Vous avez des questions sur nos éditoriaux ? Des interrogations sur les sujets chauds de l’actualité ? Chaque semaine, l’équipe éditoriale répond aux lecteurs de La Presse.

Vous dénoncez les salaires faramineux des PDG, mais qu’en est-il des sportifs professionnels ?

André Denis

Récemment, le joueur de soccer Cristiano Ronaldo a signé un contrat – tenez-vous bien – de 400 millions d’euros (575 millions de dollars canadiens) avec une équipe de l’Arabie saoudite.

La moitié de cette somme provient de son contrat de deux ans et demi pour jouer au soccer. L’autre moitié lui est accordée pour promouvoir la candidature de cette monarchie islamique pour le Mondial de 2030.

On parle ici d’un pays où les droits de la personne sont allègrement bafoués. Un pays, aussi, qui fait la guerre par procuration à l’Iran sur le territoire du Yémen, y entretenant une sanglante guerre civile qui a fait des centaines de milliers de morts.

Pour les valeurs, on repassera. Pour le jugement aussi.

Si on parle strictement de salaires, le baseball est un autre sport où l’on assiste à une escalade. En décembre dernier, Aaron Judge a fait sauter la banque en signant un contrat de 360 millions US pour 9 ans avec les Yankees.

Au golf, Phil Mickelson a encaissé 110 millions US l’an dernier, selon Forbes. Pas pour diriger une entreprise comptant des milliers d’employés, mais pour taper des balles sur des pelouses. Notons que lui aussi touche maintenant des revenus de l’Arabie saoudite.

Bien sûr que cela soulève des questions. Bien sûr que ces athlètes sont grassement surpayés.

Michel Magnan, titulaire de la Chaire Stephen Jarislowsky en gouvernance à l’Université Concordia, et Sylvie Saint-Onge, professeure au département de management à HEC Montréal, estiment toutefois qu’on a tort de comparer la rémunération des PDG avec celle des vedettes.

Dans un texte écrit en 2008 dans la revue Gestion, les deux experts étayent des arguments intéressants. Examinons-les.

D’abord, les auteurs plaident qu’il est beaucoup plus facile d’évaluer la performance d’une vedette que celle d’un patron d’entreprise. Et que quand la première connaît du succès, c’est largement attribuable à son propre mérite.

« On sait que c’est Tiger Woods qui frappe la balle et qui accumule des vic­toires. On sait aussi que c’est Céline Dion qui est sur scène, qui chante et qui vend des disques et des billets de specta­cles. À l’inverse, il se peut que la hausse de la valeur boursière ou des bénéfices d’une société ait peu à voir avec ses diri­geants, mais qu’elle résulte d’autres facteurs qui échappent à leur maîtrise », écrivent-ils.

On peut certainement établir une distinction ici entre les entrepreneurs et les gestionnaires qui dirigent des sociétés déjà établies. Elon Musk, un des hommes les plus riches du monde, a généré sa fortune par ses propres idées, en prenant des risques et en bâtissant des sociétés comme Tesla et SpaceX. Au Québec, par exemple, c’est aussi le cas d’un Max Dasilva, fondateur de Lightspeed.

À l’inverse, les dirigeants des grandes banques canadiennes dirigent des sociétés qui existaient avant qu’ils ne s’installent dans leur fauteuil de PDG. Et qui, on peut le parier, survivront à leur départ.

Michel Magnan et Sylvie Saint-Onge citent d’ailleurs une étude qui montre que lorsqu’un PDG meurt subitement, l’action en Bourse de l’entreprise qu’il dirigeait, loin de chuter, connaît généralement une hausse. Cela s’explique par le fait que le conseil d’administration peut alors réorganiser la haute direction pour l’améliorer.

Une équipe sportive qui perd son joueur vedette, au contraire, voit généralement ses performances et ses revenus décliner (même si on peut s’amuser à trouver des exceptions).

Les auteurs font ensuite remarquer que les PDG choisissent les administrateurs qui fixent leur rémunération et exercent un certain pouvoir sur eux. Ce n’est pas le cas des athlètes et des vedettes, qui négocient selon les lois du marché.

Autre argument : la « durée de vie utile » est généralement plus longue pour un PDG que pour une vedette. Un athlète est considéré comme vieux à 35 ans, et nombre d’artistes connaissent quelques années lucratives avant de sombrer dans l’oubli. Les PDG, eux, se voient offrir des « parachutes dorés » quand ils quittent leur poste et ont généralement de généreux régimes de retraite.

De toute façon, si on juge la rémunération des athlètes et des vedettes indécente, ce ne devrait pas être un argument pour justifier les sommes abusives versées aux PDG.

Lisez notre éditorial sur la paie des patrons