À peu près tous les Atikamekw se souviennent de ce qu’ils faisaient, le 28 septembre 2020, quand ils ont vu la vidéo. C’est leur 11-Septembre. Leur apocalypse. Ils se souviennent du choc. De l’angoisse. Du sentiment d’impuissance.

Pendant des heures, Constant Awashish, lui, n’a pas eu conscience du drame qui se jouait à l’hôpital de Joliette. Ce jour-là, le Grand Chef du Conseil de la Nation atikamekw se trouvait dans une communauté de la Haute-Mauricie, un territoire privé de couverture cellulaire.

Coupé du reste du monde. Et de ses horreurs.

« Quand nous sommes arrivés là où il y avait un signal, mon équipe et moi, il était environ 17 h. Ça a commencé à rentrer. Tout plein de messages. C’était confus, on ne comprenait pas trop ce qui se passait… »

Il a fini par tomber sur la vidéo de Joyce Echaquan. Ce que cette Atikamekw avait capté sur son cellulaire avant de mourir était difficile à voir et, surtout, à entendre. « Heille, t’es épaisse en câlisse… Ben meilleure pour fourrer que d’autres choses, ça… C’est nous autres qui paient pour ça… »

C’était horrible. Mais, pour un Atikamekw, pas si étonnant. Jamais n’avait-on eu en main une preuve aussi éclatante du racisme auquel peuvent faire face les Autochtones au Québec. Une preuve brutale. Sans équivoque. « Je me suis dit : il y a tout un combat qui s’annonce », se rappelle Constant Awashish.

Ce combat, c’est toujours le même, contre l’ignorance, le déni, les préjugés. Deux ans plus tard, malgré l’ampleur du choc, malgré la solidité de la preuve, il est encore loin d’être gagné.

J’ai rencontré Constant Awashish le 3 octobre, jour d’élections provinciales, au café d’un grand hôtel de Montréal. La veille au soir, le conjoint de Joyce Echaquan, Carol Dubé, avait été invité sur le plateau de Tout le monde en parle. Le Grand Chef avait tenu à l’accompagner pour l’épauler.

Constant Awashish a refusé de me dire s’il avait exercé son devoir de citoyen. Comme si voter était une sorte de secret honteux. En fait, pour certains, ça l’est un peu. « C’est mal vu chez les Autochtones », déplore-t-il.

« J’ai eu des débats là-dessus avec [l’ancien chef mohawk] Joe Norton, que je respectais énormément. Lui disait : “Ce n’est pas notre système, on ne vote pas.” Moi, je disais : “Il faut participer pour changer des choses de l’intérieur.” »

Il est convaincu d’une chose : les Autochtones doivent faire leur place.

On doit sensibiliser les gens, pour qu’ils puissent comprendre qu’on n’est pas si méchants que ça, pas si différents que ça. On a les mêmes rêves qu’eux pour nos enfants.

Constant Awashish, Grand Chef du Conseil de la Nation atikamekw

Surtout, ajoute-t-il, on ne leur veut pas de mal. Au contraire. « La Nation atikamekw a besoin d’un Québec fort. L’inverse est vrai également : le Québec a besoin de Premières Nations fortes. On est tous interreliés. On est dans un écosystème. »

Il faut prendre soin de tout le monde si on veut garder cet écosystème en bonne santé. Le Grand Chef cultive ce discours d’ouverture et de collaboration avec la constance du jardinier.

Il a appris très tôt les vertus de la patience et de la persévérance. Sa mère était revenue du pensionnat « un peu mal en point », glisse-t-il avec pudeur. Elle avait « des problèmes de boisson ».

Alors, Constant Awashish a passé une bonne partie de son enfance auprès de ses grands-parents maternels, dans la réserve d’Opitciwan.

« J’allais à l’école à La Tuque, mais j’étais toujours envoyé dans le bois. Je prenais un train de nuit, j’arrivais dans le coin de Clova vers 2, 3 h du matin. Mon grand-père m’attendait à la gare. On ramassait mes bagages, on marchait un bout, jusqu’au lac. Son canot était là. On mettait mes affaires dans le canot et on partait jusqu’à son camp. On allait visiter les aînés partout sur le territoire. On dormait dans des tentes, été comme hiver. »

Constant Awashish sourit en racontant ses souvenirs. Il mesure sa chance. Sa langue est l’une des mieux préservées en Amérique du Nord. Sa culture, aussi.

