Chaque semaine, un de nos journalistes vous présente un essai récemment publié.

Dans la traduction française de l’essai Migrations, la journaliste scientifique Sonia Shah, auteure du saisissant Pandémie, explore en profondeur l’histoire des déplacements humains, mais surtout comment ils ont été perçus. Ratissant les champs de la biologie, de la démographie et de l’environnement, elle livre un plaidoyer sans concession sur le phénomène, qu’elle présente comme un moteur historique dénigré.

Alors que les questions migratoires occupent plus que jamais le devant de la scène (ce fut l’un des pôles des débats au cours des dernières élections provinciales, tandis que le gouvernement fédéral vient d’annoncer son intention d’accueillir annuellement un demi-million d’immigrants d’ici 2025), Sonia Shah part d’un double constat.

Primo, les populations humaines n’ont jamais autant migré, et cette tendance va s’accélérer de façon exponentielle — on parle de 60 millions de déplacements en 2045 liés à la sécheresse, et de 180 millions de migrations en 2100 motivées par la hausse du niveau des océans.

Secundo, l’auteure a le sentiment que les mouvements migratoires sont considérés comme des anomalies, répondant à un ressort contre nature. Pire encore, ils semblent considérés comme « une menace » à visages multiples, de nombreux gouvernements brandissant des questions de sécurité nationale, de balance démographique, d’identité ou d’économie pour juguler ces flux autant que faire se peut. Bref, la migration a mauvaise presse et les dirigeants politiques hostiles à son égard se multiplient.

L’essayiste nous propose alors de remonter les siècles et les sciences, passant au crible les courants de pensée ayant exploré les questions de la place de l’homme sur les continents.

La question centrale qui a longtemps échauffé les esprits : l’humain est-il issu d’une souche commune, ou bien des peuples différents ont-ils émergé sur leurs territoires respectifs ? Alors que la génétique ne figurait pas encore parmi l’arsenal d’analyse scientifique, les naturalistes se sont livrés à d’intenses bras de fer, opposant sédentarité et migrations, hiérarchies raciales et ancêtre commun, mettant aux prises Linnæus et Buffon ou encore Grant et Darwin.

Exemple éloquent : les penseurs se sont longtemps interrogés sur le peuplement des îles lointaines du Pacifique, certains brandissant l’hypothèse de l’accident. À moins que l’être humain ne disposât d’une bien meilleure capacité à se déplacer que nous le supposions ? C’est ce que déplore l’auteure : nous avons cherché à minimiser le rôle et la fréquence des déplacements des peuples.

En marge des bras de fer sur les déplacements de l’humain au fil des millénaires, Sonia Shah dresse de nombreux parallèles avec les migrations animalières, développant plusieurs chapitres intéressants ; du déplacement des papillons damiers aux États-Unis en réponse aux changements climatiques, au mythe des lemmings suicidaires ou de la perception des espèces dites « envahissantes ».

S’il s’attarde trop longuement sur le volet de l’histoire du racisme biologique et souffre d’une progression logique pas toujours limpide, Migrations mérite d’être consulté pour son éclairage approfondi sur cet enjeu très débattu. Se voulant un contrepoids aux discours actuels sur l’immigration, il oublie en revanche d’équilibrer la balance, occultant totalement les potentielles conséquences négatives du phénomène.

Extrait

« Au sein de la culture occidentale, l’idée voulant que certains peuples et espèces aient leur place en des lieux déterminés s’inscrivait dans une longue tradition. En vertu de cette logique, la migration constitue forcément une catastrophe, dans la mesure où elle enfreint l’ordre naturel. Cet ordre avait été établi des siècles plus tôt par un taxinomiste suédois obsédé par le sexe. Son principe fondamental est simple à résumer. Notre place est ici. La leur est là-bas. »

Qui est Sonia Shah ?

Reporter et journaliste scientifique, Sonia Shah est née à New York de parents indiens. Elle a signé en 2016 Pandémie, un ouvrage sur les origines des épidémies ayant eu une forte résonance critique et auprès du public.

Migrations — Grandeur et misère de la vie en mouvement

Migrations — Grandeur et misère de la vie en mouvement

Écosociété

372 pages