Après deux ans d’absence, l’artiste Marc Séguin reprend la plume dans La Presse. Toutes les deux semaines, il proposera un regard unique sur l’actualité et sur le monde.

On s’y attendait un peu. Quatre-vingt-seize ans. À cet âge, il y a davantage de temps derrière que devant. « La reine est morte. » OK, me suis dit. Un peu comme lorsqu’on dit « il va pleuvoir ». Ah bon. Évidemment, s’il y a du linge sur la corde, c’est une autre affaire.

Pas question ici d’être pour ou contre la monarchie. Je respecte, même si parfois je remets en question, les codes qui survivent au temps. Ce symbole a tenu une grande place durant des siècles. Que l’on fasse dévotion à leurs têtes ou qu’on les coupe, les reines et les rois ont servi l’Histoire avec justesse et probité. Nécessaire aussi. On a besoin d’être guidés, même par symbole.

Des amis et connaissances l’ont rencontrée ou ont dîné avec elle. Paraît qu’elle avait un grand sens de l’humour. C’est reparti pour l’année ; ces amis vont encore me ressasser pour une énième fois leurs histoires avec elle, misère…

Dans l’enfance je construisais des châteaux de sable et les pièces d’un sou étaient les armoiries des deux camps. D’un côté le monde des feuilles d’érable et de l’autre le royaume d’une dame.

Dans mes guerres d’enfant, un jour c’était un bord qui gagnait, le lendemain c’était l’autre. C’était normal.

« La reine est morte, les enfants ont dit.

— Je sais.

– Est-ce qu’on va avoir congé demain ? »

Paraît qu’ailleurs, dans le pays où la reine est vraiment leur reine, les enfants n’auront pas d’école, le temps du deuil.

« Pourquoi pas nous ? a demandé le plus jeune.

— Parce que ce n’était pas vraiment notre reine. Comme à moitié. Elle nous a un peu été imposée. Y a des gens qui sont heureux de ça et d’autres qui sont contre… »

Que restera-t-il à dire sur Élisabeth II dans quelques jours ? Tous les angles auront été couverts. En long et en large. Jusqu’à plus soif.

Ma boss à La Presse a texté : « On jase : la reine, ça t’inspire ? »

J’ai joué à pile ou face avec un 25 cennes. Pile, je retourne à mes trucs, et face, j’y pense un peu. Vous jure que c’est tombé sur face.

Ce n’est pas la reine d’Angleterre qui a inspiré ce texte, mais une femme. Digne et forte. Un modèle depuis l’enfance. Au-delà des codes et des couronnes. Une femme symbolique et réelle. Le contraire des princesses nunuches. Un phare à travers sept décennies, en bonne et due forme, m’a-t-on raconté. Le contraire de la reine de TQS ou de la reine des Neiges ou de la Queen of Pop. Chaque jour sous mes yeux. Un peu moins depuis les virements et les transferts électroniques, mais quand même toujours un peu là.

Vous comprendrez que je ne verserai pas de larmes. Il n’y aura pas d’épanchement ni de drapeau en berne à la maison. Mais durant une fraction de seconde, j’ai remercié la providence qu’une femme ait été au premier plan d’un monde parfois mal ajusté et tout croche pendant 70 ans. Rassurante, non pas par son genre ou parce qu’on lui trouvera des qualités féminines, mais par une rigueur, une intelligence sensible et un sens du devoir irréprochable.