Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à Catherine Ethier.

Le soleil fait des marches de plus en plus petites et les combines sont sorties des boîtes. L’automne. Ma beauté. Ma frayeur. Avec l’automne viennent évidemment les adieux graduels, les petites morts, délicates et prodigieusement jolies, comme ces cadavres d’échinacées cassées en deux au parc et ce petit arbre sec qui a décidé de ne pas feuillir en mai et qui allonge ses longs doigts d’Angelica Huston sur les murs de mon salon, le soir.

Malgré son funeste suit, l’automne est aussi devenu cette formidable saison à mettre en marché. À célébrer à tout prix. À mettre dans le café. Cette injonction étrange à changer de couleur de cheveux, une « couleur d’hiver ». Faire des willy dans Salem. Le bouquet de pampa dans le salon, en confiant victorieusement aux collègues : « J’en ai trouvé sur le bord de l’autoroute, gratis ! » Tout ça.

Mais pendant ce grand crépuscule-cabaret qui fait claironner les caisses du HomeSense se prépare aussi novembre, ce vilain mois où il est plus ardu de se maquiller la peine à grand renfort de bains de soleil. Où le miroir nous renvoie soudain le reflet de ce qu’on a tenté de fuir. Habilement. Ma spécialité. Espérer l’été, le rater un peu, et recevoir la suite comme un coup de pelle sur le crâne en espérant tromper la brunante avec un peu de vitamine D et une lampe à trois cents piastres. La routine.

Évidemment, chacun vit ses vertiges. Ses secousses, au gré des choux où on a poussé. La vie, quoi. Puis on se réveille, un beau matin, et on est passé à travers. Avec la famille. Les potes. Un bouquin. Un animal frisé. Piaf. Cette dernière année m’a cependant semblé sismique, autour de moi. Nous sommes évidemment tous, à divers niveaux, postpandémiques, la chevelure et le cœur un peu sur le camp, les nerfs limés et le regard encore ahuri de toute cette affaire-là dont on n’a pas encore analysé la moelle. Le drame de l’un fut la peccadille de l’autre. Tantôt risette. Tantôt cordillère.

Et des gens sont partis. Beaucoup de gens. Jamais, du haut de mes 40 balais, n’ai-je assisté à autant de départs tant tragiques qu’inattendus de toutes sortes de connaissances. Une petite extinction.

« Il illuminait la pièce. Un vrai rayon de soleil. Personne ne s’attendait à ça. »

Le constat classique. On ne s’attend jamais vraiment à ce qu’une amie, un frère, un collègue ou une vague amie Facebook ne soit pas du prochain Noël, par choix. On se dit que ça passera. On est solidaires. De loin. Notre spécialité. Parce que ce ne sont pas nos affaires. Parce que chacun fait ce qu’il peut. Parce qu’on finit toujours par s’en remettre.

C’est un sujet qui m’habite beaucoup, me chuchoterez-vous. Vous dites vrai. Depuis quelque temps, il m’arrive de plus en plus souvent, quand une personne met fin à ses jours et que l’onde de choc ébranle mes repères, de voir un proche tapisser ses réseaux sociaux de quelque chose de l’ordre de : « S’il te plaît ; qu’on se connaisse bien ou très peu, promets-moi une chose, toi qui as un jour croisé ma route. Si tu as des idées noires, appelle-moi. Écris-moi. Ma porte est toujours ouverte. »

Ça m’émeut (je ne suis pas un animal).

Et je suis intimement convaincue de l’honnêteté de ces élans tant altruistes que nécessaires. De cette envie de porter secours pour survivre au choc, à cette perte d’emprise sur ce qui n’aurait pas dû arriver. Faire marche arrière.

Mais chaque fois, je me demande combien de personnes, par soir de désespoir, écriront à cette bienveillante connaissance à la porte grand ouverte. Reconnaître qu’on a besoin d’aide demande déjà une énergie démesurée.

Démesurée.

Identifier l’envie de fermer les lumières, trouver le courage de cesser de camoufler un indicible mal derrière des mots moins dommageables pour l’entourage, comme « idées noires » ou encore « bien mauvaise passe » pour autoriser sa bouche à prononcer le mot suicide, c’est profondément effarant. Quinze peines d’amour au fond de la gorge.

S’identifier comme phare et comme havre où il est permis de venir s’échouer est le plus beau geste qui soit. Je me permets toutefois de monopoliser cet espace pour t’inviter, toi qui me lis et que je tutoie soudain, à préparer une petite lasagne.

Tu ne t’attendais pas à cette fin de phrase. Lâche-moi pas.

Je t’invite à préparer une petite lasagne, une croustade, un macaroni, un chiard ou une boîte de Twinkies, ce qui te fait plaisir et ne t’ampute pas de la falle, pour l’apporter à une personne, parce qu’il y en a certainement une pas loin, qui semble en arracher un peu, de ce temps-là.

Juste une petite lasagne.

Cette personne qui a le cœur bleu sait parfaitement que tu es là. Par dix fois, elle a peut-être pensé t’écrire. Dix messages que tu ne liras jamais parce que la dernière chose que cette personne veut faire, même si elle conseillait fiévreusement l’inverse à tout être cher, c’est de t’embarrasser de sa douleur.

C’est comme ça que ça marche, le grand mal. C’est ben maudit. Plus il pèse lourd, plus c’est difficile de le déposer sur la table de la cuisine pis de le regarder, à deux. À trois. Même seul.

En cet automne aux épices de marque déposée, c’est ce doux appel aux pupilles vigilantes que je lance, avec ma voix de vieille randonneuse de chemins où les arbres ne repoussent pas toujours. Vous seriez surpris de constater combien d’âmes pétillantes et fleuries par le dehors traversent peut-être les moments les plus douloureux. Cette ère étrange prescrit bien malgré elle le port du masque (pas celui qui freine la propagation des virus — bon celui-là, vous seriez bien smattes de le porter –, je parle plutôt de celui aux couleurs du « Je vais très bien. Tout est super, sweater weather »).

Si vous avez un doute, ne serait-ce que l’ombre d’un soubresaut de doute (il s’agit là d’un très petit doute), eh bien c’est que vous avez raison. Envoyez ce texto. Veillez au grain. Relancez, patiemment, sans juger, même sans réponse. Prenez des nouvelles. Vous verrez, le bulbe finira par fleurir.

En attendant, allez donc partir le four.

Besoin d’aide ?

Si vous avez besoin de soutien, si vous avez des idées suicidaires ou si vous êtes inquiet pour un de vos proches, contactez le 1 866 APPELLE (1 866 277-3553). Un intervenant en prévention du suicide est disponible pour vous 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

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