plupart des pays industrialisés depuis la crise financière de 2008.

Comment expliquer que la fécondité ne soit alors pas repartie à la hausse une fois la reprise économique accomplie ? L’expert en démographie sociale et professeur titulaire à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) fait part de cette hypothèse qu’il définit comme « courante », bien que « difficile à prouver » : « Jusqu’en 2008, dans la plupart des pays développés, la natalité augmentait lorsque l’économie allait bien et diminuait lorsqu’elle allait mal. Les décisions se prenaient en fonction des conditions économiques immédiates. »

Il semble que maintenant, la décision d’avoir un enfant se prend en fonction de ce qu’on croit que seront les conditions économiques à moyen ou à long terme et il semble que l’évaluation la plus répandue soit plutôt négative.

Benoît Laplante, professeur titulaire à l’INRS

La hausse du prix des logements, l’inflation, et le fait que la croissance des revenus ne suit pas celle du coût de la vie pourraient ainsi amener les gens à craindre de ne pas avoir les ressources nécessaires pour avoir un enfant.

Bien qu’ils se gardent de faire des prévisions, les démographes de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) tiennent compte dans leurs analyses de divers facteurs qui pourraient influencer la fécondité future des Québécoises. Parmi eux, le contexte économique, la hausse de la scolarité des femmes, les politiques sociales en place, la valorisation de la parentalité dans la société et la confiance en l’avenir.

« On peut inclure la dimension environnementale, déclare Frédéric Fleury-Payeur. Je pense que c’est réel, on le voit. Ça fait partie des facteurs limitatifs, mais il y en a d’autres, comme le retour en région [où la fécondité y est plus élevée que dans les centres urbains] qui est un autre phénomène émergent et qui pourrait avoir l’effet contraire. » Tout comme le télétravail, vanté pour ses effets bénéfiques sur la conciliation travail-famille.

Difficile donc de prédire si les inquiétudes liées au climat se traduiront réellement par un renoncement à la descendance. « Dans les sondages, il y a toujours beaucoup de gens qui se posent la question, et c’est normal de se la poser, je me la suis posée, mais il n’y a pas forcément tant de gens qui sautent le pas et qui renoncent aux enfants, observe le Français Emmanuel Pont, auteur de Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ?, paru en février dernier. En tout cas, aujourd’hui, c’est très difficile à mesurer. »

Benoît Laplante analyse les résultats des sondages et études qualitatives sur ce sujet avec prudence. « Est-ce vraiment la raison pour laquelle la personne ne désire pas avoir d’enfants ? interroge-t-il. Ou est-ce qu’elle se sert de ce discours convenu pour éviter de dévoiler les vraies raisons ? »

L’exemple de la bombe atomique

Dans les années 1950 et 1960, on craignait la fin du monde par la bombe atomique, rappelle M. Laplante. Or, aucune étude n’a démontré d’effet de cette crainte sur la fécondité de cette période.

Spontanément, j’ai l’impression que ce sera peut-être la même chose pour l’écoanxiété, c’est-à-dire une chose dont on parle énormément, mais ce qui va rester comme compréhension de l’évolution du taux de fécondité, ce sera autre chose.

Benoît Laplante, professeur titulaire à l’INRS

Quel avenir alors pour la fécondité québécoise ? Aucun des démographes que nous avons consultés n’a voulu se risquer aux prédictions. « On n’a pas de boule de cristal, même avec un diplôme en démographie », lance Alain Bélanger, professeur à l’INRS. Et même lorsqu’on est responsable du Laboratoire de simulations démographiques de l’Institut. Néanmoins, le démographe tend à croire à une stabilisation de la descendance finale, soit le nombre moyen d’enfants qu’ont eus les femmes d’une génération donnée à la fin de leur vie féconde, à 1,6 enfant par femme.

Ce nombre représente également le scénario de base utilisé par l’ISQ pour réaliser ses projections. « Ça fait environ une quarantaine d’années que le Québec est dans un régime de fécondité moderne, de plus faible fécondité, mais de fécondité somme toute moyenne par rapport à la moyenne des pays occidentaux », souligne Frédéric Fleury-Payeur.

Et si la baisse se poursuivait, jusqu’où cela pourrait-il aller ? « Aucune idée, répond Benoît Laplante, mais ça peut tomber. » Il cite l’exemple de la Corée du Sud qui vit une crise de la natalité avec un indice de fécondité de 0,81 enfant par femme.

