Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à François Dompierre.

Je suis du matin. Comme on est visuel, auditif, olfactif, nomade ou sédentaire. C’est un état. Je me lève pile-poil à 5 h, café, lecture des nouvelles et hop, dehors, hiver comme été, beau temps, mauvais temps. Cela me permet de constater chaque jour les changements imperceptibles de la couleur du temps, de glisser sans qu’il n’y paraisse d’une saison à l’autre. En prime, je me donne le luxe de prendre ma journée à bras-le-corps, de lui imposer mon rythme plutôt que de réagir au sien.

Lorsque j’habitais à la campagne, déambulant dès l’aube, je ne croisais âme qui vive, hormis quelques écureuils, un chat furtif et plus rarement un chevreuil en quête de pommes perdues ou d’herbages dissimulés. Mais, depuis que j’ai cédé aux sirènes (!) de la ville et succombé aux charmes du Plateau Mont-Royal, c’est une faune bien différente qui peuple mes petits matins… quoique les coureurs qui piaffent en attendant le feu vert évoquent bien souvent les cervidés de ma campagne !

J’ai constaté que le monde du matin, en ville, ne ressemblait en rien à celui rencontré à d’autres moments de la journée.

Peu de téléphones portables, quelques rares casques d’écoute, processions cyclistes relativement bien ordonnées, automobilistes disciplinés, rage au volant inexistante. Tout cela fait plaisir. Mieux encore, comme nous sommes toujours les mêmes à cheminer, à force, on finit par se reconnaître et, pouvez-vous croire, on se salue.

Mon périple recoupe le pourtour du parc Laurier, lieu qui comme on le sait bourdonne en tout temps d’activité. Toutefois, contrairement au soir où — lorsque la météo le permet — les sens sont sollicités par les odeurs de merguez grillées ou par les entrechoquements de la pétanque, le matin l’animation y est nettement plus paisible. Oui, bien tranquille mais réglée comme du papier à musique.

Il y a cet étrange sprinteur qui déboule à vitesse grand V, rue Saint-Grégoire, pour stopper net au coin de Brébeuf et remonter vers Gerry-Boulet à un train de sénateur. Il y a cette réunion au sommet dans le parc pour chiens, les maîtres discutant le bout de gras et les bêtes se coltaillant à qui mieux mieux. On apprend à les connaître, c’est comme les humains, il y en a pour tous les goûts, des snobs, des gentils, des agressifs, des placides, des énervés, des senteux, des jaloux. Monsieur de La Fontaine en ferait son bonheur, c’est certain.

Il y a cette jeune dame timide avec son chien en laisse qui, en approchant, hoche la tête et nous sourit du bout des lèvres. Il y a cette autre qui malgré une surcharge pondérale, fait trois fois le tour du parc pendant que nous en faisons un. Elle a toute mon admiration.

Mais il faut que je vous parle de celui que nous surnommons « le lecteur ». Un numéro, ça ne s’invente pas. Régulier comme le carillon de Westminster, il se pointe tous les matins à la même heure.

On le voit venir de loin, avec ses habits — élimés, mais parfaitement agencés. Un adepte de la simplicité volontaire ? Qui sait ? Mais le plus étonnant, c’est de le voir s’asseoir sur un banc — toujours le même — et d’extirper de son veston un livre d’essai philosophique, un recueil de poèmes, un roman de Tremblay, des récits de Maupassant, une biographie de Stefan Zweig ou, les jours d’été, une lecture plus légère, un Louise Penny peut-être ? À l’instar de Lucky Luke, il mâchouille un brin d’herbe — il n’y a pas de petits plaisirs —, il lit une vingtaine de minutes, et lorsque nous repassons, il repart dans la direction opposée en nous gratifiant d’un salut bien senti. Dernièrement, nous avons échangé quelques mots. Insuffisants pour percer le mystère de cette intrigante mais bienveillante personne.

Rue Laurier, c’est le ballet des mamans en route pour la garderie. Nous nous amusons de loin à départager les hexagonales des pure laine. C’est facile, me dit ma blonde : la couleur des vêtements. Elle ne se trompe jamais, l’accent en fait foi. Quoi qu’il en soit, leurs petits casés, tout ce beau monde se retrouve quelques minutes plus tard pour un croissant au café-comptoir.

Coin Garnier, il y a celui que nous surnommons le père Noël, un sans-abri très sympa, parfaitement digne. Certains jours, il décline toute offre d’aumône : « Je n’en ai pas besoin aujourd’hui ! »

Mais le clou de cette vadrouille matinale, du moins pour ma blonde, est la rencontre fortuite — lorsqu’il n’est pas à Houston — de l’astronaute David Saint-Jacques, que nous saluons discrètement.

Vingt-cinq minutes top chrono qui ont inspiré à celle qui m’accompagne de nouvelles réflexions panthéistes et à moi de réaligner mes chakras !

Quelques fruits, un second café et je suis prêt à commencer ma journée sur les chapeaux de roues.