(Stanley Vollant et Stanley Février) Le chirurgien innu Stanley Vollant et l’artiste visuel d’origine haïtienne Stanley Février ont plus qu’un prénom en commun. Tous deux ont fait de la lutte contre les injustices le moteur de leur action. Et ils n’ont pas hésité à occuper le devant de la scène pour les dénoncer.

Lorsque Stanley Vollant est devenu chirurgien en 1994, il était le premier Autochtone à exercer cette spécialité au Québec. Depuis, il travaille à ouvrir la voie aux membres des Premières Nations, au sein de la profession médicale comme dans l’ensemble de la société.

Après une première grande marche de 6000 kilomètres pour promouvoir les saines habitudes de vie auprès des jeunes, baptisée « Innu Meshkenu » (chemin innu), le DVollant a créé Puamun Meshkenu pour inciter les membres des communautés à tracer leur propre chemin de « rêve » (puamun, en innu). C’est cet organisme qui a orchestré, à l’occasion de la visite papale l’été dernier, la Grande marche pour la guérison, à laquelle les non-Autochtones étaient invités à se joindre pour le dernier kilomètre.

« Moi, mon rêve, c’est qu’un jour, les Autochtones puissent se dire paritaires, égalitaires, au reste des Québécois », confie le DVollant aux jeunes Autochtones qu’il rencontre.

Dans le cadre de sa maîtrise en arts visuels et médiatiques, obtenue en 2018, Stanley Février a voulu connaître le nombre d’artistes québécois noirs dont le Musée d’art contemporain (MAC) de Montréal avait acheté les œuvres au cours des 50 années précédentes. Cette institution créée par Québec en comptait alors un seul (Russell T. Gordon, mort en 2013).

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Stanley Février

Devant cet état de fait, M. Février a créé le « MAC invisible », un site web ressemblant à celui du MAC qui donne à voir des œuvres d’artistes issus des communautés culturelles et des Premières Nations, dont il est le directeur général et conservateur en chef. C’est le rôle qu’il a de nouveau assumé l’été dernier au Musée des beaux-arts de Montréal, avec son exposition intitulée MAADI (Musée d’art actuel/Département des invisibles), dans laquelle il a exposé les œuvres d’artistes de diverses origines culturelles qu’il a lui-même acquises au cours des dernières années.

« Pour transformer le milieu, j’ai dû moi-même prendre du pouvoir. Le MAADI est devenu un exemple de nouveau musée équitable. L’‟empouvoirement” des communautés, c’est ça qui va amener une justice et un équilibre », explique M. Février.

Un long combat

Même s’ils ont le vent dans les voiles, les deux Stanley ne sont pas dupes : cette justice à laquelle ils aspirent pour tous est loin d’être gagnée.

Je ne pense pas que dans un ou deux ans, on soit à égalité, à parité. Ce jour-là, je ne pense pas le voir de mon vivant. J’espère que mes enfants et petits-enfants le verront », dit le Dr Vollant.

« Avant, on était des artistes immigrants, immigrés, des minorités visibles, et aujourd’hui, on est devenus des artistes de la diversité », rappelle M. Février. Il réclame une véritable « transformation structurelle » sans quoi, « en 2032, une autre journaliste va faire le même genre d’article », sur les mêmes enjeux.

Deux ans après la mort de Joyce Echaquan, et peu de temps après l’arrestation d’un citoyen montréalais noir soupçonné d’avoir volé son propre véhicule, le chirurgien et l’artiste n’ont pas attendu qu’on leur pose la question pour évoquer le racisme systémique.

Dire qu’il n’y a pas de racisme systémique, c’est souffrir de cécité. C’est vraiment être profondément ignorant et ne pas vouloir regarder la réalité.

Stanley Février

« Malgré ce que certains politiciens pensent, il existe, je l’ai vécu et senti dans ma peau. J’ai dû me battre pour me défendre quand j’étais jeune », témoigne le médecin innu, en rappelant que les Autochtones sont encore surreprésentés parmi les sans-abri et les prisonniers.

Il se dit néanmoins ouvert à un compromis. Si Québec ne veut pas nommer cet éléphant dans la pièce, « qu’il l’appelle pachyderme de deux tonnes à grandes oreilles et qu’il fasse un trou pour le sortir ».

S’exprimant tous deux d’une voix posée, les deux Stanley préfèrent l’action concrète aux déclarations incendiaires.

« Je ne dénonce pas, je vous énonce des faits. Je fais l’état des lieux », souligne M. Février, pour qui l’art est un moyen de transformation sociale. « Je crée des ‟espaces de devenir” auxquels le visiteur prend part. Ce sont des excuses pour aller à la rencontre de l’autre. »

C’est sûr que ça peut prendre plus de temps, mais si on apprend à se connaître et à collaborer, je pense qu’on peut réaliser de grandes choses.

Stanley Vollant

Une attitude appréciée des lecteurs qui ont proposé leur candidature.

En plus d’aborder des enjeux de société difficiles, comme la mort de George Floyd, Stanley Février amène « une révolution positive », nous a écrit An-Lap Vo-Dignard. « Non seulement il a réussi avec persévérance à faire ouvrir des portes qui étaient auparavant fermées, mais il partage son succès et rayonnement en tirant avec lui d’autres artistes issus de la diversité. »

Croisé sur les plaines d’Abraham lors de la visite du pape, Stanley Vollant « s’est présenté à ma conjointe comme s’il était monsieur Tout-le-Monde », nous a raconté Guy Sirois, impressionné par la sagesse, la délicatesse et le charisme de l’homme. « Vous nous ouvrez les yeux avec grande classe sur les douleurs et sévices que les Premières Nations ont dû endurer il y a plusieurs décennies, et encore aujourd’hui. »

Qui est Stanley Vollant ?

  • Né à Québec en 1965, il a grandi dans la réserve innue de Pessamit, sur la Côte-Nord.
  • Diplômé de l’Université de Montréal en médecine et chirurgie générale
  • Premier Autochtone à devenir chirurgien au Québec et à présider une association médicale en Amérique du Nord
  • Chevalier de l’Ordre du Québec, il a également reçu plusieurs distinctions du gouverneur général du Canada et du lieutenant-gouverneur du Québec.

Qui est Stanley Février ?

  • Né à Port-au-Prince en 1976, arrivé au Québec en 1989
  • Titulaire d’une maîtrise en arts visuels et médiatiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et diplômé en technique de travail social du cégep Marie-Victorin
  • Nombreuses expositions individuelles (dont au Musée des beaux-arts de Montréal et au Musée national des beaux-arts du Québec) et collectives (dont au Musée des beaux-arts du Canada), fondateur de la foire Carton
  • Finaliste au Prix Sobey pour les arts (2022), lauréat du Prix en art actuel du MNBAQ (2020), Artiste en arts visuels de l’année au Gala Dynastie (2020)