Faire plus ou moins d’enfants pour un meilleur avenir ?

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Pour un pays, l’idéal démographique est d’avoir un taux de natalité près du seuil de renouvellement des générations fixé à 2,1 enfants par femme, note Alain Bélanger, démographe et professeur à l’INRS.

Nous sommes désormais 8 milliards sur la Terre. Selon les projections de l’ONU, la population mondiale atteindra 9,7 milliards en 2050. Devrait-on se réjouir d’une baisse de la natalité au pays, alors que le Canada figure parmi les 10 principaux émetteurs de gaz à effet de serre ?

L’atteinte de ce nouveau seuil de la population mondiale à la fin de l’année dernière a remis de l’avant les voix qui accusent la croissance démographique d’être responsable du péril environnemental et qui prônent une limitation de la population mondiale. Dans un texte d’opinion publié dans Le Monde le 9 novembre dernier, l’association française Démographie responsable appelait à imaginer de nouvelles solutions pour diminuer la fécondité des humains.

Lisez le texte dans Le Monde

Il s’agit d’un discours dangereux pour Emmanuel Pont, ingénieur de formation, qui se penche sur le sujet dans son essai Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ?.

En 2016, le groupe de réflexion Club de Rome a été critiqué après avoir promu l’idée d’une politique de l’enfant unique pour les pays industrialisés dans un livre intitulé Reinventing Prosperity.

Dans son essai transdisciplinaire qui marie démographie, politique, éthique et environnement, Emmanuel Pont rappelle le terrain glissant que représente le contrôle des populations. Il présente aussi l’effet limité qu’aurait, selon ses calculs, l’instauration d’une politique de l’enfant unique en France. « La population met pas mal de temps à évoluer, dit-il en entrevue à La Presse. Il y a une forte inertie démographique, tout simplement parce que les gens vivent 80 ans. Donc il faut attendre près de 2100 pour diviser la population par 2 par rapport au scénario où il n’y aurait pas eu cette politique. Par rapport à des objectifs comme la neutralité carbone en 2050 de l’accord de Paris, on est loin. »

Même s’il reconnaît que la croissance de la population est l’un des grands facteurs de la crise écologique, il croit qu’il faut davantage porter notre regard sur le système économique, notre mode de vie et la culture consumériste qui gouverne les pays industrialisés.

Un avis que partage le démographe français Jacques Vénon, auteur de Faut-il avoir peur de la population mondiale ? paru en 2020.

Il ne faut pas tenir la population responsable de tout ce qui va mal, mais ajouter dans l’équation les effets "modes de vie" et "technologie", tout aussi déterminants.

Jacques Vénon, démographe dans une entrevue accordée au média français 20 minutes

Lisez l’article de 20 minutes

Les risques d’une faible natalité

Aussi la décroissance de la population dans les pays industrialisés pose des défis liés au vieillissement de la population, rappelle-t-il.

Pour un pays, l’idéal démographique est d’avoir un taux de natalité près du seuil de renouvellement des générations fixé à 2,1 enfants par femme, note Alain Bélanger, démographe et professeur à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). Or, dans la plupart des pays occidentaux, les natalités sont en deçà de ce seuil depuis de nombreuses années, ce qui entraîne le vieillissement de la population que l’on connaît aujourd’hui avec ses défis liés à la pénurie de main-d’œuvre, au financement des programmes publics et à la pression sur le système de santé.

« Si le taux de fécondité continue de diminuer au cours des prochaines années, le Canada pourrait se joindre aux pays où les taux de fécondité sont les plus bas, une situation associée au vieillissement rapide de la population et à une pression accrue sur le marché du travail, les systèmes de soins de santé publics et les régimes de pension », notaient aussi les analystes de Statistique Canada Ana Fostik et Nora Galbraith dans l’article « Changements dans les intentions d’avoir des enfants en réponse à la pandémie de COVID-19 » publié en décembre 2021.

Consultez le texte de Statistique Canada

Sur une longue période, on peut aussi craindre une dépopulation si les natalités ne sont pas compensées par l’immigration. Depuis 2020, la Corée du Sud, qui a le taux de fécondité le plus bas au monde, voit sa population diminuer.

La seule véritable solution démographique [au vieillissement de la population], c’est d’avoir plus de naissances.