Il n’a que 41 ans et a vécu une enfance autochtone comme très peu de ses contemporains ont eu l’occasion d’en vivre.

Le Grand Chef est fort conscient que le racisme n’est pas un problème qui se règle en deux coups de cuillère à pot, comme aurait bien voulu le faire croire le premier ministre François Legault en campagne électorale.

Ce problème-là, enraciné dans les mentalités, prend du temps à se résoudre. Et de la collaboration. Les récentes promesses de M. Legault ne l’impressionnent pas.

Les politiciens disent qu’ils vont travailler avec les Autochtones pourvu que cela soit leur vision, leur façon de faire. Ils veulent toujours organiser les Autochtones, parce qu’ils ne voient pas la contribution qu’un Autochtone peut amener à la société.

Constant Awashish

Trop souvent, les élus n’entendent parler des Autochtones qu’à travers les médias. « La crise d’Oka, la récente crise ferroviaire, le blocage de routes une fois de temps en temps… c’est ce qu’on voit à la télé. » Alors, quand un dossier autochtone atterrit sur leur bureau, ces élus « voient ça comme un problème qu’il faut contourner, nier, éluder. C’est ça, leur réaction. Toujours sur la défensive ».

Constant Awashish aimerait que les Québécois voient les Autochtones non pas comme un paquet de problèmes, mais comme une « plus-value » pour la société et pour l’économie. « On parle de manque de main-d’œuvre, de relève dans les entreprises. Ça peut être ça, aussi, les Autochtones. »

« Oui, c’est vrai qu’on a des difficultés sociales dans les communautés, mais ce n’est pas par hasard, ajoute-t-il. On peut être la relève, mais il faut que nos membres puissent se sentir mieux. Ça fait 150 ans qu’on se fait dire qu’on n’est pas du monde… »

Pour rebâtir les ponts, il faut faire des gestes, même symboliques, estime le Grand Chef. Déclarer un jour férié le 30 septembre, par exemple, afin de souligner comme il se doit la Journée de la vérité et de la réconciliation. « Ça serait une marque de respect envers les Autochtones. »

Mais François Legault a tranché : c’est non. Un nouveau jour férié, a-t-il prétexté, engendrerait une perte de productivité incommensurable pour le Québec…

De la même manière, le premier ministre refuse d’adopter le Principe de Joyce, qui vise à assurer à tous les Autochtones un accès sans discrimination aux services sociaux et de santé.

À la longue, tous ces refus, ça mine la confiance.

Ça affaiblit l’écosystème.

« Il faut nous donner des petites victoires, des fois, plaide Constant Awashish. Si on nous donne des petites victoires, la confiance va s’installer, on va avoir l’impression que non, finalement, les politiciens ne sont pas si méchants que ça, ils ne veulent pas nous écraser tant que ça, les choses changent. »

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : Je ne bois que des cafés lattés. Au moins trois ou quatre par jour. Je ne bois pas d’alcool, je ne prends pas de drogue, je ne fume pas la cigarette… Le café, c’est mon seul vice, je peux bien me le permettre !

Des personnes que j’aimerais réunir autour d’une table, mortes ou vivantes : Mon grand-père, aujourd’hui disparu. Bruce Lee, qui m’a beaucoup influencé quand j’étais jeune. Et certains politiciens d’autrefois, dont les décisions ont influencé le cours de l’histoire. John A. MacDonald, par exemple. Viens, on va jaser un peu…

Sur ma table de chevet : Kuessipan, de Naomi Fontaine. Auassat : à la recherche des enfants disparus, d’Anne Panasuk. Mais je lis surtout des documents politiques et des livres de droit. Ça, ce n’est pas très passionnant. Si tu veux dormir le soir, c’est ça qu’il faut lire…

Qui est Constant Awashish ?

Né en 1981 à La Tuque

Élevé par ses grands-parents maternels dans la réserve atikamekw d’Opitciwan, dans le nord de la Mauricie

Diplômé en droit de l’Université d’Ottawa

Élu Grand Chef du Conseil de la Nation atikamekw en 2014

Réélu Grand Chef pour un troisième mandat le 7 septembre 2022

La Nation atikamekw regroupe les communautés de Wemotaci, de Manawan et d’Opitciwan.