Alain Bélanger, professeur à l’INRS

« Les migrations n’ont pas un impact marqué sur la structure par âge de la population, même si les immigrants arrivent effectivement aujourd’hui plus jeunes que le Canadien moyen parce que le Canadien moyen est très vieux [41,7 ans]. »

Au Québec, l’enjeu de la préservation de la langue est aussi à considérer, souligne Alain Bélanger, qui préside le comité de suivi de la situation linguistique de l’Office québécois de la langue française. « L’intégration des nouveaux arrivants a un impact sur la langue et la culture. Si l’intégration linguistique et économique ne se fait pas au niveau du poids démographique des deux groupes linguistiques officiels, nécessairement le poids du français diminue. »

Contrôler les naissances : une pente glissante

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Chez les démographes, la liberté des couples de choisir le nombre d’enfants qu’ils auront est généralement considérée comme fondamentale.

Alors que certains prônent l’adoption de politiques antinatalistes, d’autres réclament le contraire : tout faire pour favoriser davantage de naissances. Une pente tout aussi glissante, selon l’essayiste Emmanuel Pont. « J’ai le même inconfort de cette instrumentalisation de la population parce que souvent, ce sont les mêmes personnes qui s’inquiètent de la surpopulation chez les autres et de la sous-population chez soi. »

Chez les démographes, la liberté des couples de choisir le nombre d’enfants qu’ils auront est généralement considérée comme fondamentale. L’idéal, c’est de faire en sorte que « les familles réussissent à avoir le nombre d’enfants qu’elles souhaitent, sans forcer », expose le démographe Frédéric Fleury-Payeur, de l’Institut de la statistique du Québec. Pour y arriver, dit-il, l’État peut leur offrir « un soutien pour faciliter la réalisation du désir de famille ».

Selon les plus récentes données sur le désir d’enfants de Statistique Canada qui datent de 2011, 48 % des Québécoises souhaitaient en avoir deux, alors que 32 % en voulaient trois ou plus. Des chiffres qui laissent croire que les couples québécois n’auraient pas tous les enfants qu’ils désirent.

Une décennie plus tard, l’inquiétude face aux changements climatiques viendra-t-elle influencer ce désir ? Pour certains, mettre des enfants au monde alors que l’avenir est incertain demeurera une décision égoïste et irresponsable.

À ce sujet, Emmanuel Pont cite Pablo Servigne, ingénieur agronome français, auteur, théoricien de la « collapsologie » et père, pour qui avoir des enfants était « le choix de l’avenir et de l’espoir ». Un choix qu’il a fait lui aussi, au terme de la rédaction de son essai… « Vous avez peut-être entendu notre bébé crier ? »

Avec la collaboration de Simon Chabot, La Presse

En savoir plus
  • Indice synthétique de fécondité
    Nombre d’enfants qu’aurait hypothétiquement une femme au cours de sa vie reproductive si elle connaissait les taux de fécondité par âge observés au cours d’une année civile donnée.
    Source : Statistique Canada
    31 ans
    Âge moyen des mères québécoises à l’arrivée du premier enfant
    Source : Statistique Canada, 2021
  • 22 %
    Parmi les milléniaux et les membres de la génération Z au Canada, plus d’une personne sur cinq ne souhaite pas avoir d’enfant, selon la plus récente Étude jeunesse menée par Léger. Quand on leur demande pourquoi, près de la moitié des répondants (44 %) disent ne pas être à l’aise de mettre des enfants au monde dans un contexte de crise climatique.
    Source : Étude jeunesse 2023 de Léger, réalisée auprès de 2001 participants âgés de 27 à 39 ans (milléniaux) et de 1006 participants âgés de 15 à 26 ans (membre de la génération Z).
    54 %
    Les personnes âgées de 15 à 39 ans sont nombreuses à vivre de l’écoanxiété. Plus de la moitié d’entre elles se disent stressées par les conséquences liées aux changements climatiques.
    Source : Étude jeunesse 2023 de Léger
  • 67 %
    Les deux tiers des répondants, qui sont nés entre 1983 et 2007, croient que des bouleversements importants (guerre, mouvement de population, catastrophes naturelles, etc.), en lien avec les changements climatiques, arriveront bientôt.
    Source : Étude jeunesse 2023 de Léger
    78 %
    La détérioration de l’environnement inquiète une vaste majorité des milléniaux et des membres de la génération Z. Près de 4 répondants sur 5 ne croient pas que la situation environnementale s’améliorera au cours des prochaines années.
    Source : Étude jeunesse 2023 de Léger